Hors série n°3

Greg

 

Elle lâche un cri lorsque Nathan utilise sa télékinésie sur la main qu’elle vient elle-même de se briser.

J’écoute, je savoure, l’expression de sa douleur se muer en une respiration saccadée, alors qu’elle tente de maîtriser ses émotions devant nous.

Nathan me fait un signe de tête puis il se met à sourire et sort de sa cachette.

-Wouaou ! » S’exclame-t-il d’un ton volontairement joyeux. « Non sincèrement, je suis impressionné ! Je ne pensais pas que tu serais capable d’éviter le deuxième coup… »

Je le suis, sortant également des ruines pour découvrir l’éveillée qui est censée nous débarrasser de la grosse Anna.

Je la détaille lentement de haut en bas. Il s’agit d’une petite femme au corps fragile. Une dizaine ou une quinzaine de centimètres de moins que moi, des os fins, des muscles quasi inexistants, de petits seins et des hanches étroites. Elle doit tout juste atteindre les cinquante kilos.

Et encore, je compte les vêtements.

Le genre de filles que je n’ai aucun mal à maîtriser.

Celles que je préfère…

Nathan reprend la parole mais je ne l’écoute qu’à moitié, mon esprit déjà envahit de fantasmes inavouables.

-Juste avant qu’on ne commence les choses sérieuses. » Lui dit-il. « Je suis en communication avec celui qui détient tes gosses. Alors… Ne tente rien de stupide hein ? » Il range le téléphone. « Bon, si on allait dans un endroit plus chaud ? On se les gèle ici ! Pas vrai Greg ? »

Je ne lui réponds pas, croisant le regard bleu et froid de la fille.

Un regard qui semble m’évaluer avec précision.

Elle a pressenti le type de danger que je représente pour elle. Tout le monde n’est pas doté de ce genre d’instinct. Mais elle, elle sait.

Je tente de me contrôler alors que mon excitation augmente encore d’un cran. Je l’imagine déjà, gémissante, le corps tendu alors que je lui fais subir d’honteuses souffrances qui rongeront son âme durant les décennies à venir.

Si elle survit jusque-là.

Nathan s’avance tranquillement jusqu’à elle.

-Au fait, je m’appelle Nathan. » Lui apprend-il. « Tu peux me suivre Ambre. Rends-moi juste le téléphone avant. »

Elle le lui tend, évitant avec précaution son contact. Je me retiens de sourire.

On a peur d’être touchée hein ?

Tant mieux.

J’aime bien jouer avec les faiblesses des autres. L’avantage étant que j’ai un don inné pour les repérer.

Nathan me lance le téléphone alors que je suis déjà en train d’anticiper la suite et je manque de le laisser tomber au sol, le rattrapant de justesse. Il la dépasse ensuite, certain qu’elle est désormais à notre botte et prend la route vers l’église.

La fille tourne un instant ses yeux vers moi et je les imagine dans quelques minutes, lorsque Nathan m’aura laissé seul avec elle pour exprimer mes talents.

Tourmentés, suppliciés…

C’est presque le moment que je préfère, juste avant de commencer…

Mon entrejambe commence sérieusement à me gêner, mais la fille finit par se retourner et se met à suivre Nathan.

Je laisse alors un large sourire étirer mes lèvres.

Si elle savait… Si elle savait ce qui l’attendait…

Jamais elle ne serait venue au secours de ses gosses.

 

Je n’ai jamais aimé mes parents. Je ne suis même pas certain que ce mot ait eu un intérêt dans notre famille. Un jour, j’ai brûlé la page qui le contenait, dans le dictionnaire du centre de redressement que j’ai fréquenté durant un temps.

J’étais censé retourner dans le droit chemin après ça.

Ça aurait peut-être pu marcher… Dans d’autres circonstances.

Mais quand je rentrais à la maison, j’avais à nouveau droit aux coups et aux insultes. Ma salope de mère n’a jamais rien fait contre ça. Je crois que je lui en ai voulu, peut-être encore plus qu’à mon père.

