Chroniques du clan
Mathias
-Sarah ! » Appelé-je paniqué, faisant le tour de la discothèque en courant. « SARAH ! »
Mais au lieu d’elle, c’est Greg que je vois apparaître alors qu’il passe tranquillement la porte menant au sous-sol.
Je croise son regard, satisfait, apaisé…
Et je sais ce qu’il vient de faire.
Je réalise aussi quelle victime il a choisie.
Non…
Non non non non non…
Je n’ai presque pas besoin d’y penser pour m’y rendre, ne prenant même pas la peine de fermer les yeux et je me retrouve en un instant devant la porte de la cave.
Le silence est oppressant. Je suis terrifié à l’idée de l’ouvrir et de découvrir ce qu’il y a fait. Mais je ne peux pas rester sans savoir…
Et je ne peux pas la laisser comme ça. Peu importe son état.
Je mets un temps infini à pousser la porte, comme dans un cauchemar et je relève lentement les yeux pour découvrir la scène. Mon regard glissant sur le sol sombre de la pièce, éclairée par plusieurs petites lampes à piles, jusqu’à ce que je rencontre des pieds écartés d’un bon mètre l’un de l’autre attaché par une corde pour l’un au pied d’un meuble, pour l’autre à la grille d’une bouche d’égout.
J’ai l’impression d’entendre mes mâchoires craquer alors que je serre les dents à me les briser. Mes pupilles découvrant peu à peu le reste de son corps meurtri, du sang s’écoulant encore de certaines de ses plaies au niveau du ventre et du thorax.
Et entre ses jambes…
Je ne veux pas savoir…
Jamais…
Je parviens enfin jusqu’à son visage, ses yeux grands ouverts sur le plafond sinistre de la pièce.
Lorsqu’elle tourne soudain ses iris d’un joli et naïf bleu clair vers moi.
-Mat… » Parvint-elle à m’appeler.
J’accours au son de sa voix, me retenant à grand peine d’éclater en sanglots en constatant qu’il n’a même pas eu l’humanité de l’achever…
Il savait…
Il voulait que je la découvre.
Mais je ne te laisserais pas la détruire, enfoiré, et quand je l’aurais soigné, tu vas payer pour ça.
Je tombe plus que je ne m’agenouille auprès d’elle et commence en tremblant à défaire ses liens, libérant péniblement ses poignets qu’il avait attachés à d’autres pieds de meuble pour lui maintenir les bras en croix.
Elle se met à sangloter.
-Chut chut… ça va aller Sarah tu verras. » Lui murmuré-je d’une voix tremblante, en me tournant vers ses jambes, évitant soigneusement de regarder ses sombres blessures. « Je vais m’occuper de toi… »
-Il a dit… » Parvint-elle à articuler entre deux sanglots. « Il a dit que personne ne viendrait si je criais… » Je tente encore de la rassurer comme je peux, mais je n’ose pas la prendre dans mes bras de peur de rajouter de nouvelles souffrances à ses blessures alors je me défais rapidement de mon manteau et le lui place sur le corps. « Et personne n’est venu… »
Ses larmes s’écoulent, mais elle n’a presque plus la force de pleurer.
-Chut chut… Je vais chercher de quoi te soigner d’accord ? » Mon ton devient de plus en plus suppliant. « Sarah, je suis là… »
Mais son regard se fait lointain, ses plaies ne semblent pas mortelles pourtant, mais il n’a pas eu besoin de ça pour la tuer.
-Sarah… »
-Il… Il m’a montré… Comment faire… » Chuchote-t-elle, ses sanglots ayant définitivement laissé place à une neutralité bien plus angoissante. « Si je voulais en finir… »
J’ai l’impression que mon sang se retire définitivement de mes veines.
-Ne l’écoute pas Sarah ! Ne te laisse pas faire par ce monstre ! »
Elle se tourne à nouveau vers moi, mais son visage change soudain. Ambre me fixe alors d’un regard froid, une fine ligne de sang s’écoulant en continu de sa narine.
-Tu ne l’as pas fait. » Déclare-t-elle d’une voix dure.
Je fronce les sourcils alors que des bruits diffus emplissent la pièce.
Oh putain…
S’ils pouvaient tous fermer leurs gueules…
Les bruits qui m’entourent sont insupportables alors que j’ai l’atroce sensation qu’on s’applique avec soin à me faire une séance d’acupuncture cérébrale. Avec des aiguilles de la taille de ma queue.
Vous faites chier bordel…
Je grogne, les yeux toujours fermés alors que je commence à discerner des voies plus claires parmi le brouhaha environnant.
-Luc ! Luc ! Mathias se réveille ! » Entends-je crier juste à côté de moi.
Ce qui ne contribue pas franchement à apaiser ma douleur.
Je reconnais la voix de Victor et ressens plus ou moins consciemment du mouvement autour de moi.
Les sons que je perçois deviennent soudain parfaitement compréhensibles et je comprends qu’il s’agit principalement de gémissements et de cris de souffrance.
Des frissons me parcourent et je tente d’ouvrir les yeux, sans succès.
Quelqu’un me saisit le poignet et place ses doigts de façon précise, avant de donner son avis presque instantanément.
-Il est sorti d’affaire. » Annonce la voix du médecin humain en me relâchant vivement. « Occupez-vous de lui et empêchez-le de se lever. » Je l’entends s’éloigner en vitesse.
Je grogne encore, frustré de ne pouvoir toujours rien faire lorsqu’une main se pose en soutien sur mon bras.
-Ça va aller Mat… Repose-toi. » Me propose Victor d’une voix inquiète.
Me reposer ? Au milieu de tout ça ?
Je tente encore une fois de soulever mes paupières et parviens enfin à discerner le visage de Victor, pâle et cerné.
Il me sourit, soulagé de me voir sortir de l’inconscience.
-Content de te revoir… » Me dit-il en soupirant.
Et je réalise enfin.
Le combat ! La collectionneuse ! Et ma disparition désespérée avec Ambre pour tenter de la sauver…
Je tente de me redresser, mais Victor place immédiatement sa main sur mon torse pour m’en empêcher.
-Reste tranquille. Ce n’est pas le meilleur moment pour énerver Luc. »
Je fronce les sourcils et grognes lorsque ma migraine augmente d’intensité en réponse.
-Où… Où sommes-nous ? » Parvins-je à articuler d’une voix pâteuse en me rallongeant, sans force.
-A l’infirmerie. » M’explique-t-il en regardant autour de lui d’un air soucieux. « On y a amené tous les blessés… »
Tous les blessés…
-Ambre… Est-ce que Ambre est… »
-Elle est vivante. » Me coupe-t-il. « Comme Valentin et Iris. Ils sont là aussi. Mais ne pense pas à tout ça Mathias. Il faut que tu te reposes maintenant… »
-Et la collectionneuse ! » Je m’écris soudain, tentant à nouveau de me redresser.
Un nombre incalculable de petites tâches colorées envahissent ma vision et Victor n’a pas besoin d’exercer une force importante pour m’obliger à retourner sur ma couche.
-Elle est morte Mat ! Calme-toi bon sang ! » S’énerve-t-il. « Je te raconterais tout si tu es sage c’est promis. »
J’ai un bref ricanement qui me donne la nausée.
-C’est moche le chantage Vic… » Parvins-je quand même à lui dire, les yeux à nouveau fermés.
-Tu ne me laisses pas vraiment le choix… »
Les sensations se font soudain lointaines et je sais que je vais sombrer d’ici quelques secondes.
Une dernière pensée parvient à transiter entre mes neurones abîmés.
Ils ont amené les blessés ici…
Et Ambre, Iris et Valentin en font partie…
Dans quel état sont-ils ?
Je reprends conscience dans un environnement bien plus calme que la fois précédente et parviens rapidement à ouvrir les yeux.
La lumière de la pièce est tamisée par les rideaux, tirés devant les fenêtres. Je constate que Victor est toujours là, endormi sur un fauteuil de visiteur, la tête reposant sur le mur derrière lui et la bouche grande ouverte. C’est certainement le ronflement qui en sort qui est parvenue à me tirer du sommeil.
Un autre rideau est tiré à ma droite et m’empêche de voir ce que contient le reste de la pièce
Je tente de me redresser, mais cesse vite mon exercice, l’environnement se mettant à tourner violemment autour de moi.
-Merde… » Je lâche, réveillant Victor en sursaut.
Il se lève rapidement et s’approche.
-Comment ça va ? » Me demande-t-il, en plaçant sa main sur mon torse par sécurité afin que je ne fasse pas de nouvelles tentatives.
Je cligne plusieurs fois des yeux pour remettre la pièce dans le bon sens avant de lui répondre.
-Ça, c’est vraiment une question à la con Vic… À ton avis ? »
Il lève les yeux au ciel.
-C’est toujours beaucoup mieux qu’hier… » Me répond-il en approchant sa chaise de mon lit et en s’y asseyant.
Il a beau vouloir que je reste dans cette position, ça ne va pas pouvoir être possible très longtemps. Je place mes coudes comme si je voulais à nouveau tenter de me redresser, mais il m’arrête vivement d’une main.
-Mathias ! Ne fais pas ta tête de mule ! » Me gronde-t-il.
-Faut que j’aille pisser Vic ! Alors sois tu me laisses faire, soit je prends ta tête comme urinoir ! »
Il soupire et lève la main pour tenter de me calmer.
-Attends une seconde s’il te plaît. »
Puis il se lève et part chercher quelque chose dans l’un des placards de la pièce.
-Tiens. » Me dit-il ensuite en me tendant une sorte de récipient en plastique blanc avec un embout assez long.
Je fronce les sourcils et le fixe une seconde.
-Qu’est-ce que c’est que cette merde ? » Je lui demande, pas franchement rassuré par l’engin.
-Un truc pour que tu puisses te soulager sans te lever. » Me répond-il avec un demi-sourire. « C’est une prescription médicale alors fais ce qu’on te dit. »
Je soupire et tente de placer l’objet de façon à pouvoir réaliser ce que j’ai à faire sans m’en foutre partout.
