Hors série n°2

Anna

 

-Coupe-moi cette putain de musique ! » Ordonné-je à Fabrice alors que nous nous replions au sous-sol, le temps d’en savoir plus.

-Je vais devoir arrêter le générateur pour ça… » M’apprend-il, un peu angoissé à l’idée de devoir se téléporter dans le noir complet.

-Rien à foutre. Fais-le. » Lui intimais-je. « Et pars en reconnaissance avec Laurence pour voir combien ils sont. »

Il me lance un dernier regard, l’air de me dire « Je te l’avais bien dit » et s’éclipse, accompagné de mon second téléporteur, laissant ses vêtements s’échouer pêle-mêle sur le sol.

Je me tourne vers mes autres éveillés.

-Il est temps d’en finir une fois pour toutes avec Nathan. » Leur expliqué-je devant leurs regards interrogateurs. « Et pour ceux qui ne l’ont pas connu, la seule chose intéressante à savoir, c’est que c’est un putain d’emmerdeur. » Je réfléchis un instant avant d’ajouter. « Et un télékinésiste, mais je compte m’en occuper moi-même. Vous vous concentrerez sur les autres. »

Mes éveillés hochent la tête. Ils continuent de me faire confiance malgré nos lourdes pertes de la journée.

Et ils ont raison.

Je n’admettrais pas d’en voir encore un seul disparaître. Et Nathan va chèrement payer cet affront lorsque je l’aurais sous la main.

La lumière s’éteint brusquement alors que Fabrice s’est chargé de couper l’alimentation principale, faisant définitivement taire la voix entêtante de Christophe Isaak ainsi que les souvenirs qui gravitaient autour d’elle.

Et dire que je l’ai laissé en vie cet idiot, en pensant bêtement qu’il chercherait avant tout à poursuivre la sienne.

Un instant de faiblesse, certainement due à ce qu’il a représenté pour moi durant ces quelques temps passés ensemble… Et peut-être aussi à cause de ce tendre souvenir qui grandit dans mon ventre depuis près de cinq mois maintenant.

Mais quelle stupide et grave erreur de ma part.

Quelques lumières provenant de lampes torches font rapidement leur apparition parmi le groupe, alors que mes éveillés se mettent à chuchoter des hypothèses sur le nombre des agresseurs et la nature de leurs pouvoirs.

-Il y en a forcément un de chaque type. » Déclare l’un d’entre eux, l’une de mes plus récentes recrues. « Impossible qu’il y ait eu autant de morts sinon… »

-Moi je dirais plus… Un groupe d’une dizaine d’éveillés. Bien entraînés… » Lui répond un autre.

-Et s’ils avaient la colonie du général avec eux ? » Propose un troisième.

Mais cette dernière hypothèse est rapidement écartée.

-Tu plaisantes ? » Rigole l’un de mes plus anciens membres. « Ça se voit que tu l’as pas connu. Nathan avait franchement une dent contre lui… »

Un autre s’esclaffe à son tour.

-C’est pas comme si ce taré de Greg laissait une chance aux humains de toute façon… »

-LA FERME ! » Leur hurlé-je brusquement à l’énoncé de ce dernier prénom. « On attend le retour des éclaireurs et on avise. Ça suffit les suppositions inutiles. »

Je m’en veux un peu de leur crier dessus de la sorte mais me retiens de le leur montrer.

C’est juste que le simple fait de citer cet enfoiré qui a tout fait basculer me donne de puissantes envies de meurtres que j’aimerais réserver à mon ex.

Bien sûr, il était lui aussi grandement responsable mais…

Je ne sais pas… Peut-être… Sans celui-là et ce qu’il a fait…

Peut-être que j’aurais pu lui pardonner de ne pas m’avoir aimé…

Le retour brusque de Fabrice met instantanément fin à mes réflexions.

-C’est une éveillée. » Me lâche-t-il immédiatement. « Seule. » Complète-t-il rapidement devant mon froncement de sourcils.

Le reste de mon clan semble avoir cessé de respirer.

Alors c’était vrai…

J’ai du mal à croire que ces abrutis de pigeons aient réellement eu les bonnes informations et pourtant…

-Impossible. » S’écrie soudain Clémentine, l’une de mes plus récentes alliées.

Ce simple mot suffit à déclencher la rumeur des autres.

-Taisez-vous ! » Leur intimais-je d’un ton brusque et le silence se fait presque instantanément. « Tu es sûr de toi Fabrice ? »

Mais il hoche lentement la tête pour confirmer ses dires.

-Je ne sais pas où est Nathan. » Poursuit-il. « Mais il n’était pas avec elle. »

Je serre les poings et les dents.

Une seule et unique éveillée…

Et Nathan qui est trop lâche pour se montrer…

Il ne s’est pas amélioré avec le temps, c’est certain.

-Elle a un point faible. » Ajoute encore Fabrice. « Elle est déjà blessée à la main gauche… » Il a un petit sourire en coin. « Ça ne devrait pas être trop compliqué de la neutraliser… »

J’expire lentement, me rendant compte au passage que j’avais retenu mon souffle.

-Très bien. » Je déclare alors qu’un plan simple s’échafaude déjà dans mon esprit. « Et Laurence ? » Lui demandé-je avant de l’expliquer à l’ensemble du groupe.

Il secoue simplement la tête et je comprends qu’il n’y a plus rien à espérer pour elle.

Je me retiens de hurler et mes ongles s’enfoncent douloureusement dans la paume de mes mains.

 

Nous n’avons eu aucun mal à mettre en œuvre mon plan.

J’ai entendu le cri de joie de Fabrice lorsqu’il est parvenu à l’atteindre et j’ai attendu qu’il rallume les lumières avant de faire entrer mon clan avant moi dans notre salle de conférences.

Cette éveillée l’ignore sans doute, mais elle a choisi l’endroit idéal pour notre conversation.

Je respire lentement à deux reprises et lisse ma veste d’un geste sec avant de pénétrer dans la pièce, la fumée se dissipant lentement autour de l’entrée. L’avantage d’être déjà grosse lorsque l’on est enceinte, c’est qu’une grossesse est bien moins visible. Même à mon stade relativement avancé.