Ma sœur n’a pas eu droit exactement au même traitement. Il m’arrivait souvent d’entendre mon père sortir plus ou moins discrètement de sa chambre. Il passait devant la mienne et j’espérais à cet instant qu’il soit animé d’une tout autre envie que celle de passer ses nerfs sur un être vivant.

Une fois sur trois environ, c’était le cas.

Je sortais à ces moments-là et j’allais voir ce qu’il lui faisait, me plaçant discrètement dans l’entrebâillement de la porte. Je crois que ça me faisait plaisir de savoir que je n’étais pas le seul à souffrir.

Il a fini par aller en tôle cet enfoiré. Quand ils ont découvert que ma petite sœur de douze ans était enceinte. Et on a été placé tous les deux dans des familles d’accueil séparés.

C’était censé être mieux, pour nous, pour notre développement psychique et physique.

Je ne peux pas le nier, je me suis bien amusé à cette période. Surtout avec les animaux de mes familles de substitution.

J’ai toujours eu les chiens en horreur, et c’était réciproque. Comme s’ils sentaient au fond d’eux, ce que je représentais pour eux et pour leur maître. L’avantage c’est que ce sont des animaux stupidement obéissants, et il n’était pas très difficile de les attirer dans des endroits propices à mes expériences.

C’est à cet âge-là que j’ai compris pourquoi mon père nous avait fait subir tout ça.

Parce qu’il connaissait, lui, contrairement à une grande majorité de l’espèce humaine, une vérité absolue et puissante. Un principe qui s’applique à tous d’une façon aussi cruelle que jouissive.

La voix douce et sombre qui m’habitait le crâne depuis mon adolescence me l’a expliquée aussi simplement qu’une telle doctrine peut s’appliquer.

Greg…

Tu vois Greg ?

On ne ressent pas ce que l’on fait subir aux autres…

Et cette simple évidence donne un pouvoir infini…

On a fini par comprendre que je représentais un danger et on m’a placé dans un service de psychiatrie pour enfants.

Étant déjà proche de la majorité, je n’y suis pas resté longtemps.

Mais j’ai eu le temps d’appliquer quelques-uns de mes principes sur des pensionnaires fragiles.

Ensuite j’ai appris à faire semblant. Faire semblant d’être repentant, faire semblant d’être malade, faire semblant de vouloir aller mieux…

Faire semblant de prendre mes médicaments.

Et puis j’ai grandi.

J’ai pas mal déménagé au début. Je me faisais souvent repérer avant même de pouvoir me satisfaire tout à fait.

Les filles et les enfants, ça a une fâcheuse tendance à crier.

J’ai moi-même réalisé quelques séjours rapides en prison qui n’étaient pas franchement agréables. Les autres se croyant supérieurs, me considérant comme moins qu’un homme ou comme un monstre. Ils ont voulu me faire subir ce que j’ai tenté de faire subir aux autres. Pour m’apprendre…

Je ne vois pas vraiment ce que j’étais censé apprendre. À part le fait de ne plus me faire choper.

Quand je suis sorti, j’ai fini par trouver un emploi plus stable, dans un zoo. J’étais agent d’entretien, ce qui me permettait de rester discret et d’observer…

Et là, j’ai enfin pu m’exprimer…

On dit que les hommes qui s’attaquent aux femmes sont des lâches. À vrai dire, je ne vois pas vraiment pourquoi je risquerais de me faire prendre en m’attaquant à aussi, voire plus, fort que moi.

Il faut mettre toutes les chances de son côté pour réussir. Si les hommes avaient la corpulence et la force physique des femmes alors j’aurais peut-être essayé avec eux, mais il se trouve que ce n’est pas le cas.

C’est, en tout cas, vrai chez les adultes.

Chez les enfants c’est différent.

L’ennuie, c’est que les gens sont plus méfiants pour leur progéniture que pour eux-mêmes, et les occasions sont plus rares.

Mais peu importe, j’en ai tout de même eu quelques-unes, même si elles se sont souvent résumées à quelques attouchements rapides derrière des cabanons d’entretiens.