-Si tu as besoin d’aide… » Me propose Victor, se rendant vite compte que je ne suis pas très l’aise.
-Non, mais c’est bon ! Je sais encore me servir tout seul de ma bite ! Regarde ailleurs ! Sale pervers… »
Il se détourne en se retenant de rire et je parviens tant bien que mal à finir mes affaires, me rendant compte au passage qu’ils se sont contentés de me mettre une chemise d’hôpital pour tout vêtement.
Victor me tend ensuite du papier puis récupère mon récipient en silence.
C’est alors que je l’entends. Un râle. À faire froid dans le dos.
Je me retourne vers le rideau qui m’occulte la vue et Victor me rejoint à nouveau en une seconde.
-Bon. Tu veux savoir ce qui s’est passé ? » Me propose-t-il, peut-être, un peu trop vivement.
Je me tourne vers lui pour me rendre compte que son visage a perdu toutes ses couleurs.
-Victor, qu’est-ce qu’il… »
-Je t’expliquerais plus tard. » Me coupe-t-il nerveusement. « Tu veux savoir ou pas ? »
Je fronce les sourcils en l’observant, mais fini par hocher lentement la tête. Il se racle la gorge.
-Apparemment tu as croisé Iris et Valentin dans la forêt. Donc, tu sais déjà qu’ils ont quitté la centrale pendant la bataille en pensant parvenir à retrouver la collectionneuse. » Il marque un temps. « Et ils y sont bel et bien parvenus. »
Mes yeux s’écarquillent malgré moi.
-Non… » Je lâche, surpris que cette bande de bras cassés y soit arrivée.
-Et ce n’est pas tout. » Ajoute Victor, ayant du mal à contenir son sourire. « Iris a fait diversion et c’est Valentin qui s’est occupé de la collectionneuse. »
J’ouvre la bouche sans vraiment m’en rendre compte.
-Nooon… Tu plaisantes Vic ? »
-Pas du tout. » Me dit-il, sérieux cette fois. « Il a utilisé son pouvoir sur elle et est parvenu à retourner ses propres esclaves contre elle. Elle est morte d’une balle dans la tête, tirée par l’un d’entre eux. »
Cette fois, je ne peux même plus prononcer un mot. Il y a bien trop d’incohérence dans ce qu’il m’explique.
Valentin ? Un pouvoir ? Capable de tuer un éveillé aussi puissant ? On m’aurait menti depuis le début ?!
Victor tempère ensuite ses propos.
-Iris s’est fait tirer dessus, mais d’après Luc, ce n’est pas très grave, elle s’en remettra vite. »
Je la cherche bêtement des yeux.
-Elle est ici ? » Demandé-je, presque étonné de ne pas l’avoir déjà vue débordante d’énergie à côté de mon lit.
Victor se passe la main dans les rares cheveux qui lui reste, mal à l’aise.
-Non… On a réparti les blessés selon leur état. Ceux qui ne nécessitaient pas beaucoup de soins ne sont plus à l’infirmerie. »
Je fronce légèrement les sourcils.
-Ah… Et moi j’y suis toujours… » analysé-je. « Ça veut dire que je suis mourant ? »
Victor secoue la tête de droite à gauche, de plus en plus gêné.
-Non… Juste que tu as besoin d’une surveillance et de calme… » Il se racle la gorge. « Et puis Luc et Pascal ont jugé qu’il était plus sûr que les éveillés soient regroupés ensemble et séparé des humains… Au cas où de vieilles haines refassent surface… »
Je mets un temps infini à percuter ce qu’il me dit.
–Les éveillés ?… » Dis-je lentement. « Qui d’autre est… »
-Ambre. » Lâche-t-il un peu brutalement. « Elle est là aussi. »
Elle est là…
Je fixe soudain le rideau à côté de moi.
Victor me retient alors que je m’apprête à le tirer.
-Laisse-là pour l’instant. » Me dit-il avec douceur. « Pense d’abord à toi et ensuite… »
Cette fois je commence sérieusement à m’inquiéter.
-Qu’est-ce qu’elle a ? »
Il s’apprête à me répondre lorsque Luc entre soudain dans la pièce.
-Mathias est réveillé et il va beaucoup mieux. » Lui annonce vivement Victor, soulagé de pouvoir changer de sujet.
Luc me rejoint en quelques pas et me prend le poignet en silence. Il a les traits tirés et de gros cernes noirs. Il prend encore le temps d’examiner mes yeux avec sa lampe médicale avant de lâcher enfin quelques mots.
-On va pouvoir le mettre dans la pièce d’à côté. » Conclut-il d’un ton particulièrement détaché.
-Ah bon ? » S’étonne Victor. « Mais je croyais qu’il y avait… »
Il ne termine pas sa phrase alors que Luc secoue lentement la tête. Victor baisse la sienne et le médecin passe en silence de l’autre côté du rideau. Je n’ose pas comprendre de quoi il parle et me contente de fixer le plafond me passant lentement la main sur le visage.
Lorsque j’entends un nouveau râle.
-Victor ? » Demande soudain Luc. « Vous vous sentez capables de subir de nouveaux prélèvements ? »
Le musicien m’abandonne rapidement pour rejoindre le médecin derrière le rideau.
-Bien sûr. » Lui répond-il d’une voix douce. « C’est… pour elle ? »
-Tant que nous n’avons pas réglé ce problème de saignement, c’est notre seule façon de la maintenir. »
Ils parlent… d’Ambre ?
Cette fois, je n’attends pas d’autorisation et je saisis le rideau d’une main le tirant d’un coup sec.
-Non ! Mathias ! » Hurle Victor, se rendant compte que je n’ai pas sagement attendu qu’il revienne.
Durant une courte seconde, mon cerveau est abreuvé de visions d’horreur.
Ambre est allongée sur le côté, sur un lit qui tient plus de la table d’autopsie que du matelas d’hôpital. Elle est vêtue à la va-vite d’une chemise de patient qui ne couvre ni ses jambes ni ses bras ni même totalement le haut de son corps ou ses côtes sont bien visibles, comme sa hanche gauche. Son visage est inexpressif, d’une pâleur cadavérique comme le reste de son corps sur lequel je peux à peine percevoir ses cicatrices qui ne tranchent plus autant sur sa peau désormais blême. Ses yeux entre ouverts sont révulsés et un masque à oxygène lui recouvre le nez et la bouche qu’elle garde partiellement ouverte.
Mais ce qui heurte douloureusement ma conscience, ce sont les mains gantées et ensanglantées de Luc dans son dos. Et le sang qui semble s’être répondu en nappe sur le sol malgré le monticule de compresses qu’il lui avait appliqué et qui gisent en un tas rouge sombre dans la poubelle, au pied du médecin.
Je ne veux pas être là. Pas alors qu’elle est en train de crever juste à côté de moi et je tente instinctivement de disparaître. J’ai tout juste le temps de penser « Quel idiot ! » avant de sombrer, sentant mon propre corps se mettre à vibrer violemment.
Je reprends conscience alors qu’on bouge le lit sur lequel je me trouve.
-Vic ! » Appelé-je, ne parvenant pas à ouvrir immédiatement les yeux et inquiet à l’idée que je ne contrôle rien de ce qui se passe.
-C’est bon Mathias, je suis là. » Et je sens sa main sur mon épaule.
Mon lit achève sa route et je parviens enfin à rouvrir les yeux.
Victor me fixe d’un air inquiet.
-Putain Vic… » Lâché-je en me souvenant la raison de ma perte de conscience. « Dis-moi que c’est un cauchemar. »
Il me fait un petit sourire triste, mais ne parvient pas à me répondre.
-Merde… » Je conclus en refermant les yeux.
-Surveillez-le bien. » Ordonne Luc à Victor avant de s’en aller, sans rien ajouter.
J’écoute ma propre respiration pendant de longues minutes.
-L’a pas l’air en forme, le doc. » Finis-je pas dire, plus pour faire cesser ce silence oppressant et cette impression grandissante de pouvoir entendre les râles de souffrance d’Ambre dans la pièce d’à côté.
Victor soupire.
-Il a eu beaucoup de travail ces deux derniers jours. Il ne faut pas lui en vouloir… »
Je n’ai rien à répondre à ça, imaginant assez bien le nombre de blessés qu’il s’est sans doute acharné à sauver, et le nombre de pertes qui n’a probablement fait qu’augmenter au fil des heures.
-Qu’est-ce qui s’est passé Victor ? » Finis-je par demander d’une voix faible. « Pourquoi elle est comme ça ? »
Il fait le tour de la pièce du regard avant de se tourner à nouveau vers moi.
-Elle perd beaucoup de sang. Et Luc ne sait pas comment faire pour arrêter l’hémorragie. Il a bien tenté de fermer les plaies, mais… Elle continuait de saigner. Dedans. Alors il préfère autant que ça puisse s’évacuer. » Il se passe la main sur le visage, épuisé. « Ce serait à cause de ses lames… » Ajoute-t-il enfin en me regardant. « J’imagine que ce n’est pas le genre de pouvoir dont on peut abuser et… Elle les a beaucoup utilisés apparemment. »
Mon regard se perd alors que l’image d’Ambre et de ses nombreuses lames, déployées à tel point que j’avais du mal à en définir la longueur, me revient en mémoire.
C’est vrai que je ne l’avais jamais vu en sortir autant. Même lorsqu’elle se tordait de douleur sur le carrelage de la grande surface, en proie au venin de l’araignée de Greg.
-Mais… Elle va s’en remettre ? » Demandé-je sans vraiment y croire.
Victor met quelques secondes à me répondre.
-On ne sait pas. » Finit-il par lâcher. « Luc compense les pertes comme il peut avec des poches, de sang ou d’autres choses… » Il secoue la tête, peut-être, pour chasser les images. « Mais si les saignements ne diminuent pas… »
Il ne termine pas sa phrase. Il n’a pas besoin de le faire.