Mon clan s’écarte pour me laisser passer et j’entends leurs murmures étonnés tout autour de moi.

-Non sans déconner ?!… »

-C’est pas possible… »

-C’est vraiment ça qui nous défonce le fion depuis le début ?! »

Je tente de les ignorer et me retiens de paraître surprise lorsque je la découvre, debout, se tenant le poignet gauche, tout au fond de la pièce.

Je sais d’expérience qu’il ne faut pas se fier aux apparences lorsqu’il s’agit d’éveillés.

Mais je l’avoue, j’ai quand même du mal à croire que tous les membres que j’ai perdus ont été éliminés de sa seule main.

Seules ses lames, qu’elle est parvenue à conserver, partiellement repliées dans son dos, me confirment que j’ai bien affaire à une éveillée puissante.

Peut-être plus que moi…

Je m’avance sur l’estrade et nous nous jaugeons une seconde. Elle semble si frêle avec sa petite stature et la pâleur de son visage dont le sang s’est probablement retiré lorsque Fabrice l’a blessée.

Je décide de ne rien laisser paraître et entame rapidement la conversation.

-Excuse-moi si je ne te salue pas mais je crois que tu as massacré suffisamment de mes filles et de mes gars pour ne pas avoir à passer par des formules de politesses. » Je commence d’un ton glacial. Je comprends vite qu’elle ne répondra pas alors je poursuis. « Tu es seule… J’avoue que je n’y croyais pas. Nous avons eu des informations contradictoires… J’imagine que c’est aussi de ton fait ? »

Elle se contente de respirer lentement, sans doute dans l’espoir de recouvrer un maximum de ses capacités.

Mais je ne compte pas lui laisser ce temps.

-Tu travaille pour Nathan je suppose ? » Je lui demande encore de façon rhétorique. « Il n’est pas là, c’est étrange. D’habitude, il ne perd pas une occasion pour participer… Même si ça met tout le monde en difficulté. »

Mes plus anciens éveillés approuvent cette dernière déclaration, et même mon ennemie sort soudain de son mutisme.

-Oui c’est un boulet et oui, c’est moi qui l’ai laissé sur le carreau. » Lâche-t-elle d’un ton ou perce une évidente colère à l’encontre de mon ex.

Je ne peux m’empêcher d’éclater de rire alors que je constate qu’il parvient même à énerver le propre instrument de sa vengeance.

Ce qui lui correspond tout à fait.

-Oui, la musique. Ça lui ressemble bien… La mise en scène c’est important n’est-ce pas ? » Je secoue la tête alors que je me souviens de ses paroles dans un tout autre contexte. « J’espère que tu t’es rendue compte qu’on ne pouvait pas lui faire confiance ? » Je la fixe, tentant de comprendre ce qui a bien pu la pousser à le suivre puisqu’elle ne semble pas l’apprécier plus que ça. « Qu’est-ce qu’il t’a proposé en échange de tes services ? Je sais qu’il peut se montrer très convaincant… »

Elle garde le silence et je vois ses mâchoires se contracter à l’énoncé de ma question alors qu’elle fait mine de s’intéresser de près à sa blessure.

Bon sang Nathan…

Quelle est cette promesse que tu as faite et que tu ne vas pas tenir, une fois de plus ?

-Tu es douée, tu le sais j’imagine. » Je reprends, espérant encore lui ouvrir les yeux. « Je n’ai jamais rencontré d’éveillé avec autant de capacités réunies. Si tu voulais te joindre à nous… Je suis certaine qu’on pourrait trouver un accord plus intéressant que ce qu’il t’a proposé. Et éviter de nous entre-tuer. »

Elle relève la tête et se contente de me fixer sans rien dire.

-Tu as conscience que tu vas perdre ? Que tu vas mourir pour… Rien ? » Je conclus, presque désespérée de ne pas parvenir à lui faire changer d’avis.

Quel dommage ! Avec une éveillée pareille de notre côté, les portes de la capitale s’ouvriraient en grand devant nous pour ne plus jamais se refermer !

Mais ce que je lis dans ses yeux achève de me convaincre qu’elle poursuivra jusqu’au bout ce qu’elle a commencé. Et ce, peu importe ce qu’il lui en coûtera.

Parce que Nathan n’a pas usé de ses méthodes habituelles pour convaincre. J’ignore ce qu’il lui a pris, mais, de toute évidence, il la tient autrement que par de simples promesses de pouvoirs et de richesses.

Et malheureusement, je ne peux rien pour elle dans ce cas.

Je me prépare à l’attaquer en sortant moi-même mes lames, évitant de mettre le reste de mon clan en première ligne avec une éveillée aussi puissante, lorsqu’un craquement sonore me fait brusquement relever la tête vers la verrière.

-Nathan ! C’est Nathan ! » Hurle Fabrice pour avertir le groupe.

Je le contemple une seconde alors qu’il me surplombe de toute la hauteur de la salle, un sourire magnifique sur le visage et nos regards se croisent.

Nathan…

Tu vas me payer ça mon grand…

Et tant pis si tu es le père de ce bébé.

 

La réussite n’a jamais fait partie de ma vie.

Pas naturellement en tout cas.

Peu importe la nature de mes projets ou les efforts que je fournissais pour atteindre mes objectifs, je n’ai jamais pu compter sur la chance pour m’aider.

Et je devais payer chacune de mes erreurs au centuple par rapport aux autres qui semblaient traverser la vie sur une putain de licorne, galopant gaiement sur un chemin verdoyant tracé à l’avance.

À croire que ma mère m’avait accouché sous une échelle et que j’avais brisé un miroir en tombant, faisant fuir une centaine de chats noirs au passage.

Mais après tout, c’était une histoire de famille.

Elle est morte alors que je n’avais que quatorze ans, d’un cancer du poumon bien qu’elle n’ait jamais fumé de sa vie.

Ni alcool, ni tabac, ni drogues…

Et voilà le résultat.

Et pourtant, comme elle, je n’ai jamais pu me voir ce genre de produits en peinture. J’avais peur que ça ne me pourrisse une vie déjà bien compliquée dès la naissance.