Un jour, ma sœur est venue me voir au travail. J’ignore comment elle m’a retrouvé ou ce qu’elle cherchait exactement en faisant cela. Elle m’a appris la mort de ma mère et m’a demandé si ça m’intéressait que l’on reprenne contact tous les deux.

-Pourquoi tu veux qu’on se reparle Sophie ? » Lui ai-je demandé, méfiant.

Elle m’a fixé un instant sans avoir l’air de vraiment comprendre ma question, puis elle m’a souri.

De ce même sourire insupportable qu’utilisait ma mère lorsqu’elle me regardait. Un sourire d’excuse empreint de culpabilité et de pitié mêlé.

-Ben… Tu es mon frère Greg… »

Je n’ai pas pu me retenir, là, en plein milieu d’une allée et je l’ai giflé.

-Je ne suis pas ton frère salope ! Je n’ai pas de famille ! Casse-toi ! » Lui ai-je gueulé à la figure.

Elle est restée un moment, le regard interdit, se tenant la joue d’une main, avant que des larmes n’emplissent ses yeux d’un vert intense et qu’elle ne se retourne et ne s’échappe en courant.

Qu’est-ce qu’elle croyait celle-là ? Que j’allais gâcher tout ce que j’avais construit ici juste pour ses beaux yeux ? D’accord elle s’est faite violer. Et alors ? Moi on m’a bien tabassé toute mon enfance.

Et qui me dit qu’elle n’a pas pris son pied, elle ?

Et puis la catastrophe est arrivée.

J’étais en pleine réflexion alors que j’étais parvenue à attirer une jeune fille dans mes filets, pour une histoire de vente entre particuliers sur internet.

Mais je n’ai jamais pu mettre à exécution mes projets.

Une migraine atroce m’a brusquement mis à genoux et j’ai rapidement perdu connaissance.

Lorsque je me suis réveillé, le monde avait changé.

Et moi aussi.

Enfin, superficiellement en tout cas. Du sang coagulé tout autour du cou cachant encore de fraîches cicatrices blanches.

J’ai regardé les corps autour de moi, sans comprendre au premier abord. Et puis je me suis mis à rire.

Alors comme ça, ils ont tous crevé la gueule ouverte ? Tous ces gens bien propres sur eux, les moteurs de la société, les familles aimantes, ceux pour lesquels on se bat pour les avoir à sa table à dîner le soir ?

Et moi, la raclure de la société, l’enfoiré de première, le monstre, celui pour lequel certains souhaitent voir se rétablir la peine de mort en France. Moi, je suis encore là ?!

Quelle belle, quelle magnifique revanche !

Tu vois Greg ? Dieu… Leur Dieu nous a choisis nous plutôt qu’eux…

Je me suis ensuite baladé tranquillement dans le zoo, m’amusant parfois avec un cadavre en lui faisant faire des pirouettes grotesques, utilisant les enfants comme des marionnettes.

Puis je me souviens avoir plus simplement enjambé les corps quand j’ai été un peu lassé de mes activités et c’est là que j’ai croisé les yeux vides d’une des soigneuses du zoo. Une grande et belle blonde, en couple avec le vétérinaire. Celle qui me faisait le plus envie mais que je n’ai jamais osé approcher pour ne pas éveiller les soupçons.

Elle était là, allongée, docile, disponible…

Je n’ai pas résisté.

C’était ma première fois avec une morte. C’est moins amusant qu’avec les vivants mais quand on n’a rien d’autre sous la main…

Ensuite, quelque chose m’a attiré vers le vivarium. J’y suis entré, plus pour voir si les reptiles avaient connu le même sort que les autres mammifères et oiseaux du zoo. La plupart d’entre eux gisaient dans leur cage. C’était d’un ennui mortel.

Je m’apprêtais à sortir lorsque je l’ai vu.

Et qu’elle m’a appelé.

Je me suis arrêté devant la vitre en plexiglas d’un terrarium pour araignée. Elle plaçait ses élégantes pattes sur la vitre, me demandant de la laisser sortir et de la prendre avec moi.

Je lui ai souri, heureux de voir que j’allais enfin compter pour quelqu’un.