Ma position, inerte sur le lit, me devient vite insupportable et je tente une énième fois de me redresser. Victor se met à jurer en alsacien.
-Je te jure, Mathias, que si tu continues de faire ça… » Me dit-il, sur les nerfs, en me pointant du doigt. « Je demande à Valentin d’utiliser son pouvoir sur toi. Et je te signale au passage qu’il doit embrasser sa victime avec la langue pour le faire. »
J’ai un frisson de dégoût en imaginant la scène. Valentin en Dracula rachitique et moi, dans le rôle de la blonde à forte poitrine. Je me réinstalle sagement sur mon lit.
-C’est bon Vic, je vais être sage c’est promis. »
Ma réaction aura au moins eu le mérite de le faire sourire, même si ce n’est que brièvement.
Non ! pas encore !
Je place mon oreiller sur ma tête pour tenter de limiter les sons alors que les gémissements d’agonies d’Ambre me parviennent à travers la maigre cloison.
Putain ! Mais il peut pas lui foutre la paix !
C’est peine perdue, j’ai beau ne plus les entendre, je me mets à les imaginer, ce qui est bien pire en réalité.
Luc n’arrête pas de la torturer, lui refaisant son pansement dans le dos à une fréquence insoutenable, pour elle, vu ses réactions, mais pour moi aussi, qui doit endurer l’expression de sa souffrance au moins deux fois par jour, depuis quatre jours.
J’en ai marre et tant pis si Victor, quand il apprendra par Luc ce que j’ai fait, met sa menace à exécution.
Je me redresse lentement dans mon lit, prenant garde de le faire suffisamment en douceur pour ne pas avoir à nouveau ces puissantes sensations de vertige. J’y parviens après quelques minutes et balance mes jambes à l’extérieur.
J’attends que la pièce se soit stabilisée pour me lever et me tiens à tous les meubles disponibles pour rejoindre la chambre de la victime.
J’ouvre la porte en silence, pour découvrir la scène que je redoutais.
Ambre est toujours allongée sur le côté, l’autre, pour changer, ce qui fait que je ne vois pas son visage cette fois, mais l’arrière de ses jambes, ses fesses…
Et son dos.
Je serre la mâchoire et manque de faire demi-tour en courant.
Si seulement je le pouvais…
-Ça va aller Ambre, c’est bientôt fini. » Chuchote Luc d’une voix douce.
Un ton que je ne lui aie jamais entendue prendre avec personne.
Mais pas sûr que Ambre se rende compte de quoi que ce soit.
Elle se remet à gémir alors qu’il passe très doucement plusieurs compresses imprégnées d’antiseptique sur les cicatrices sanglantes de sa colonne vertébrale.
Et je me demande vraiment pourquoi il s’acharne de la sorte.
-Pourquoi tu lui mets pas de la morphine putain ? Tu vois bien qu’elle morfle là ! » M’exclamé-je, d’un ton aussi mauvais que possible.
Il se retourne brusquement vers moi, surpris, et je regrette immédiatement ma façon de lui parler alors qu’un éclat d’intense souffrance traverse son regard.
-Qu’est-ce que tu fais là Mathias ? » Me répond-il sèchement. « Retourne dans ton lit. Tu n’es pas en état de te lever et je n’ai vraiment pas envie de te ramasser par terre quand tu referas une crise. »
Je décide malgré tout de ne pas me laisser faire et prends la première chaise que je vois, m’en servant comme d’un appui tout en l’avançant dans la pièce, histoire que les plaies d’Ambre me soient moins visibles.
Puis je m’assois lourdement dessus.
-Voilà, je suis assis maintenant. Ça te va ? » Je lui réponds sur le même ton. « Et pour répondre à ta question, c’est un peu compliqué de pieuter quand la voisine d’à côté est à l’agonie. »
Son visage se crispe à nouveau à mes paroles, mais il choisit de m’ignorer et poursuis ses soins.
Ambre ne met pas longtemps à se remettre à gémir.
J’ai une furieuse envie de me percer les tympans.
-Mais arrête bordel ! Donne-lui quelque chose ! N’importe quoi ! » Éclaté-je, ne supportant plus son état.
Cette fois, Luc ne s’arrête pas et continue de nettoyer la plaie, le visage verrouillé.
-Je ne peux pas. » Murmure-t-il, et je comprends qu’il souffre peut-être autant que moi de cette situation. « Je lui ai déjà administré la dose maximale. Au-delà, je ne suis pas sûre qu’elle reste avec nous… »
Je l’observe un moment alors qu’il achève son soin et prépare plusieurs tas de compresses pour réaliser le pansement.
Et je me dis que je suis bien heureux de ne pas être à sa place. J’en aurais été incapable de toute façon.
Je décide de lui faciliter un peu ses activités et change de sujet pour le dérider.
-Comment va Iris ? » Je lui demande, connaissant déjà la réponse, puisqu’elle est venue me voir il y a deux jours avec Valentin et Victor.
-Elle se porte comme un charme. » Me répond-il, d’un ton plus léger, soulagé que je change un peu de sujet. « La balle n’a fait que traverser, elle a eu de la chance. »
Je poursuis dans ma lancée.
-Je n’arrive pas à croire que c’est Catman qui nous a sauvé les miches… » Lâché-je.
Il me lance un regard interrogateur.
-Catman ? »
-Ouais… Valentin. » Lui expliqué-je.
Il a un léger sourire de connivence.
-Ah… Oui c’est vrai… Ça peut surprendre. »
Un sourire qui disparaît bien vite lorsqu’il tente de placer ses différents tas de compresses pour fermer les plaies d’Ambre.
Elle ne gémit plus.
Mais lâche un râle qui me fait frémir, qui me donne envie de me téléporter à nouveau, loin, très loin d’ici.
Je me passe la main sur le visage avant d’oser énoncer ce que je pense depuis le début.
-Putain… » Je lâche d’une voix blanche. « Est-ce qu’elle va s’en remettre doc ? Je veux dire… » J’hésite à poursuivre, puis décide de le faire malgré tout. « Ce ne serait pas mieux si… Si on abrégeait tout ça ? »
Il poursuit son travail avec soin durant de longues minutes et je commence à me dire qu’il ne me répondra pas. Mais une fois son pansement achevé, il se tourne vers moi.
-Je ne sais pas… » M’avoue-t-il à voix basse. « Elle a passé les cinq premiers jours, ce qui est déjà un petit miracle. » Il enlève ses gants, les jetant dans la poubelle pleine de compresses tâchées de sang, puis se frotte les yeux. « Je pense que je vais la mettre dans le coma à partir de demain. Je peux mieux la surveiller maintenant que j’ai soigné les autres… »
Nous gardons le silence un moment, chacun pris dans ses propres pensées.
-Il y a l’enterrement de Frank demain. » Me dit-il soudain. « Pascal a voulu faire quelque chose de particulier pour lui… »
-Ouais, je sais. » Je lui réponds d’un ton neutre. « Mais ça m’étonnerait que les éveillés soient invités de toute façon. »
Je fixe la nuque d’Ambre à quelques mètres.
C’est Victor qui m’a appris sa mort hier. J’ai eu du mal à définir ce que j’ai ressenti sur le moment, mais il est clair que ça m’a tout de même fait quelque chose. La vérité, c’est que je n’imaginais pas qu’il puisse se faire tuer si facilement.
Mon regard glisse sur la pièce et tombe sur la poche de sang qui est en train de passer, tentant désespérément de renflouer les pertes interminables d’Ambre.
-Y en a eu combien aujourd’hui ? » Demandé-je en faisant un signe de tête vers le plastique presque vide.
Luc se retourne pour comprendre de quoi je parle.
-Six. » Déclare-t-il simplement. « Heureusement que nous avons une réserve quasi inépuisable. »
J’ai un rire sans joie en pensant à Victor et à son visage, de plus en plus pâle ces derniers jours.
-Ouais… Faudra quand même bien que ça diminue un jour. » Lâché-je, pas vraiment ravi à l’idée qu’on se serve de lui comme d’un distributeur automatique.
Luc se lève et rabat le maigre vêtement d’Ambre sur elle. Puis il ajoute une couverture de survie.
-J’ai l’impression que ça s’arrange. » Dit-il en rangeant ses affaires. « Avec un peu de chance… »
Mais il n’ose pas achever sa phrase. J’expire profondément.
Ouais… Avec un peu chance…
Je me redresse lentement de ma chaise et entreprends de retourner dans ma chambre.
Les choses sont nettement plus supportables maintenant qu’elle est dans le coma.
Au moins, elle ne souffre plus. Ou en tout cas, ça ne se voit pas, son visage conservant un air paisible même lorsque Luc s’occupe de ses plaies.
Je vais la voir au moins une fois par jour, restant parfois plusieurs heures avec elle, écoutant le bruit continu des machines qui l’entourent et qui surveillent ses constantes et lui administrent les produits nécessaires à son sommeil artificiel. Et je me demande à quoi elle pense durant tout ce temps.
Est-ce qu’elle rêve ? Revit-elle sa vie d’avant ? D’avant la catastrophe ? Quand elle avait encore une famille, des amis… et qu’elle n’avait pas besoin de sans cesse se battre pour vivre ?
Moi j’y repense en tout cas. Son état m’évoquant malgré moi celui de mon petit frère. Tout à la fin de son calvaire.
Je n’ai que ça à faire, puisque Luc m’interdit toujours de quitter l’infirmerie par sécurité. C’est vrai que je ne suis pas encore très stable sur mes jambes et que je ne vais certainement pas me risquer à me téléporter pour compenser.
Je l’observe un moment, sa poitrine se soulevant avec une artificielle régularité. Luc l’a enfin installé de façon plus conventionnelle, sur le dos, maintenant que ses saignements ont bien diminué, et elle donnerait presque l’impression de dormir, allongée sur son matelas à air, avec une épaisse couverture qui la recouvre jusqu’aux épaules.