Elle m’a élevé seule jusqu’à sa mort et je n’ai jamais connu mon père. J’ai compris, plus tard, que je n’étais pas désirée même si elle a eu le tact de me le cacher. Mon père a pris peur lorsqu’il a appris sa grossesse et il s’est barré.

Ils n’étaient pas si jeunes que ça pourtant tous les deux. Vingt-deux et Vingt-quatre ans… On peut se dire que c’est tout de même raisonnable pour envisager la vie de famille.

Mais pas pour lui visiblement.

Et, une fois adulte, j’ai choisi de ne pas risquer de me prendre cette claque, évitant soigneusement toutes les relations qui auraient pu donner ce genre de résultats.

Quitte à souffrir, parfois.

Mes grands-parents n’ont pas eu beaucoup plus de chance même s’ils s’en sont mieux sortis. Mon grand-père est passé par les camps de la mort alors qu’il était encore très jeune et ma grand-mère s’est souvenue jusqu’à la fin de l’angoisse qu’elle a vécue alors qu’elle devait se terrer avec sa famille pour survivre.

C’est elle qui m’a élevée par la suite. Elle n’était pas d’une nature facile mais elle avait pour elle une volonté inébranlable de vivre. C’est sans doute ce qui l’a sauvée au décès de ma mère, sa fille unique. Et c’est ce qu’elle m’a transmis.

Vivre.

Survivre…

Malgré tout, en dépit de tout…

Ne jamais me laisser abattre. Ni par mon manque de chance, ni par mon apparence physique que l’on m’a chèrement fait payer à l’adolescence, ni par mon manque de compétence sociale malgré d’évidents efforts une fois adulte.

Et j’ai fini par creuser mon trou dans ce monde, montant les échelons de mon entreprise à la force des coudes et en montrant les crocs.

Alors, lorsque la catastrophe s’est abattue sur mon univers, je me suis assez rapidement demandé si c’était vraiment une chance pour moi d’y avoir survécu contrairement à la très grande majorité.

Je n’ai pas mis longtemps à me dire que ce n’était pas le cas.

Puis j’ai découvert mes pouvoirs.

Ce souvenir a toujours été particulièrement clair dans mon esprit. Sans doute parce que, pour la première fois de ma vie, j’avais été doté d’avantages sans avoir eu besoin de batailler ardemment pour les obtenir.

Je me suis réveillée dans mon bureau au siège de la société de communication pour laquelle je travaillais, environ un jour et une nuit après la catastrophe. Le soleil ne s’était pas encore levé, et lorsque je suis sortie, je n’ai pas vu tout de suite les innombrables corps qui jonchaient le sol de mon entreprise, ni ceux qui parsemaient les trottoirs.

J’avais perdu pas mal de sang, sans parvenir à comprendre pourquoi et j’errais dans les rues de Lille sans savoir ou aller, lorsque j’ai croisé la route de mon premier survivant.

J’ai bêtement cru que nous allions chercher à comprendre ensemble ce qu’il s’était passé, mais il n’a pas attendu plus de cinq minutes avant de tenter de m’agresser.

Il devait sans doute faire partit de ces hommes qui veulent se taper une grosse, comme ça, pour essayer. Et parce que, chez moi, même si je suis bien en chair, j’ai quand même comme avantage d’avoir une belle poitrine et des fesses relativement musclées malgré tout.

Ma télékinésie m’est venue presque instinctivement et je lui ai envoyé un coup si puissant que j’ai cru discerner la forme de ses vertèbres déplacées juste sous le tissu de son pull.

Par la suite j’ai fait comme je l’ai toujours fait depuis mon enfance. Comprendre le plus de choses possibles le plus rapidement possible. Ne rien laisser au hasard.

Tout prévoir. Tout contrôler.

Pour pouvoir s’en sortir malgré tout.

Je n’ai pas mis longtemps à recruter des alliés parmi d’autres éveillés comme moi, dont Fabrice a été l’un des tout premiers. Et mon premier téléporteur.

-Il faut qu’on bouge. » Lui ai-je expliqué au bout de plusieurs semaines à graviter ensemble autour d’une petite ville du nord. « On ne doit pas rester trop longtemps au même endroit où on risque de manquer de ressources. »

Il a soupiré. Fabrice n’a jamais aimé le changement. À chaque fois que nous trouvions une nouvelle planque, il pensait que ce serait la dernière ou nous irions.

Mais je n’étais à l’aise nulle part, craignant sans arrêt pour nos vies même si nous avions formé un petit groupe de cinq personnes.

-Tu sais quoi Anna ? » M’a-t-il répondu après une seconde de réflexion. « On n’a qu’a cherché un endroit où les ressources sont plus nombreuses… Comme une grande ville… »

Je l’ai fixé en haussant les sourcils.

-A quoi tu penses ? » Lui ai-je alors demandé, curieuse de connaître son idée.

-Paris… » M’a-t-il dit un peu rêveur. « On devrait trouver tout ce qu’il nous faut là-bas tu ne crois pas ? »

J’ai réfléchi quelques minutes à sa proposition puis j’ai hoché lentement la tête.

-Ca ne coûte rien d’essayer… » Ai-je fini par conclure et il m’a souri sous sa tignasse rousse, ravi. « Mais on va faire les choses correctement et de façon raisonnable. Pas de précipitation. » L’ai-je ensuite prévenu.

Il a fait mine de me faire un salut militaire.

-Oui M’dame ! »

Et je lui ai accordé l’un de mes rares sourires en retour.

 

Nous avons pris notre temps pour rejoindre la capitale, grossissant nos rangs malgré les pertes que nous avons nécessairement subies au passage.

C’est également à cette période que j’ai découvert mes lames.

Je prenais le temps de me laver dans une des salles de bains de la maison de maître que nous avions investi avec mon clan et j’ai passé un moment à me regarder dans la glace, redécouvrant encore et encore les cicatrices qui parsemaient mon corps sur mes bras et dans mon dos.

Et je me suis fait la réflexion que celles qui glissaient le long de ma colonne devaient forcément avoir une signification.