Ou plutôt quelque chose mais peu importe. Ça me suffisait amplement.

J’ai cherché la trappe d’ouverture dans les coulisses du bâtiment et je l’ai prise tendrement dans ma main.

-Viens ma belle. » Lui ai-je dit avec amour. « Le monde est à nous maintenant. »

Et ça n’a jamais été aussi vrai qu’à partir de cet instant.

 

J’ai connu, malgré tout, quelques déboires au tout début. Rencontrant d’autres personnes qui avaient perdu la raison et ont tenté de me tuer sans signe avant coureur.

Ils ont amèrement regretté leur échec. Et j’ai eu largement l’occasion de perfectionner mon art.

Et puis le printemps est arrivé. Et avec lui, j’ai pris toute la mesure de mon pouvoir.

Ma toute première période estivale dans ce nouveau monde a été un pur délice. J’avais tellement d’alliés sous mes ordres que tout être vivant m’évitait soigneusement, que ce soit de simples humains, des mammifères ou même d’autres éveillés.

Et puis l’automne a fini par éliminer peu à peu ma petite armée.

J’avais pris l’habitude de garder des reines avec moi et de m’en occuper soigneusement pour que les guêpes puissent tout de même me servir de protection en cas d’urgence. Mais c’était quelque chose qui restait astreignant, et qui, de toute façon, ne tenait pas la totalité de la période hivernale. Au mieux, je parvenais à les garder en vie jusqu’en décembre et encore…Elles n’étaient pas très fraîches.

Seule ma petite Zoé, la veuve noire que j’ai trouvée dans le vivarium, restait avec moi tout au long de l’année. Je lui ai rapidement donné un compagnon, la toute première année, de cette façon j’avais toujours une Zoé avec moi. Même lorsque la première du nom est morte, deux ans après mon éveil.

À la fin de mon deuxième hiver seul, j’ai compris que j’allais avoir besoin de trouver des alliés. D’autres éveillés de préférence, puisque j’étais bien trop vulnérable durant cette période.

C’est arrivé assez naturellement.

En septembre de ma troisième année, je cherchais l’endroit propice pour établir mes nids. Orléans ne manquait pas de lieux qui auraient pu convenir mais je m’étais habitué à les installer dans des bâtiments remarquables.

Debout, au beau milieu de la place de l’Étape, j’hésitais entre la cathédrale Sainte-Croix ou l’hôtel Groslot.

Les briques rouges de l’hôtel et sa statue de Jeanne d’Arc ont fini par me convaincre et j’ai pénétré dans le bâtiment cherchant la pièce idéale ou j’aurais pu installer mes reines.

Je ne m’attendais pas à trouver autres choses que des cadavres et je ne me suis pas méfié.

Jusqu’à ce qu’une odeur, différente de celle de la mort, ne finisse par percuter mes narines.

Je n’ai pas eu le temps, cette fois, d’envoyer mes minuscules alliées s’occuper des ennemis et il s’avère que le télékinésiste qui avait choisi ce lieu comme planque avait une assez longue portée.

J’ai brusquement percuté le mur derrière moi et j’ai perdu connaissance.

Lorsque je me suis réveillé, deux éveillés se tenaient devant moi. Ils m’avaient bâillonné et attaché à l’un des riches fauteuils du bâtiment. J’ai pris le temps de les détailler, un grand noir assez baraqué d’une trentaine d’années et un autre, métis, qui avait peut-être la quarantaine.

J’ai senti un air frais sur ma peau et j’ai vite compris qu’ils m’avaient enlevé ma chemise pour évaluer mes pouvoirs d’éveillés en analysant mes cicatrices.

Le métis m’a souri lorsqu’il a vu que je m’étais réveillé et il s’est installé sur un autre fauteuil juste devant moi.

-Salut. » A-t-il commencé. « Je m’appelle Nathan. Et sache que si tu es encore en vie c’est uniquement parce que je te laisse une chance de faire partie de notre clan. » Il a attendu, se penchant lentement vers moi en me fixant bien dans les yeux. « Alors, fais le bon choix. »

Puis il s’est levé et n’est revenu que plusieurs heures plus tard, son acolyte étant chargé de me surveiller.