J’expire lentement lorsque Victor pénètre dans la pièce.
-Je savais que je te trouverais là. » Me dit-il.
Je le détaille une seconde puis sourit.
-Tu as meilleure mine Vic. Depuis que l’autre vampire là a arrêté de te vider… » Dis-je d’un ton neutre en désignant l’éveillée endormie.
Il me sourit en retour et se tourne vers Ambre.
-Comment va-t-elle aujourd’hui ? » Me demande-t-il par habitude.
Je lève les yeux au ciel.
-Comme hier… Et avant-hier… Et avant avant-hier… Tu comptes vraiment me poser la question à chaque fois ? »
Il hausse les épaules.
-Et toi, comment tu vas ? » Me demande-t-il alors.
Cette fois je me mets à rire franchement.
-Comme hier… Et avant-hier… Et avant avant-hier… »
Il soupire, las.
-Mais que veux-tu que je te dise d’autre ? Il ne se passe rien à l’extérieur. La colonie est toujours en deuil et elle se reconstruit doucement… Il y a eu beaucoup de cadavres à brûler… »
Son visage se crispe à cette pensée.
-Et comment vont Iris et Valentin ? » Demandé-je. « Le gosse avait pas l’air bien la dernière fois… »
Victor hoche la tête.
-Il est un peu inquiet. » Avoue-t-il. « Il ne pense pas que la mort de Frank soit un hasard… » Je hausse les sourcils, surpris. « Mais il n’a aucune preuve donc… »
Nous gardons tous les deux le silence, réfléchissant.
-Ouais ben… C’est vrai que si les humains décident de se débarrasser de nous… » Et je fais un signe de tête vers Ambre. « C’est le bon moment pour le faire. »
Victor se met à grogner.
-Pascal ne nous trahirait pas… »
-Pascal n’est pas la colonie. » Le coupé-je brusquement. « Il en représente une partie, mais ça ne m’étonnerait pas que ça en démange certains de venir lui régler définitivement son compte. » Dis-je en désignant Ambre du menton. J’expire lentement par le nez. « Et le nôtre au passage. »
Il laisse passer quelques secondes avant de conclure.
-Je ne sais pas… »
Tu ne sais pas ?
Ben moi je sais… Et ça m’étonne même que personne ne soit encore venu pour essayer…
J’en ai marre d’avoir raison.
Je tente bêtement d’avoir le dessus sur cet enfoiré, mais, d’un violent coup de crosse bien placé sur mon crâne, il me calme instantanément.
Je me retiens de tomber en agrippant le lit d’Ambre, m’étalant presque sur ses jambes alors que de larges taches sombres me passent devant les yeux.
Saloperie d’humain… Tu ferais moins le malin si j’étais en pleine forme.
-Ça fait mal un coup de crosse hein ? » Me lâche-t-il, avec un sourire plein de haine. « La prochaine fois, je me contenterai pas de ça, enfoiré de téléporteur. »
Il se rapproche de moi, plaçant son visage à quelques centimètres seulement du mien.
-A ta place, je m’attacherais pas trop. » Me chuchote-t-il encore juste avant de s’éloigner d’un pas vif.
Je demeure immobile quelques secondes supplémentaires avant que les gémissements désespérés d’Ambre ne me ramènent à la réalité.
-Merde… » Je me redresse tant bien que mal. « Attends Ambre… Je vais chercher Luc. Je fais vite. »
Et je ne perds pas plus de temps, courant aussi vite que possible dans les couloirs, rejoignant l’étage où se trouve la chambre du médecin.
Je l’ouvre en grand.
-LUC ! » Hurlé-je pour le réveiller.
Il sursaute dans son lit et allume rapidement la lumière de sa table de chevet.
-Y a un enfoiré qui a réveillé Ambre ! » Je lui synthétise alors qu’il se lève d’un coup, comprenant que je ne viendrais pas de la sorte le chercher si ce n’était pas urgent.
Il me passe devant en courant, ne m’attendant pas pour rejoindre sa chambre. Lorsque j’arrive quelques secondes plus tard, la lumière froide des néons inonde la pièce et je l’entends jurer. Je le vois découvrir prestement le buste d’Ambre avant de placer deux plaques rectangulaires, une sur son sternum, l’autre sur ses côtes du côté gauche.
Et je n’ai pas besoin qu’il me l’explique pour comprendre.
-NON ! » Je me mets à hurler.
Et je m’approche vivement d’elle.
-Vous savez masser ? » Me demande-t-il en s’activant, préparant plusieurs seringues de médicaments.
J’ai la sensation de me prendre une claque alors que je revois Ambre, complètement shooté, aux côtés d’Iris après son enlèvement.
« Faut… Faut faire un ma… Massage cardiaque. » Était-elle parvenue à me dire.
« De… Quoi ? Ambre j’ai jamais fait ça ! » Avais-je répondu, paniqué.
En réalité, j’en avais bien fait un, sur un mannequin en plastique, plus de quinze ans en arrière.
Mais cette fois, je ne peux pas me débiner.
Luc descend le lit d’un geste brusque pour me permettre de travailler plus facilement et je place mes deux mains, l’une sur l’autre, sur le sternum d’Ambre, les bras bien tendus.
-N’oubliez pas que la cage thoracique doit s’enfoncer de cinq centimètres. Sinon, autant ne rien faire. » M’annonce-t-il froidement en injectant quelque chose dans le tube qui relie le bras d’Ambre à ses poches.
-Putain de merde. » Je lâche.
Avant de commencer.
Je ne mets pas longtemps à entendre un sinistre craquement.
-Continuez ! Ne vous arrêtez pas ! » M’ordonne Luc. Juste avant que l’appareil ne se mette à parler. « STOP ! Éloignez-vous ! »
-Mais vous m’avez dit de… »
Il me pousse brutalement, me forçant à cesser mes compressions, puis il appuie sur le bouton de l’engin.
Le thorax d’Ambre se soulève légèrement.
-Recommencez ! » M’ordonne-t-il à nouveau.
-Putain Luc ! Faudrait savoir où vous avez mal ! » Mais je lui obéis néanmoins.
-La ferme Mathias ! C’est pas le moment… »
Au bout de quelques secondes, l’appareil demande une nouvelle décharge et cette fois je m’éloigne sans attendre de signe du médecin. À nouveau son corps qui se tend. Mais ses yeux entre ouverts semblent toujours aussi vides. Et à nouveau je me remets à masser.
Cette fois je commence à paniquer.
C’est pas vrai…
Elle va pas crever maintenant à cause de cet enfoiré de mes deux ! Qu’elle y soit passée il y a quelques jours d’accords !
Mais pas maintenant !
-Putain de bordel de merde Ambre ! Tu fais chier ! Reviens ! » Commencé-je à crier.
Luc se contente de me chasser une nouvelle fois avant d’enclencher une troisième décharge. Qui ne donne rien de plus.
Cette fois je pète un câble. Je m’acharne sur son corps, ignorant le bruit de ses os que j’ai l’impression d’entendre céder les uns après les autres.
-PUTAIN ! FAIS CHIER ! SALOPERIE DE CŒUR DE MERDE ! TU VAS MARCHER OUI ! » Luc me fait signe de m’éloigner, le visage déjà résigné. Et je manque d’éclater inutilement en sanglots. La décharge passe et je n’attends pas qu’il me le demande pour replacer mes mains sur son thorax. « BORDEL DE SALOPERIE DE PUTAIN D’ENFOIRÉ DE MERDE ! LUI DONNE PAS CE PLAISIR ! JE TE JURE QUE JE T’ACHÈVE MOI-MÊME SI TU REVIENS PAS AMBRE ! »
-Arrête de crier Mathias ! C’est bon elle est de nouveau parmi nous. » S’exclame soudain le médecin.
Je cesse immédiatement mes mouvements, mais mets quelques secondes à comprendre. Puis je retire lentement mes mains de son corps.
-Il faut parler à Pascal de ce qui s’est passé. On ne peut pas laisser faire ça. » Déclare Luc en ajustant le débit des différentes perfusions.
Je reprends mon souffle, me tenant au lit de la ressuscitée pour récupérer. Maintenant que l’adrénaline redescend lentement, je sens à nouveau la douleur à ma tempe droite où j’ai reçu le coup de crosse et une intense fatigue me saisit.
-Putain… j’ai hâte de récupérer mes pouvoirs pour pouvoir arracher les couilles de cet enfoiré. » Lâché-je avec une folle envie de lui régler son compte dans la foulée. Avec ou sans ma téléportation.
-Ce n’est pas aussi simple Mathias. » Tente de me calmer Luc. « Chaque élément de la colonie a son utilité. On ne peut pas supprimer des membres aussi facilement… Surtout avec toutes les pertes que nous avons subies récemment… »
Ben voyons…
Et perdre les éveillés ça ne compte pas alors ?
-Rien à foutre Luc ! S’il s’approche encore… »
-Je vais fermer l’infirmerie à clé pour éviter ce genre de surprise, mais… Il va falloir être plus vigilant à l’avenir. »
Il lui injecte encore un produit et je finis lentement par me calmer, bien conscient que je ne suis pas en état de tenter quoique ce soit.
-Ses yeux sont toujours ouverts… » Dis-je en me rendant compte qu’Ambre fixe encore le plafond, ses pupilles bougeant lentement de droite à gauche.
-Elle va les fermer, ne t’en fais pas. » Me rassure-t-il.
Et effectivement, quelques secondes plus tard, son visage reprend ses traits détendus, comme s’il ne s’était rien passé.
Luc retire les électrodes de son torse. Des hématomes commencent déjà à se former à l’endroit où je l’ai comprimé. Il rabaisse ensuite sa chemise d’hôpital sur son corps avant de remonter avec douceur la couverture.
Je secoue la tête.
-Elle ne s’en remettra pas. » Déclaré-je soudain, en proie à un puissant accès défaitiste.
Il se tourne vers moi, un peu surpris par mes propos.