J’avais fini par déduire, et Fabrice était d’accord avec moi, que les cicatrices d’éveil donnaient des indications sur les pouvoirs de leur porteur. Les télékinésistes en avaient toujours sur les avants bras et les bras, les pyrokinésistes sur le ventre, les électrokinésistes sur les épaules, les chuchoteurs autour du cou…

Celles de mon dos devaient certainement pouvoir me servir à quelque chose…

J’ai fait l’erreur de m’habiller avant de tenter de me servir de ces mystérieux pouvoirs, fermant les yeux et me projetant mentalement dans l’une des situations ou j’aurais aimé pouvoir sauver la vie de l’un de mes éveillés.

J’ai entendu le tissu de ma chemise et de ma veste se déchirer et je les ai senties sortir de mon propre corps, lentement.

J’ai ouvert les yeux pour les découvrir et je n’ai pu m’empêcher de sourire.

La chance…

Enfin la chance me sourit !

Fabrice a choisi cet instant pour entrer dans la salle de bains sans frapper.

-Anna ! Y a des… »

Mais il s’est rapidement arrêté de parler lorsqu’il a vu mes lames.

Je me suis lentement retournée vers lui tout en me concentrant pour les faire disparaître dans mon dos.

-Qu’est-ce que… » Est-il parvenu à me dire, les yeux écarquillés.

Mon sourire s’est agrandi devant son air stupéfait.

-Ca… » Lui ai-je répondu en levant un doigt. « C’est ce qu’on appelle la chance mon grand. » Et je suis sortie de la pièce devant lui alors qu’il s’écartait un peu plus que d’habitude pour me laisser passer.

-Tant mieux Anna. » A-t-il fini par me dire en me suivant. « Parce qu’il y a un groupe d’humain qui n’apprécie pas beaucoup qu’on lui vole ses vivres. »

Je me suis retenue de glousser bêtement, conservant en façade mon sérieux habituel.

C’est parfait.

Et j’ai eu tout le loisir de constater l’efficacité de mes nouvelles armes.

 

Une fois nos ennemis éliminés, nous avons fouillé leur campement avec mon clan pour récupérer les vivres et évaluer le matériel qu’ils avaient pu collecter.

J’étais en train de répertorier les médicaments lorsque Nathalie, ma pyrokinésiste est venue me chercher.

-On a trouvé une des nôtres. » M’a-t-elle appris. « Ils l’avaient enfermé au sous-sol. Mais je ne pense pas qu’elle soit très intéressante à garder… »

J’ai froncé les sourcils à sa dernière phrase et je suis allée moi-même contrôler ses dires.

-Mais foutez-moi la paix ! » Ai-je immédiatement entendu crier avant même de passer la porte. « Voilà ! Vous êtes contents ?! C’était mon T-shirt préféré ! »

Je suis entrée pour découvrir une éveillée assez grande, la peau naturellement hâlée, peut-être la quarantaine bien qu’à son comportement on aurait pu la croire plus jeune.

Fabrice s’était chargé de lui ôter une partie de ses vêtements pour qu’on puisse évaluer sa puissance et la nature de ses pouvoirs et elle se tenait bien droite malgré tout, les bras repliés sous son soutien-gorge, ses yeux sombres lançant des éclairs à qui voulait bien la fixer.

J’ai compris tout de suite ce qu’avait voulu dire Nathalie. Son corps n’était marqué que de deux fines cicatrices courant sur ses clavicules. Sans doute une électrokinésiste de faible amplitude. C’est déjà un pouvoir assez faible et difficile à utiliser en combat en temps normal, alors si elle ne pouvait même pas tuer quelqu’un avec…

Mais j’ai quand même voulu savoir ce qu’elle avait dans le ventre, pour ne pas faire l’erreur de la mettre de côté alors qu’elle pouvait peut-être nous servir et je l’ai détaillé attentivement pendant une longue minute.

Les humains avaient dû la torturer pour l’empêcher d’utiliser ses maigres pouvoirs et de fraîches marques de brûlures étaient encore visibles le long de ses cotes.

Si elle avait pu endurer tout ça, c’est qu’elle n’était peut-être pas si faible…

-Comment tu t’appelles ? » Je lui ai d’abords demandé, suivant une convention qui pouvait paraître futile depuis la catastrophe.

-Parce que ça t’intéresse vraiment ? » M’a-t-elle questionné en retour, l’air de n’en avoir rien à faire de la situation périlleuse dans laquelle elle se trouvait.

J’ai tout de suite aimé sa façon franche et sans détour de me répondre, mais ce n’était pas le cas des autres membres de mon clan.

Fabrice l’a rejointe en quelques pas et l’a violemment giflé. J’ai vu l’éveillée se replier sur elle-même, soudain beaucoup moins fière, mais elle a continué à garder le silence malgré tout.

-Tu vas répondre ?! » Lui a-t-il ordonné en lui tirant ses beaux cheveux bouclés en arrière.

-C’est bon Fabrice. » Ai-je lâché d’un ton égal sans rien laisser paraître de mon malaise devant sa violence à l’égard de cette femme. Il l’a relâché et elle lui a lancé un regard noir avant de se tourner vers moi.

-J’imagine que tu n’as pas dû te faire beaucoup d’amis depuis ton éveil… » Ai-je déduit à voix haute et j’ai vu son regard se ternir une seconde. « Mais il est encore temps de t’en faire. »

Fabrice s’est retourné, haussant les sourcils de surprise devant ma proposition, mais moi, j’étais certaine de pouvoir en faire quelque chose.

Et il faut bien admettre que je compatissais devant son manque évident de chance. Une chance que j’avais mis une vie à avoir…

-Iris. » M’a-t-elle alors répondu, soudain plus conciliante. « Je m’appelle Iris. »

J’ai simplement hoché la tête.

-Et bien Iris, si tu veux te faire des amis, il va falloir apprendre à suivre les ordres. Je n’aime pas qu’on les discute. »

J’ai vu son visage s’allonger comme si elle s’apprêtait à me répondre mais un regard vers Fabrice l’a dissuadé de le faire et elle s’est contentée d’un bref mouvement de tête.