-Elle est plus solide qu’elle n’en a l’air. » Me rassure-t-il. « Un peu comme Valentin et ses pouvoirs surprises. » Ajoute-t-il après un court temps de réflexion.
Je lâche un ricanement avant de me calmer à nouveau.
-Va te reposer. » Me propose-t-il. « Tu as une méchante bosse sur le crâne et cette activité physique imprévue ne va pas franchement t’aider à récupérer. » Je le fixe une seconde avant de me tourner vers Ambre et il comprend immédiatement ce que je veux dire. « Je reste ici Mathias. Va dormir. Tu prendras le relais demain matin. »
J’expire à fond et me dirige lentement vers ma chambre avant de m’écrouler littéralement sur le lit.
-Ambe ? » Entends-je une petite voix aiguë me tirer du sommeil.
J’ouvre les yeux et constate qu’il est probablement déjà tard dans la matinée, une belle lumière jaune inondant ma chambre.
-Pourquoi elle dort ? » Demande une autre voix, celle d’un petit garçon.
Bastien ?
Je me lève aussi rapidement que possible et rejoins en toute discrétion la porte entrouverte de la chambre d’Ambre.
Ses deux gosses sont là, accompagnés de Pascal. La gamine prend la main de son ancienne mère de substitution et la lui serre, espérant sans doute obtenir une réaction de sa part.
-Elle est blessée, donc c’est mieux pour elle de dormir pour l’instant. » Lui explique gentiment Pascal. « Comme ça, elle n’a pas mal. Tu comprends ? »
Je me rends compte que c’est l’occasion de lui parler de ce qui s’est passé hier, mais j’hésite à entrer dans la pièce avec les enfants. Je ne les ai pas vraiment revus depuis que je les ai kidnappés, puis sauvés, il y a plusieurs mois de ça. C’est à peine si j’ai croisé la fille lorsque nous étions tous devant l’infirmerie quand nous avons appris la maladie du gosse. Et j’ignore comment ils vont réagir si je me pointe devant eux comme une fleur.
Je suis tellement pris par mes pensées que je n’entends pas le pas de Luc alors qu’il arrive dans mon dos.
Je sursaute lorsqu’il passe la main devant moi pour ouvrir la porte en grand et nos regards se croisent. Il a un petit sourire qu’il efface vite lorsqu’il s’adresse à Pascal.
-Pascal ? Il faut qu’on parle de quelque chose d’important. » Il se tourne ensuite vers moi. « Puisque tu es là, tu peux les garder ? »
Je mets quelques secondes à comprendre.
Non, mais… J’ai vraiment la gueule d’une nounou ?
Je m’apprête à lui répondre lorsque Pascal me devance.
-Merci Mathias. » Me dit-il alors que je n’ai pas pu en placer une. « Je n’en ai pas pour longtemps. »
Et ils s’éclipsent tous les deux, me plantant là, comme un putain de dispositif de sécurité pour enfant. Je tourne lentement la tête vers les gosses ne sachant pas vraiment à quoi m’attendre.
Ils me fixent un instant les yeux ronds. Si Bastien me reconnaît assez vite, Cat met quelques secondes de plus à se souvenir de moi. Et soudain, elle accourt jusqu’à moi, sautillant joyeusement.
-Gentil monstre ! » S’exclame-t-elle en me sautant dans les bras.
Je reste parfaitement immobile pendant, ce qui me paraît une éternité, avant de comprendre, en voyant Cat me saisir les avant-bras et s’appuyer dessus, ce qu’elle cherche.
Je lève les yeux au ciel. Après tout, je lui dois bien ça. Je la soulève avec facilité du sol et la cale entre mon bras et mon torse en position demi-assise. J’avance avec précaution dans la pièce, mais Bastien ne semble pas beaucoup m’en vouloir non plus. Il me désigne Ambre du doigt.
-C’est quoi ça ? » Il fait mine de se mettre un doigt dans la bouche.
J’ai un regard pour Ambre et le tuyau qui s’enfonce dans sa gorge, l’aidant à respirer depuis qu’elle se trouve dans le coma.
-C’est juste… Juste un tuyau pour… euh… » J’ai du mal à trouver les mots, éprouvant déjà des difficultés à assimiler moi-même sa situation. « C’est comme une paille, mais pour adulte. » Finis-je par lâcher bêtement.
Bastien fronce les sourcils.
-Une paille ? » Il se retourne vers le corps inanimé d’Ambre. « Mais pour faire quoi ? »
Je soupire, gêné, ne sachant pas vraiment comment me dépêtrer de cette situation.
-Tu comprendras quand tu seras plus grand. » Lâché-je, en désespoir de cause.
Bon sang… C’est vraiment pas mon truc les gosses.
Je repose Cat au sol et la laisse faire le tour du lit.
-Et ça, c’est quoi ? » Me demande encore Bastien en me désignant une poche d’un liquide blanchâtre, relié au bras d’Ambre par un tube assez fin.
-J’en sais rien Bastien. » Finis-je par admettre en soupirant. « Faut demander au Doc pour ce genre de question. »
Je me reconcentre brièvement sur Cat, alors qu’elle semble jouer avec quelque chose de l’autre côté du lit.
-Qu’est-ce que tu fais ?… » Demandé-je en m’avançant vers elle, un peu inquiet qu’elle puisse toucher à quelque chose d’important.
Je la trouve en train de manipuler une sorte de sachet plastique, accroché au lit. Un sachet plastique remplit d’un liquide jaune.
-Non ! Lâche ça ! » M’exclamé-je, croyant comprendre de quoi il s’agit.
Juste avant qu’elle n’appuie sur le dispositif permettant la sortie du liquide.
Je la saisis par les aisselles et la recule brusquement alors que les urines d’Ambre s’échappent de la poche pour atterrir en une flaque odorante sur le sol, m’éclaboussant les pieds au passage.
Je ferme les yeux en soufflant lentement par les narines, maintenant toujours Cat au-dessus du sol.
Celle-ci semble beaucoup s’amuser de la situation, puisqu’elle éclate de rire, entraînant son frère avec elle.
Mais putain ! Qui a eu l’idée d’amener ces gosses ici ?! Et de me les laisser en plus !
Je pose Cat un peu plus loin et contemple les dégâts.
Sympas Ambre… Je te sauve la vie et toi… Tu me pisses dessus.
Je ne sais pas pourquoi, mais étrangement, ça m’évoque beaucoup la façon qu’elle avait de se comporter avec moi, surtout au début, lorsqu’elle me rabrouait systématiquement, quoi que je fasse.
Je cherche des yeux quelque chose susceptible de m’aider sans que j’aie beaucoup à marcher pour éviter d’en foutre partout, et mon regard tombe enfin sur un rouleau d’essuie-tout, un peu plus loin sur un plan de travail.
Je me tourne vers les enfants, les désignant du doigt.
-On ne touche plus à rien ! C’est clair ? » Leur ordonné-je alors qu’ils rient tellement fort que Cat se roule par terre.
-Gentil monstre plein de pipi ! » S’exclame Bastien avant de se tordre de rire à nouveau.
Je râle, avant de récupérer un bon paquet de feuilles et de m’essuyer les pieds avec.
Luc et Pascal choisissent cet instant précis pour revenir dans la pièce.
-Mais qu’est-ce qui se passe ? » Demande Pascal en constatant la situation.
Je lui fais un pouce, du sopalin plein d’urine dans la main.
-Super idée d’amener les gosses ici hein ?! Vraiment génial… » Et je poursuis mon nettoyage de fortune, balançant d’autres feuilles au niveau de la flaque pour éponger un maximum de liquide.
Luc soupire.
-On ne peut pas te laisser seul cinq minutes… »
-Mais c’est pas moi ! » M’indigné-je, et je désigne Cat du doigt. « C’est elle qui a ouvert ce truc… »
Mais Luc n’est pas vraiment sensible à ma défense.
-Ramenez les enfants Pascal, je crois qu’ils l’ont assez vu aujourd’hui. Il y a une douche en haut Mathias. Va te laver. Il fallait que tu y passes de toute façon… »
Je sors lourdement de la pièce, me rendant compte après quelques pas que j’ai toujours un bout de sopalin collé au pied. Je me l’enlève rageusement et monte les escaliers pour rejoindre la salle de bain.
Fais chier…
Pourquoi ce genre de choses n’arrive toujours qu’à moi ?
-Mathias ! » M’appelle Victor depuis le salon. « Viens pars ici ! J’ai besoin de toi ! »
Je grogne et me dirige vers lui, quittant le fauteuil que j’avais installé dans la cuisine pour être enfin un peu tranquille. Et seul pour une fois.
Je remarque immédiatement qu’il a installé de quoi refaire le pansement d’Ambre et qu’il s’apprête à la faire basculer sur le côté pour avoir accès à son dos.
-Qu’est-ce qu’il y a ? » Je lui demande naïvement, espérant vainement qu’il ne compte pas me recruter pour la maintenir en position durant sa séance de torture.
-Iris et Valentin sont partis chercher du matériel dans une pharmacie. Mais elle a beaucoup saigné cette nuit et Luc a bien écrit qu’il fallait le lui refaire rapidement si c’était le cas…
Et merde…
C’était bien ce que je pensais.
Une petite partie de moi se dit qu’on aurait peut-être mieux fait de se faire chopper par Laurent et sa clique en fin de compte.
J’ai un mouvement de recul involontaire.
-Victor… Je peux pas… Me demande pas ça… »
-Je n’ai pas le choix Mathias ! » Me répond-il les sourcils froncés. « Tu crois vraiment que ça m’amuse ? Je ne te demande pas de le lui refaire, je veux juste que tu la tiennes. »
J’avale ma salive.
Depuis la mort de Timoe, j’ai toujours eu du mal avec les soins médicaux, leur aspect froid, antiseptique, dénué d’humanité.
Je pensais que ça s’atténuerait avec le temps, mais depuis notre départ précipité de la colonie, j’ai de plus en plus de difficulté à supporter ceux que l’on est contraint de faire à Ambre.
-Vic… » Tenté-je encore de l’amadouer.
Mais il me fixe d’un air dur et je finis par m’approcher. Je m’agenouille aux côtés de notre chef de clan et pose mes mains au niveau de ses épaules.
Elle a l’air tellement paisible pour l’instant, ses souffrances atténuées par la dose de morphine que vient probablement de lui injecter Victor.
Mais je sais que ça ne va pas durer.
-Un… » Commence Victor en plaçant ses propres mains sur sa hanche. « Deux… » Je serre les dents et me retiens de fermer les yeux. « Trois. »
Elle lâche un cri atroce alors qu’on bouge brusquement son corps pour la placer sur le côté, semblant se réveiller avec violence de son long sommeil. C’est une façade, je l’ai vite compris quand Iris a tenté de la calmer en lui parlant doucement. Mais Ambre n’entend pas ce qu’on lui dit. Ou ne le comprends pas.
Parce qu’elle n’est pas là. Seul son corps est encore présent dans la pièce. Et elle ne le réintégrera peut-être jamais.
Elle émet de longs gémissements alors qu’il lui retire son ancien pansement, mettant à jour les cicatrices, une fois de plus, ensanglantés, de son dos. J’ai l’impression de ne plus pouvoir respirer. Ses plaintes augmentent encore d’intensité alors qu’il les lui nettoie, ôtant soigneusement la couche de sang coagulé qui s’y était formé et nous les redécouvrons une fois de plus.
Leurs courbes délicates sont toujours là, mais elles ont perdu leurs blancheurs immaculées et sont devenues noires. D’un noir d’encre profond qui représente bien le néant dans lequel elles ont plongé notre éveillée.
Victor met un temps fou à achever sa tâche, ses mains tremblant de plus en plus, à mesure que les gémissements d’Ambre se muent en pleurs puis en râles. Elle a enfin perdu connaissance lorsque nous la rallongeons sur son lit de fortune et je me lève comme si j’étais monté sur un ressort avant de quitter précipitamment la pièce.
Je ne vais pas pouvoir continuer comme ça. Ce n’est pas possible.
Ou alors la prochaine fois, je l’achève pour de bon. Au moins, elle ne souffrira plus.
Nous avons encore changé de planque, Laurent et ses sbires étant toujours à nos trousses et nous nous rapprochons progressivement de notre objectif initial.
La colonie humaine de Stuttgart.
Victor croit dur comme fer qu’ils vont nous aider. J’ai beau tenter de le ramener à la réalité en lui rappelant que nous sommes un clan d’éveillé en fuite, sans ressources au presque et avec très peu de pouvoir, mais il n’en démord pas.
Alors que nous finissons d’installer Ambre au sol, il me fait signe de le suivre, un peu à l’écart des autres.
-Je comprends tes réticences Mathias. » Me dit-il d’entrée de jeu. « Mais si on n’essaye pas ça… »
-On peut très bien s’en sortir sans eux. » Le coupé-je. « On l’a bien fait jusque-là. »
Il secoue la tête.
-On ne sait pas combien de temps Ambre va rester dans cet état… Ou seulement si elle va vraiment finir par revenir à elle. » Il se passe la main sur le visage en soupirant. « Luc m’a avoué qu’il y avait une certaine probabilité qu’elle ne reprenne jamais connaissance. Qu’une partie de son cerveau soit mort alors qu’elle manquait de sang pour l’irriguer… » Je serre les dents devant ses aveux, dont il n’avait pas jugé bon de me faire part jusqu’à maintenant, portant seul le poids de cette information. « Il faut trouver des alliés Mathias. Nous n’avons pas le choix. »
J’expire lentement et me tourne brièvement vers Iris et Valentin.
-Ils ne sont pas au courant. » Ajoute-t-il en suivant mon regard.
Je hoche la tête, comprenant pourquoi il a préféré garder le secret.
-On y va tous les deux alors. » Lui dis-je. « On laisse Valentin et Iris s’occuper d’Ambre. Au moindre problème, je les rejoins et on se barre. » Je le fixe intensément. « Et je ne pourrais pas venir te chercher Victor. »
Il baisse les yeux un instant.
-Je sais. » Me répond-il dans un souffle. « Je prends le risque. »
Nous restons une seconde supplémentaire face à face, prenant pleinement conscience des dangers de cette mission suicide, avant de nous séparer.
J’espère que l’ex de Victor ne tente pas de se venger de lui en nous envoyant là-bas…
Les femmes peuvent parfois devenir de vraies poufiasses quand on les blesse.
Nous sommes partis tôt dans la matinée, donnant le change auprès des deux autres pour qu’ils ne perdent pas espoir.
J’ai laissé Victor parler. Je ne suis pas aussi bon menteur que lui et je n’avais pas le courage d’essayer.
De toute façon, Valentin a bien senti qu’il y avait un problème, mais pour la même raison que nous, il n’a rien dit et s’est contenté de hocher la tête pour ne pas inquiéter Iris.
Nous marchons lentement, rejoignant progressivement la ville alors que nous ne savons même pas où la colonie s’est réellement établie. Je remarque que les rues ont été nettoyées de leurs cadavres, ce qui signifie au moins qu’ils se planquent dans les environs.
Alors que nous rejoignons un carrefour, des humains, lourdement armés se mettent soudain à sortir des bâtiments et des rues alentour.
Oh oh… Je n’aime pas ça.
Mon cœur s’accélère sensiblement et je me prépare à m’échapper à tout moment. Ma téléportation est encore fragile, mais si je fais le voyage en plusieurs fois, je ne devrais pas avoir trop de mal à rejoindre le reste de notre clan.
Enfin… Si j’en ai l’opportunité.
Victor n’en mène pas beaucoup plus large et attend patiemment le bon moment pour se mettre à parler. Alors que les humains nous encerclent totalement, il finit par se racler la gorge.
-Nous sommes des éveillés. » Commence-t-il en français et je lève les yeux au ciel devant les premiers termes qu’il choisit d’énoncer. « Ceux de la colonie de Fessenheim. » Ajoute-t-il rapidement, ce qui est déjà mieux. « Nous venons en paix. » Conclut-il devant les armes qui nous mettent en joue.
Nous attendons tous les deux un long et pénible moment avant que l’un des humains finisse par prendre la parole. Il parle en allemand à l’un de ses collègues, mais je crois reconnaître un prénom dans sa phrase. Un certain Didier.
L’homme quitte le cercle qui se referme immédiatement. J’imagine que ce doit être leur chef ou quelque chose comme ça.
-T’étais pas censé leur parler en allemand ? » Je chuchote tout en gardant un œil sur nos adversaires.
-Je me suis dit qu’au moins ils auraient la preuve qu’on était bien français… »
Génial le plan… Maintenant il y a un risque qu’ils n’aient absolument rien compris à ce qu’on leur a dit…
Le fameux Didier apparaît enfin, un type d’une soixantaine d’années, les cheveux gris et une barbe abondante. Au moins il n’est pas armé, ce qui est déjà de meilleur augure pour nous.
Il nous jauge tour à tour un instant avant de s’exprimer.
-Vous venez de la colonie de Fessenheim ? » Nous demande-t-il et Victor acquiesce d’un hochement de tête. « Il me semble que leur clan d’éveillé est plus important… »
Victor change d’appui, mal à l’aise, alors que je me raidis de plus en plus.
-Nous avons préféré laisser les autres en arrière, au cas où nous ne soyons pas les bienvenus. » Explique-t-il, sincère.
Putain Victor ça sert à rien d’être gentil avec ce genre de type…
-En effet. » Réponds l’autre. « Vous ne devriez pas l’être. »
Et merde.
-Comment ça… » Hésite Victor, faisant malgré lui un pas en arrière.
-Votre colonie nous a contactés. » Nous explique-t-il. « Apparemment, ils vous recherchent. Pour trahison. »
Et voilà…
Victor écarquille les yeux.
-Mais c’est faux ! Nous n’avons rien fait ! Ce sont eux qui veulent nous éliminer ! » Se défend-il.
Même moi, je peux entendre le désespoir dans sa voix.
-Je veux bien vous croire. » Nous annonce l’autre faux-cul. « Mais pour ça, il va falloir que vous nous ameniez au reste de votre clan. »
Cette fois, je ne laisse pas le temps à Victor de répondre.
-C’est ça ouais ! Pour que vous nous butiez tous les uns après les autres ! » M’exclamé-je hors de moi et je me tourne vers Victor. « Ces humains ne sont pas mieux que ce connard de Laurent ! Je te l’avais dit ! »
Je m’apprête à me téléporter, mais il tente de me retenir.
-Attendez ! Quelle preuve vous faut-il pour que vous nous croyiez ? » Supplie Victor en me tenant le bras.
Didier inspire profondément.
-Amenez-nous à la grande éveillée, et je vous laisserais votre chance. »
Je lâche un bref ricanement avant de disparaître sans attendre que Victor ne me retienne une fois de plus.
Ma téléportation me fatigue bien plus que ce que j’espérais et je me retrouve à devoir faire des pauses entre deux disparitions pour éviter de m’écrouler d’épuisement.
Allez putain tu y es presque…
Tu vas pas les laisser tomber maintenant alors vas-y bordel…
Je rejoins enfin notre planque au beau milieu d’un petit village allemand, à tout juste quelques kilomètres de Didier et de sa colonie de merde. Je parcours les derniers mètres en courant et passe enfin la porte. Iris et Valentin m’attendent de pied ferme, Bastet les ayant sans doute déjà prévenus de mon arrivée imminente.
-C’est des connards. Faut se barrer. » Résumé-je notre entretien avec la colonie. Je tente de saisir mon arme que je porte habituellement à la ceinture, pour me rendre compte qu’elle n’y est plus et que je l’ai sans doute abandonné au cours de mes multiples téléportations.