-Bien. » Ai-je conclu. « Je m’appelle Anna, lui, c’est Fabrice et elle, c’est Nathalie. » Puis je lui ai tourné le dos et ai commencé à partir. « Bienvenue parmi nous Iris. »

 

Une année plus tard, nous avons enfin rejoint Paris, espérant y trouver la montagne de ressources tellement convoitée.

Mais c’est surtout une montagne de cadavres qui nous attendait là-bas.

Et d’emmerdes…

Nous avons déjà dû faire face à une colonie humaine particulièrement importante et entraînée avant même de rejoindre les tout premiers arrondissements. J’ai alors pris la décision de les contourner autant que possible, afin d’éviter un bain de sang inutile.

Nous sommes enfin parvenus aux abords de la capitale après plusieurs jours à tourner et à retourner toutes les solutions pour pouvoir y accéder malgré tout mais, à peine arrivé et alors que nous faisions notre premier plein de provisions, nous nous sommes retrouvés nez à nez avec un autre clan d’éveillé.

Bien plus important que le nôtre.

J’étais à bout de nerfs et il était hors de question que je perde encore des membres de mon clan alors j’ai immédiatement sorti mes ailes et j’en ai transpercé deux, histoire de faire passer l’envie aux autres de s’en prendre à nous.

Lorsque leur chef s’est brusquement placé face à moi. Il n’avait pas l’air en colère que j’ai éliminé deux des siens mais plutôt curieux, étudiant mes lames d’un regard acéré.

Avant d’en faire de même avec mon corps.

-Holà ! » Nous a-t-il lancé d’un ton presque joyeux. « Et si on discutait un peu avant de nous entre-tuer ? »

Sa manière de parler m’a surprise, comme si rien ne pouvait jamais effacer ce sourire qu’il étalait de façon visible sur son visage. Un sourire de charmeur, de quelqu’un qui connaît la qualité de ses attributs physiques et qui sait s’en servir.

J’imagine que c’est sans doute ça qui m’a empêché de l’éliminer dans la foulée. Ça, sa voix envoûtante et son regard réellement intéressé.

Je me suis dit qu’il faisait sans doute le même à toutes les femmes qui croisaient son chemin, mais ça n’en était pas moins assez flatteur. Surtout lorsqu’on a subi des railleries une bonne partie de son enfance et de son adolescence.

J’ai replié mes lames dans mon dos, prête à les envoyer à nouveau au moindre problème.

-Tu cherche à gagner du temps ? » Lui ai-je demandé en le fixant bien dans les yeux, remarquant au passage que les siens avaient un pourtour mordoré hypnotique.

-Absolument pas. » M’a-t-il alors répondu. Et je l’ai cru avant même de chercher sa sincérité dans les fragrances qui émanaient de lui.

J’ai placé mes mains sur mes hanches pour paraître plus sûr de moi que je ne l’étais en réalité.

-Qu’est-ce que tu veux alors ? » Ai-je repris d’un ton aussi froid que possible.

-Et toi qu’est-ce que tu veux ? » M’a-t-il retourné la question, et j’ai trouvé cette formule judicieusement placée. Celui-là savait certainement comment manier son monde. « Parce que si tu veux conquérir la capitale et t’en faire ton territoire, nous avons le même objectif. Et ce serait dommage de ne pas en profiter pour faire alliance, histoire que ce soit plus simple pour tous les deux. »

Sa réflexion était loin d’être stupide. J’avais moi-même souvent privilégié la voie pacifique quand c’était possible et parce qu’il était toujours plus intéressant de se faire de nouveaux alliés que d’en perdre.

Mais s’il croyait que j’allais me faire évincer de la tête de mon propre clan… Autant clarifier les choses tout de suite.

-Et j’imagine que tu veux en être le seul roi ? » Ai-je supposé d’un ton sec.

Il m’a adressé un sourire ravageur et j’ai eu bien du mal à garder mon sang-froid, réalisant que je craquais déjà pour lui alors même que nous venions à peine de nous rencontrer.

-C’est une place que je veux bien partager. » M’a-t-il rassuré. Et là encore, je l’ai cru. « Je m’appelle Nathan. »

J’ai pris le temps de l’observer minutieusement avant de répondre.

-Anna. » Ai-je fini par lui dire de la voix la plus neutre possible, rentrant lentement mes lames dans mon dos.

Et son sourire, si c’est possible, s’est encore élargi.

 

Mon clan a rejoint le sien dans son repaire. C’était bien loin de ce que j’avais imaginé, bien moins confortable, bien plus lugubre…

Mais au moins, nous avions un endroit ou loger.

Et l’importance de notre clan nous a permis de faire fuir un certain nombre d’ennemis sans avoir à nous battre.

J’ai vite repéré le défaut principal de Nathan. Son impatience, qui le conduisait souvent à prendre des décisions aux conséquences fâcheuses pour tout le monde.

Mais j’ai aussi compris son atout majeur. Parce que malgré les aléas de ses choix, ses éveillés continuaient de le suivre malgré tout.

Du charisme. Voilà de quoi il était naturellement doté.

Et c’est ce qui m’a posé le plus de problèmes, ayant des difficultés croissantes à le contredire malgré la stupidité évidente de ses propositions.

J’ai fini par trouver une solution. Relâcher cette pression charnelle qui ne cessait de m’oppresser à chaque fois que je croisais son regard. J’ai été surprise qu’il ne s’y attende pas alors que je l’avais entraîné dans une des pièces du sous-sol pour nos tout premiers ébats et je me souviens encore de son regard presque choqué, devant mon comportement lubrique.

-Tu veux que je te fasse un dessin ? » Ai-je répondu à sa question naïve, me retenant à grand-peine d’éclater de rire.

Mais il n’en a pas eu besoin en fin de compte.

J’ai un peu exagéré l’expression de mon plaisir ce jour-là, bien que cette première relation ait été tout à fait correcte malgré tout, mais j’avais besoin de prendre le contrôle sur lui et il n’y avait pas de meilleure façon pour le faire que de flatter son ego masculin.

Et je suis enfin parvenue à mes fins.

Tout contrôler. Ne rien laisser au hasard.

Jusqu’à cette fois.

Ça faisait un moment déjà que je me demandais quand est-ce qu’il allait comprendre mon petit manège. Mais il a fini par réagir plusieurs semaines après notre première étreinte.

Il m’a attiré assez brusquement dans sa chambre alors que nous passions devant et j’ai hésité un instant avant de me laisser faire.

Après tout, il avait bien le droit d’essayer…

-Alors, comme ça, tu crois que c’est toi qui fais les règles maintenant ? » Lui ai-je demandé en prenant une position volontairement fermée et distante.

Mais ça ne l’a pas découragé le moins du monde.

Il m’a à nouveau gratifié de son sourire à faire craquer une pierre tombale.

-Je ne crois pas. J’en suis sûre. » M’a-t-il répondu avec assurance.

Il a mis une musique d’ambiance et cette fois, je n’ai pas pu me retenir et j’ai gloussé comme une adolescente devant le thème qu’il avait choisi.

-La mise en scène, c’est important tu sais ? » M’a-t-il indiqué d’un air sérieux avant de s’approcher de moi et de défaire les boutons de ma chemise.

J’ai retenu ses mains, n’aimant pas vraiment l’idée de me retrouver nue devant lui alors que jusqu’à présent, nous nous étions contentés du minimum. Il a alors placé une de ses mains dans le creux de mon dos, la laissant remonter lentement jusqu’à la fermeture de mon soutien-gorge qu’il a dégrafé avec facilité, l’autre sur ma nuque avant d’approcher sensuellement ses lèvres de mon oreille.

-Si tu ne me laisses pas faire, je te l’arrache. » M’a-t-il menacé d’une voix atrocement douce.

Une sensation de chaleur caractéristique m’a inondé et j’ai su que je n’avais pas à avoir peur de son regard.

Et je l’ai laissé faire.

Avant de faire de même avec lui, profitant, pour la toute première fois, du relief saillant de ses muscles et de la chaleur de son corps.

Il m’a ensuite allongée sur son matelas et s’est placé juste à côté de moi. Son entrejambe était déjà raide contre ma hanche et moi-même j’étais amplement prête à l’accueillir, mais contrairement à ce que je m’attendais, il s’est contenté de m’observer longuement, sa main parcourant agréablement mes courbes.

-Et c’est tout ce que tu proposes ? » Je lui ai demandé, presque déçue. « Pour une fois que tu prenais les rênes, je m’attendais à quelque chose de plus… Bestiale. »

Ses lèvres se sont étirées mystérieusement.

-C’est parce que j’attends beaucoup de cette conversation. »

Je me suis retenue de lever les yeux au ciel.

Tout ça pour ça ?

-Il est hors de question qu’on les attaque Nathan. Ça ne ferait que des victimes inutiles de chaque côté. » Déclarais-je d’un ton dur, bien refroidie dans mes ardeurs.

Il s’est tranquillement approché de moi, absolument pas affecté par mon ton.

-Ah oui ? » M’a-t-il susurré, sa bouche tout contre le lobe de mon oreille.

Et la main qui me caressait innocemment depuis tout à l’heure a insidieusement glissé bien plus bas.

Là encore, je ne m’y attendais pas. Les hommes ignorants purement et simplement cette partie du corps en général. Ceux que j’ai connus en tout cas.

J’ai tenté de reprendre le contrôle retenant sa main mais il a fait son petit claquement de langue caractéristique et m’a saisi tendrement les poignets pour m’empêcher de riposter, s’approchant encore un peu plus, son buste frôlant mes seins.

J’étais à sa merci cette fois et bien qu’une partie de moi se soit alarmée de cet état, me rappelant qu’il était dangereux que je perde ainsi toute maîtrise des évènements, une autre partie, plus sombre et secrète, ne faisait que désirer cet instant.

-Tu sais que je pourrais facilement te faire regretter cette prise d’otage ? » lui ai-je lâché, le souffle déjà court avant même qu’il n’ait commencé.

À défaut de pouvoir réagir, j’avais au moins besoin de lui faire comprendre que tout ce qu’il me faisait n’était possible que grâce à ma conciliance et non pas à une faiblesse de ma part.

-Tu ne le feras pas. » M’a-t-il murmuré sans se démonter le moins du monde. « Et dans quelques minutes, c’est toi qui vas me supplier de t’achever. »

Il avait raison.

Et pour la première fois depuis le tout début de notre relation, il n’y avait rien de factice dans le cri qu’il m’a fait pousser.

 

Ce bref instant de plaisir, aussi intense qu’il soit, nous a coûté cher.

M’a coûté cher.

Nathalie est morte parce que je n’ai pas su dire non à Nathan cette fois et Fabrice m’a prise à part le soir même pour bien me le faire comprendre.

-Qu’est-ce que tu fous Anna ?! » M’a-t-il demandé, le regard dur. « Tu savais que c’était de la folie ! »

J’ai plaqué un masque froid sur mon visage et ai soutenu son regard malgré mon envie de fuir à toutes jambes.

-Nous avons récupéré du matériel de pointe Fabrice… » Ai-je tenté de me justifier.

-Dont on se contrefout ! » A-t-il immédiatement répliqué. « Putain Anna ! Couche avec lui si tu veux mais ne te laisse pas avoir ! » Il a soufflé bruyamment par le nez pour se calmer. Puis je l’ai vu serrer les dents. « Tu sais ce que l’un de ses éveillés a fait à un autre membre de son propre clan ? » M’a-t-il ensuite demandé, le regard fiévreux et je me suis contentée de le fixer sans répondre. « Il l’a torturée ! Il l’a torturée et violée pendant des heures avant de la laisser comme un morceau de viande ! La fille s’est suicidée Anna ! » J’ai senti qu’il était à deux doigts de me secouer mais il est parvenu à se retenir en se passant la main sur le visage. « Et Nathan a laissé faire… En fait, il a quasiment approuvé ça… »

Mes mâchoires se sont contractées malgré moi.