Fais chier…
Mais je me retiens de montrer mon angoisse aux autres Iris ouvre des yeux ronds comme des soucoupes.
-Mais Victor avait dit… »
-Victor est coincé là-bas et ils vont sans doute le torturer pour le forcer à les amener jusqu’ici. »
Si Valentin percute rapidement, Iris ne semble pas vouloir comprendre.
-Mais… »
-On n’aura pas le temps de s’échapper. » La coupe soudain Valentin, apeuré. « Ils se doutaient déjà de notre présence dans les parages. Bastet nous l’a appris peu après votre départ. »
C’est pas vrai…
Sans rien dire, je m’approche du lit d’Ambre et tente de la prendre dans mes bras. Mais sa réaction ne se fait pas attendre.
Elle se met à hurler comme à chaque fois qu’on tente de la mobiliser et Iris accourt pour la calmer.
-Chut !Chut ! Désolé Ambre mais s’il te plaît… » Lui dit-elle des larmes dans la voix.
-On n’a pas le choix. » M’expliqué-je en parlant de plus en plus bas, de peur que la colonie soit déjà à portée de voix. « Faut la bouger et la mettre à l’abri avant qu’ils arrivent. »
Iris me retient alors que je m’apprête à faire une nouvelle tentative.
-Tu es sûr qu’ils vont venir jusqu’ici ? » Me dit-elle avec espoir. « Victor ne nous trahirait pas… »
Je perds mon sang froid.
-Putain Iris ! » Je m’exclame en limitant l’intensité de ma voix. « J’y étais ! Alors oui je suis sûr qu’ils vont venir ici et Victor n’a pas vraiment le choix, crois-moi ! »
Je tente à nouveau de saisir Ambre, mais ses hurlements sont si intenses qu’ils me vrillent le cerveau et je la relâche.
Si les autres couillons l’entendent…
-Putain… On va devoir la bâillonner… » Réalisé-je.
-La quoi ?! » S’exclame Iris.
-Et si on la prenait à deux avec ça ? » Me lance Valentin en montrant un grand drap blanc, probablement volé sur l’un des lits des chambres. « Comme dans un hamac ? »
Je le regarde comme si c’était le Messi avant de modérer mes ardeurs.
-On peut toujours essayer… »
Et nous nous empressons de glisser le drap sous le corps d’Ambre. Si elle se remet à gémir, elle ne hurle plus, ce qui est déjà une belle consolation.
Nous nous plaçons ensuite de part et d’autre en prenant le drap bien en main. Je jette un coup d’œil à celles de Valentin pour constater qu’elles tremblent déjà.
Ah non ! Toi, tu me la fous pas par terre !
Je le fixe bien dans les yeux
-Elle doit pas peser beaucoup plus que quarante kilos » Le rassuré-je tout en conservant mon regard dure. « Alors me fais pas le coup de la lâcher hein ? » J’attends encore qu’il hoche la tête avant de compter. « Un, deux, trois. »
Nous parvenons à la soulever assez facilement.
C’est alors qu’un bruit de voiture à l’extérieur nous fige sur place.
Je reprends rapidement mes esprits, soulagé que Valentin ait tout de même eu le cran de conserver sa prise.
-Viens » Lui chuchoté-je. « On va la descendre au sous-sol. »
Nous parvenons rapidement à l’escalier qui y mène. Il faut absolument que Ambre se taise sinon on aura fait tout ça pour rien.
-Fais gaffe ! » je préviens Valentin, toujours à mi-voix. « La cogne pas à la rambarde ! »
Ou on est mort.
Il redouble d’efforts et nous finissons par rejoindre la cave et par y poser Ambre. Juste à temps.
J’entends des pas et des voix d’homme au-dessus de nous et je reconnais facilement la voix de celui qui a donné l’ordre à son collègue de chercher Didier.
-Merde. » Je lâche pour moi-même.
Putain Victor…
T’aurais pas pu les retenir juste quelques minutes de plus non ?
-Nous deux, on y va. » Expliqué-je à Iris à voix basse. « Toi tu restes là et tu fais en sorte qu’elle ne fasse pas de bruit. »
Elle me fixe, ses yeux écarquillés de terreur.
-Mais qu’est-ce que tu comptes faire ? » Me demande-t-elle, très réaliste pour une fois. « Tu commences tout juste à te téléporter à nouveau ! »
Au-dessus de nous, les hommes s’activent et l’un d’entre eux finit par quitter les lieux. S’ils sont moins nombreux, c’est le moment ou jamais d’agir.
Je me tourne vers Valentin.
-Prends ton arme et enlève la sécurité. » Murmuré-je en lui rappelant comment faire. Il finit par y parvenir malgré ses mains tremblantes et je conclus « On y va. »
Iris tente de me retenir une dernière fois, désemparée.
-Mais Mat… » Parvint-elle tout juste à articuler.
Il faut à tout prix que je la rassure ou elle serait capable de monter elle-même pour nous prêter main forte. Ce qui ne servirait qu’à aggraver les choses la connaissant.
-Occupe-toi d’Ambre. Je peux toujours me téléporter avec leur tête s’il le faut… » La rassuré-je, surestimant grandement mes pouvoirs actuels.
D’un regard appuyé, je m’assure qu’elle ne nous suivra pas, puis j’entraîne Valentin à ma suite dans l’escalier. Une fois parvenu à la porte, je me téléporte au premier étage, pour que nous puissions les prendre en tenaille et commence lentement à descendre, prenant garde de ne pas tomber brusquement sur eux.
Lorsque j’entends soudain la voix d’Ambre retentir au travers de la porte menant à la cave.
Merde ! Fallait vraiment qu’elle s’y mette maintenant celle-là !
Elle semble gémir à nouveau et les deux hommes restants s’approchent de la porte, comprenant que quelqu’un se cache en bas.
Au moins ils me tournent le dos…
Je m’approche d’eux afin de pouvoir me téléporter sans risque pour en assommer un, lorsqu’une intuition franchement inopportune fait se retourner le plus âgé. Il lâche un cri de surprise en me voyant, prêt à l’attaque, mais je n’attends pas qu’il réalise.
Je me téléporte sur lui et tente de l’assommer à défaut de faire plus, mais il parvient à me saisir la main et tente de me faire une prise pour me mettre au sol. Je disparais à nouveau pour lui échapper et saisit son flingue dans la foulée.
La porte d’entrée s’ouvre soudain sur Victor.
-MATHIAS ! ATTENDS ! » Hurle-t-il en me voyant, prêt à tirer sur l’homme alors que je force son poignet à faire un angle pour le viser.
Son exclamation me déconcentre bêtement et l’autre en profite pour me donner un sale coup sur le crâne. Je perds l’équilibre et il parvient à me mettre à terre sans trop de difficulté.
Valentin choisit cet instant pour sortir de la cave comme un démon de sa boîte, hurlant pour se donner du courage. Bien que son cri soit un peu trop aigu pour être vraiment viril.
Il tire. Dans le vide. Alors que les mecs étaient à moins d’un mètre de lui.
Merde Val…
Va falloir améliorer ta technique… Dommage qu’il n’y ait plus d’occasions de le faire.
Je me retiens de soupirer alors que celui contre lequel je me bats depuis tout à l’heure me maintient fermement au sol, un de mes bras dans mon dos. Valentin se prend une baffe magistrale et se fait désarmer d’un simple geste avant d’atterrir dans la même position que la mienne.
Ben voilà on y est.
Mais ça me fait quand même chier d’assister à ça de cette façon…
Je tourne la tête vers Victor alors qu’il s’avance dans la pièce, libre, en compagnie de ce connard de Didier et de cinq autres hommes armés jusqu’aux dents.
Mon visage se crispe sous la colère et la déception.
-Merde ! » Je lâche. « Qu’est-ce que tu fous Victor ? T’es avec eux maintenant ? »
Il m’adresse un geste apaisant de la main.
-Ce sont eux qui sont avec nous… » M’explique-t-il.
-Où est-elle ? » Demande Didier d’un ton brusque, ne laissant pas Victor finir.
-Laissez-la tranquille ! » S’écrie Valentin, comprenant facilement de qui il parle.
Il se fait violemment frapper au visage par son agresseur.
-Non ! » S’exclame Victor. « Ne leur faites pas de mal ! Ils ne pouvaient pas savoir… »
-Peut-être. » Se met soudain à parler celui qui me tient en français. « En attendant, heureusement que celui-là ne sait pas tirer ou je ne donne pas cher de sa peau. Elle doit être en bas. » Ajoute-t-il ensuite à l’adresse de Didier.
Il me force à me relever me maintenant les deux bras dans le dos, tandis que son collègue fait de même avec Valentin. Puis ils descendent et nous sommes contraints de les suivre.
Sans doute préfèrent-ils tous nous tuer au même endroit ? C’est plus facile pour le nettoyage…
Didier a un temps d’arrêt devant la scène qu’il découvre. La soi-disant « grande éveillée » au sol, à peine consciente et Iris, accroupies auprès d’elle, qui la bâillonne d’une main.
-C’est elle ? » Demande-t-il confirmation à Victor.
-Oui. » Lui répond celui-ci sans hésitation.
Je ferme les yeux et secoue la tête. Iris accepte autant que moi cette situation et s’insurge.
-Victor ! Comment peux-tu… »
-Éloigne-toi. » Lui ordonne Didier en lui adressant un bref signe de la main.
Mais comme prévu, elle ne se laisse pas faire. Elle se relève pour se mettre bien face à eux, sa colère prenant le dessus sur sa peur.
-Allez tous vous faire foutre ! » S’exclame-t-elle rageuse.
J’aurais pas dit mieux.
Mais Victor parvient à l’apaiser assez facilement.
-C’est bon Iris. » Lui dit-il avec douceur. « Fais ce qu’il dit. Ils ne vont pas lui faire du mal. » Mon cul oui ! « Ils veulent juste vérifier que je leur ai dit la vérité. »
-Mais qu’est-ce que tu racontes ? » S’étonne-t-elle tout en s’éloignant devant son calme olympien.
Didier s’approche d’Ambre puis sort une lampe de poche et éclaire son visage. Ses yeux entre-ouverts semblent regarder la scène avec neutralité, comme si tout ce qui se passait maintenant n’avait plus aucune importance. C’est sans doute le cas pour elle.
Il reste un temps indéfini à l’observer.
-C’est pas vrai. » Finit-il par lâcher, surpris.
-Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ? » Demande mon geôlier, raffermissant sa prise sur mes bras au cas où je tenterais quelque chose.
-Rien… » Hésite Didier, visiblement décontenancé. « C’est juste que… Je crois que je la connais… Peu importe. » Conclut-il avant de passer le corps d’Ambre au peigne fin.
Iris n’apprécie pas beaucoup son manque de respect vis-à-vis de ce qu’elle considère comme une amie proche.
-Non, mais ça va ?! Vous ne voulez pas que je vous aide non plus ! » S’énerve-t-elle et Victor la retiens pour qu’elle ne tente pas de le frapper, peu importe son indignation.
-Je ne fais que contrôler qu’il s’agit bien de la Grande éveillée. » Lui explique-t-il simplement.
Juste avant de tenter de faire basculer Ambre sur le côté.
Je serre les dents en sachant d’avance qu’elle va se remettre à hurler. Mais contrairement à d’habitude, ce ne sont pas seulement de simples cris qui s’échappent de sa bouche.
Elle appelle à l’aide…
-Iris ! IRIS ! » Se met-elle à hurler aussi fort que son corps meurtri le lui permet.
Je cesse un instant de respirer.
Alors elle sait ! Elle a reconnu la présence d’Iris ! Elle sait que nous sommes là ! Elle peut à nouveau parler !
Putain Ambre ! Tu pouvais pas nous faire signe plus tôt non ?! Au lieu de le faire juste avant qu’on se fasse tous buter comme des chiens…
Elle se met ensuite à pleurer, repartant dans les gémissements habituels comme si sa conscience épuisée ne pouvait pas rester présente plus de quelques minutes.
Didier a immédiatement cessé de la mobiliser en entendant ses cris et semble franchement mal à l’aise maintenant.
Bon. C’est peut-être moins un connard qu’il n’y paraît.
-Il faut que je puisse voir son dos. » Explique-t-il à nouveau, ne sachant pas comment s’y prendre.
-Mais vous ne pouvez pas… » Commence Iris, effrayée à l’idée qu’Ambre se remette à hurler.
-Libérez Mathias. » L’interrompt Victor. « Il a plus de force. À deux, on devrait y arriver sans la faire trop souffrir. »
Je serre les dents, mais me retiens d’argumenter. Ambre aurait certainement préféré que ce soit nous qui nous occupions d’elle, plutôt qu’un inconnu, potentiellement un ennemi qui plus est.
Didier hésite un bref instant avant de faire signe à son homme de main de me relâcher. Il s’écarte ensuite pour nous permettre de nous positionner, moi et Victor.
-Putain Vic. » Lâché-je à voix basse. « J’espère que tu sais ce que tu fais… »
Il s’abstient de me répondre et nous plaçons nos mains de façon à la faire basculer d’un coup.
-A trois. » Me prévient-il par habitude. « Un, deux, trois. »
Ambre hurle comme toujours, mais son cri s’atténue rapidement une fois en position. Victor se charge ensuite de remonter son T-shirt, un truc informe de la plus grande taille qu’on ait pu trouver pour faciliter son habillage.
Je vois, au regard surpris de Didier qu’il ne s’attendait pas à trouver tout un tas de compresses, partiellement tâchés de sang à certains endroits, fixés avec du sparadrap. Il fronce les sourcils.
-Il faut enlever les pansements. » Exige-t-il.
Cette fois je ne compte pas lui faire ses quatre volontés, pas à ses dépens.
-Vous plaisantez ! » Je m’insurge. « Vous savez le temps que ça prend à lui faire ?! Et je vous passe les gémissements et autres cris d’agonie… »
-Vous ne verrez pas grand-chose de toute façon… » Approuve Victor.
Mais l’autre con semble n’en avoir rien à carrer.
-Faites-le. » Ordonne-t-il à nouveau.
Victor soupire, mais lui obéit malgré tout.
-Putain de merde. Quel enfoiré… » Je lâche dans un murmure haineux.
Didier, bien qu’il m’entende parfaitement, choisit de m’ignorer. Victor prend son temps pour retirer les sparadraps et il parvient par miracle à nous épargner les gémissements d’Ambre.
-Pourquoi est-ce qu’elles sont noires ? » Demande alors le connard en parlant des cicatrices d’Ambre.
Je perds patience devant une question aussi inutile alors que notre vie à tous ne tient qu’à un putain de fil.
-On n’en sait rien pourquoi ! » M’exclamé-je, hors de moi. « Vous avez vu ce que vous vouliez ?! Alors maintenant soit vous nous butez soit vous nous foutez la paix ! »
Encore une fois, Didier se contente de réfléchir, sans montrer une quelconque colère à l’égard de mes propos.
-Je pense… » Commence-t-il lentement. « Que vous nous avez dit la vérité. » Et Victor soupire immédiatement de soulagement. « Mais maintenant, nous avons un problème. »
Ah bon ? Seulement maintenant ?
Je me retiens de l’envoyer paître et laisse notre musicien, plus patient, gérer la chose.
-Quel problème ? » Demande-t-il à nouveau tendu, semblant faire les montagnes russes avec ses émotions.
Didier s’explique alors posément. Je me fais à nouveau la réflexion que ce type n’est peut-être pas un salopard fini tout compte fait.
-Nous avions convenu d’un marché avec Frank. » Explique-t-il. « Nous participions à la défense de sa colonie et, en échange, il participait à la nôtre. » Il désigne Ambre à l’aide sa lampe torche. « En nous envoyant une éveillée puissante qui est une alliée. Il a fallu qu’il me convainque, mais j’ai fini par le croire. L’ennui c’est que nous avons rempli notre part du marché. Par contre, en ce qui concerne la sienne… Je constate que ça ne risque pas d’être envisageable avant un moment… Si jamais elle parvient à se remettre… »
Et il semble réellement déçu de sa conclusion.
-Mais elle va se remettre ! » S’exclame soudain Iris, prête à fondre en larmes.
Je me tourne vers elle. Elle se cache le visage dans les mains, sanglotant en silence.
-Vous ne comptez pas nous aider… » Conclut Victor sombrement.
-J’aurais préféré qu’il en soit autrement. » Lui répond Didier. « Mais votre colonie a changé de politique, Pascal n’est plus aux commandes et Frank, notre correspondant principal, est mort. » Il laisse passer un temps avant de reprendre. « Nous ne voulons pas nous mettre à dos une colonie alliée. Pas pour vous, je suis désolé. »
Ne pas se mettre à dos une colonie alliée… Quelle sale petite enflure finalement !
-Alors vous allez nous vendre c’est ça ? » Je traduis à deux doigts de tenter une téléportation pour lui donner une belle raclée.
Mais sa réponse me surprend tellement que je me fige sur place.
-Non. » Me répond-il d’une voix ferme. « Notre chef ne se sent pas assez proche de Laurent pour ça, mais nous ne pouvons pas vous protéger. Nous avons nos propres problèmes à gérer et, malheureusement, notre espoir de nous en sortir sans mal est à peine vivante. »
Victor soupire une nouvelle fois, à nouveau en pleine descente émotionnelle.
-Alors nous sommes seuls… » Conclut-il tristement.
-Oui vous l’êtes… » Lui répond Didier, sincère. « Comme nous tous. »
Nous gardons le silence un moment, le regard fixé sur Ambre et son dos meurtri.
Puis Didier se relève, las.
-C’est bon. On y va. » Ordonne-t-il à ses hommes.
Valentin est enfin relâché et se masse les avant-bras tandis que je me redresse, laissant Victor maintenir Ambre en position puisque, grâce à cette sympathique parenthèse, nous devons à nouveau lui refaire son pansement.
-Et c’est tout ? » Demandé-je à Didier alors qu’il s’apprête à partir avec ses hommes. « Vous ne nous tuez pas, mais vous ne nous aidez pas non plus ? On a changé de pays ? On est en Suisse ? »
Didier semble apprécier ma répartie et me sourit faiblement.
-La Suisse… était devenue un endroit impraticable pour les humains… Jusqu’à récemment. » Et il jette un regard sur Ambre. « Si elle revient à elle. Alors nous verrons si nous pouvons parvenir à un accord. »
Sur quoi il monte les escaliers en silence et sort, accompagné de ses hommes. J’expire bruyamment. Valentin se passe la main dans les cheveux d’un geste nerveux.
-Bon… On fait quoi maintenant ? » Demande-t-il en nous regardant tour à tour Victor et moi.
Je ferme les yeux, une violente envie d’aller me coucher me submergeant.
-On continue. » Réponds Victor à ma place. « Avec un peu de chance, Laurent et la colonie n’oseront pas venir nous chercher jusqu’ici. Pas avec une autre colonie humaine aussi proche. Surtout que visiblement ils ne s’entendent pas si bien que ça… »
Je secoue la tête avant de me rappeler quelque chose.
-Hé… » Je me tourne vers Iris, qui a enfin ravalé ses sanglots, libérant son visage aux yeux rougis. « C’est moi ou elle t’a appelé tout à l’heure ? »
Son visage s’illumine brusquement.
-Elle a fait mieux que ça ! » S’exclame-t-elle joyeuse à nouveau. « Elle m’a parlé ! » Nous la fixons tous interloqué. « Pas grand-chose hein ? » Calme-t-elle nos ardeurs en voyant nos regards pleins d’espoir. « Juste quelques mots… Mais je crois qu’elle a compris qu’on était là pour elle. »
Je croise le regard de Victor et sais que nous pensons tous les deux à la même chose.
On n’a pas fait tout ça pour rien en fin de compte…