J’avais bien entendu quelques ragots sur cette histoire. Greg, un membre particulièrement dérangé de son clan avait pris pour habitude de s’occuper longuement de leurs esclaves avant de balancer leurs corps lacérés dans la rue comme de vulgaires déchets. Et je savais qu’il en avait fait de même avec un membre de son propre clan, mais Nathan ne m’avait pas vraiment présenté la chose sous cette forme.

J’ai toujours fait confiance à Fabrice. Il ne m’avait jamais menti depuis nos tout débuts ensemble et je savais que Nathan travestissait souvent la réalité pour qu’elle l’arrange mais…

Mais je ne voulais pas croire que je m’étais faite avoir à ce point.

-Je vais me renseigner. » Ai-je lâché du ton le plus neutre possible. « Et cet enfoiré ne touchera plus personne Fabrice. Je m’en occupe personnellement. »

Il a secoué la tête, un sourire ironique sur le visage.

-C’est Nathan qui parle comme ça. » Et ses paroles m’ont semblé aussi violentes que des gifles. « Et il ne respecte pas ses promesses en règle générale. »

Il m’a tourné le dos s’en attendre et s’est éloigné d’un pas lourd, déçu par mon comportement.

Mais pas autant que moi.

 

-JE VAIS TRANCHER MOI-MEME LA TÊTE DE CET ENFOIRÉ ! »

J’étais à deux doigts de le faire, non pas à Greg, mais à Nathan juste à côté de moi, essayant de le défendre, comme toujours.

-Attends Anna… » A-t-il bêtement tenté de m’apaiser.

Mais je ne comptais pas me laisser faire cette fois.

Surtout alors que j’attendais une déclaration de sa part depuis plusieurs jours déjà.

Déclaration qu’il n’a jamais faite alors que je lui en ai laissé pleinement l’occasion.

Et, pour couronner le tout, je n’avais pas eu mes règles ce mois-ci, alors que je n’ai jamais eu de retard de toute ma vie.

Ce qui ne pouvait vouloir dire qu’une chose…

-IL N’Y A PAS DE ‘ATTENDS ANNA’ ! SOIS-TU LE BUTES SOIT C’EST MOI QUI LE FAIS ! »

J’ai tenté de concentrer ma fureur sur cet enfoiré de Greg mais je n’ai pas pu m’empêcher d’en vouloir mortellement à Nathan.

Pour ses mensonges, ses tromperies, ce bébé qu’il m’a donné alors que je n’en ai jamais voulu et que je ne pouvais même plus recourir à des moyens médicaux sans danger pour me l’ôter…

Pour le fait qu’il ne ressentait rien pour moi alors qu’en ce qui me concernait…

En ce qui me concerne…

Putain Nathan, je n’ai jamais été vraiment amoureuse de toute ma vie et il a fallu que ça tombe sur toi !

J’ai vu ses sourcils se froncer de colère.

De colère !

Mais comment ose-t-il être en colère lui !

-Elle n’est pas morte ton éveillée il me semble ! » A-t-il répliqué. « Qu’il soit puni oui ! Mais de là à le tuer ! »

Je me suis reculée, tentant de le voir tel qu’il était vraiment. Un menteur et un tricheur. Un charmeur aussi, ce qui était sans doute le plus dangereux et le plus douloureux pour moi.

-C’est ta dernière chance Nathan. » L’ai-je prévenu en espérant naïvement qu’il réagirait. « Si tu ne t’en occupes pas, tu peux dire adieu à notre alliance. »

Et à mon amour.

Je n’ai même pas cherché à connaître sa réponse. Cette fois, je voulais des actes, pas des paroles.

Mais il n’y en a pas eu.

 

-On aurait mieux fait de les buter Anna… » Me répète Fabrice une semaine après ma séparation effective avec Nathan.

J’ai soupiré.

-Que veux-tu qu’il fasse Fabrice ? » Lui ai-je répondu. « Avec le nombre que l’on est et tout ce qu’on connaît de lui et de ses alliés… Que veux-tu qu’il fasse ? »

Il a grimacé, pas vraiment à l’aise.

-Je ne sais pas… Mais je ne suis pas habitué au fait que tu prennes ce genre de risque. »

Je me suis retenue de justesse de me passer la main sur le ventre. Comme si c’était cet être, grandissant en moi, qui m’avait fait prendre cette décision.

Aucun membre de mon clan n’était au courant de ma grossesse et je ne voulais surtout pas que cela change. Pas pour le moment en tout cas.

Après tout, je n’avais encore jamais vu aucune éveillée tomber enceinte. En fait, je croyais que c’était impossible.

Mais, de toute évidence, je m’étais trompée.

Et j’avais du mal à imaginer les conséquences.

J’ai détourné la tête pour cacher mon malaise.

-Ne t’en fais pas Fabrice. » L’ai-je rassuré. « Si Nathan a l’audace de revenir, il sera accueilli comme il se doit. Et Greg aussi… »

Il a secoué la tête.

-Celui-là… Celui-là, on aurait vraiment dû le buter. » A-t-il martelé.

Je me suis retenue de lui répondre et me suis éloignée de lui.

Je sais Fabrice, je sais…

Mais si j’avais laissé Nathan seul, il serait mort c’est certain…

Et une partie de moi ne veut pas qu’il meure.

J’avais vraiment perdu le contrôle avec lui, enfreins toutes les précieuses règles que je m’étais établies…

Et je n’avais plus qu’à espérer ne pas vivre ces fâcheuses conséquences qui me tombaient systématiquement dessus à chacune de mes mauvaises décisions.

Si seulement…

 

-Tue-moi. »

Je supplie l’éveillée qui me fait face, ses nombreuses lames toujours déployées tout autour d’elle comme un formidable instrument de mort.

Elle me fixe un long moment et une lueur de pitié traverse son regard.

Mais j’y lis aussi qu’elle ne peut rien faire pour moi.

-Anna ! Mon cœur ! Ça fait longtemps ! » Entends-je soudain la voix de Nathan par-dessus ma respiration saccadée. « Wouaou ! On a fait un sacré carton ! » Ajoute-t-il ensuite avec fierté.

Un vieux réflexe me conduit inutilement à tenter de me relever mais Nathan compte bien avoir pleinement le dessus sur moi et il me pousse du pied, me faisant basculer au sol.

Mes oreilles se mettent à siffler mais je me retiens d’exprimer ma souffrance.

Ça, c’est quelque chose que je ne veux pas lui donner.

-Oh non, je t’en prie. » Me dit-il avec une fausse politesse que je lui reconnais bien. « Je ne t’en voudrais pas si tu fais une petite pause. Après tout. Tu as eu beaucoup de travail récemment… » Je le sens plus que je ne le vois s’accroupir auprès de moi pour pouvoir me parler plus doucement. « Elle est forte celle-là hein ? » Me dit-il, fier de lui. « Je suis sûr que tu m’envies… Je sais je sais, tu m’en as pris des pas mal, mais elle… Tu n’aurais jamais pu me la voler. Même avec tous tes mensonges. »

Mes mensonges…

Et les tiens alors ?

-Je n’ai pas eu à mentir. » Je lui réponds mais il plaque rapidement sa main sur ma bouche pour me faire taire.

-Chut, Chut… Ça ne sert plus à rien maintenant tout ça tu sais. » Murmure-t-il. Je tente de retirer sa main et sens une douleur atroce foutre en l’air ma tentative alors qu’un sinistre craquement résonne à mes oreilles.

Cette fois je tente de crier, mais la pression de Nathan sur mes lèvres m’empêche de le faire librement.

Qu’est-ce que tu fais ?

Alors c’est vraiment ça que tu veux n’est-ce pas ? Me faire souffrir. Me voir souffrir…

Comme si tu ne l’avais pas déjà assez fait.

Le sifflement qui s’était atténué revient en force et les images semblent se troubler autour de moi.

-Désolé mon cœur. » Me dit-il soudain d’une voix douce alors qu’une fumée puante de cigarette me frappe les narines. « Je n’ai pas pu faire autrement que de reprendre cette mauvaise habitude après notre rupture… Le chagrin, tout ça… Ah au fait, tu te souviens de ceci ? » Il retire sa main de ma bouche et me la place sous les yeux. Malgré mon état, je parviens à distinguer la cicatrice de son doigt manquant, celui que je lui ai ôté pour tenter de lui faire ressentir une petite partie de la douleur que je vivais moi-même. « Tu m’as laissé le choix à l’époque… C’était vraiment très… Très grand seigneur de ta part. » Il prend le temps de tirer une nouvelle fois sur sa cigarette avant de poursuivre. « Alors je te propose un petit jeu. Tu choisis un os, celui qui te paraît le plus inutile, et je m’occupe de t’en débarrasser… »

Mon cœur ne peut s’empêcher de s’emballer à cette idée et je commence à avoir la nausée.

-Tu n’as vraiment rien compris Nathan… » Parvins-je encore à lui dire, le souffle saccadée.

-Oh tu n’arrives pas à choisir ? » Me répond-il rapidement. « Ne t’en fais pas, je le fais pour toi. »

Et j’entends le hurlement que je pousse sans vraiment parvenir à savoir si c’est réellement moi qui l’émets.

Une ombre me passe devant les yeux mais elle ne reste pas et je conserve toute la conscience de la douleur qui me traverse la jambe.

Et si je lui disais ? Peut-être que s’il savait… S’il savait que j’attendais son enfant, il m’achèverait plus vite…

Peut-être…

Sa voix me parvient progressivement comme si on montait peu à peu le volume après l’avoir baissé jusqu’à presque le faire taire.

-… Tu en as encore un autre si tu veux le choisir pour le prochain… »

Je sais qu’il va recommencer mais je ne peux plus endurer ça.

Je vais essayer… Je vais le lui dire.

Il doit savoir qu’il ne fait pas souffrir que moi dans ce corps.

-Non… Attends… » Parvins-je à articuler.

Mais Nathan ne me laisse pas finir.

-Ah c’est sûr, je comprends. Il y en a tellement qui ne servent à rien… Allez je fais encore celui-là pour toi. »

Je sens mes cordes vocales vibrer sans parvenir à entendre les sons que je produis.

De l’eau me coule sur les joues, j’imagine que je dois pleurer je ne vois pas vraiment d’autres explications et je sais que Nathan me parle, mais bien que ce soit sa voix qui me parvienne, je pense que c’est ma mémoire qui remplace volontairement les mots qu’il prononce.

-Qu’est-ce que tu fais ? » Me demande-t-il, naïf, un regard étonné alors qu’il me voit me déshabiller devant lui.

Puis son visage change reprenant ces traits froids et anormalement fixes alors qu’il me regarde, une haine profonde derrière ses pupilles au pourtour délicieusement doré.

-Ah ! Te revoilà ! » S’exclame-t-il d’un ton faussement joyeux. « Ça tombe bien parce que le jeu n’est pas fini. En plus on va devoir faire vite parce que tu perds pas mal de sang là… Allez, allez, aide-moi cette fois, ce n’est pas drôle si tu ne joues pas. »

Je sais ce qu’il fait. Je comprends.

Mais cette façade ne me trompe pas Nathan.

J’ai bien vu que tu souffrais autant que moi…

Mais puisque tu ne veux pas savoir, que tu m’empêches de te l’apprendre…

Alors tu n’as pas droit à mon pardon.

-Tu vas mourir Nathan… Plus vite… Plus vite que tu ne le crois. » Parvins-je à lui dire en une dernière bravade alors que je me sens partir.

-Oh oh ! Tu as un don de prémonition maintenant ? Dommage que tu ne t’en sois pas servi avant… Ça t’aurait évité… Tout ça. »

Ma respiration s’accélère une dernière fois alors que je m’attends à une nouvelle vague de souffrance qui me terrassera cette fois, j’en suis certaine, mais Nathan prend son temps pour choisir.

-Hé Chérie ! » Appelle-t-il soudain. « Ambre ! Viens ! On a besoin de toi pour faire un choix ! »

Ambre ?

Ambre…

C’était la couleur de ses yeux alors qu’il me regardait comme aucun homme ne l’avait jamais fait avant lui.

Avec envie, passion.

Avec amour.

 

 

Musique : Monster, Meg Myers