J’imagine qu’il a dû croire utile de me laisser ainsi réfléchir à mes possibilités, mais mon choix a été pris instantanément.

-Alors ? » M’a-t-il demandé une fois qu’il a ôté le scotch qui me recouvrait la bouche.

Je lui ai souri.

-Je pense qu’on va bien se marrer tous les trois. »

Nathan m’a souri en retour, visiblement satisfait de ma décision.

Mais ça n’avait pas l’air d’être le cas pour l’autre qui s’est contenté de me fixer d’un air méfiant.

Ça n’avait pas d’importance et notre collaboration a commencé à partir de cet instant.

 

-Pourquoi est-ce que tu veux absolument retourner sur Paris ? » Lui a encore demandé Mathias après un énième combat contre des semblables.

C’était toujours le même refrain.

Nathan cherchait des alliés pour établir sa petite armée dans le but de s’installer sur Paris. Une ville encore très peuplée et remplie de danger. Il s’en était fait chasser assez rapidement après la catastrophe, choisissant sagement de prendre quelques distances.

Mais il n’a toujours eu qu’une seule idée en tête.

Y revenir, le plus vite possible.

Mathias n’a jamais eu l’ambition de Nathan et ne l’a jamais comprise. En ce qui me concerne, j’étais plus tolérant.

J’imaginais déjà les possibilités, presque infinies, une fois là-bas.

Nathan a soupiré, las de lui répondre.

-Tu ne vois pas assez loin Mathias. Paris c’est… » Il a écarté les bras comme s’il tentait d’englober sa ville. « C’est Paris ! Je n’ai pas besoin de me justifier. Après si tu ne veux pas me suivre. » Lui a-t-il encore dit, l’air de lui donner le choix. « Tu fais ce que tu veux Mat. Je ne t’oblige à rien. »

L’autre a soupiré avant de maugréer qu’il cherchait juste à comprendre.

Je me suis contenté de caresser tendrement ma Zoé dans ma main, ignorant leur querelle stérile.

-Bon qu’est-ce qu’on fait de celui-là ? » A soudain demandé Émilie, une récente recrue, pyrokinésiste. Elle désignait un homme assez maigre que Nathan avait assommé avec sa télékinésie. C’était un autre téléporteur, bien moins puissant que Mathias, mais ce genre de pouvoir étant assez rare…

-On le garde et on lui fait notre petite proposition. » Lui a-t-il répondu. « Mathias, tu te charges de le garder sous contrôle ? »

Ce dernier à lever les yeux au ciel mais a hoché la tête, résigné.

 

Nous avons poursuivi de la sorte durant plusieurs mois. Je restreignais mes instincts, à l’époque, conscient que je risquais de perdre mes alliés s’ils me voyaient trop tôt sous mon véritable jour.

Puis j’ai tout doucement commencé à reprendre mes vieilles habitudes.

Ça ne dérangeait pas Nathan plus que ça. Et les autres se fichaient pas mal de mon passe-temps tant que je ne le faisais pas sur eux.

Le seul que ça gênait vraiment, c’était Mathias.

J’avais récupéré un humain un jour, alors que nous faisions un raid pour chercher des vivres. Je commençais tout juste à m’amuser avec, quand cet idiot de Mathias s’est brusquement pointé.

-Putain Greg ! Qu’est-ce que tu branles encore ?! » S’est-il exclamé.

Mais il s’est rapidement tu lorsqu’il a vu l’état de ma victime, qui parvenait tout juste à lâcher quelques faibles râles.

J’aime le sang. Je n’y peux rien, c’est comme ça. Je trouve que toute bonne partie commence toujours mieux avec quelques plaies ouvertes. Bien sûr, je prends toujours soin d’éviter les artères pour conserver mon jouet le temps voulu et qu’il reste conscient un maximum.

Je n’avais pas bâillonné celui-là pour pouvoir savoir quand je touchais juste. C’est sans doute ses cris qui ont attiré Mathias jusque dans mon repaire, une chambre d’enfant, joliment décoré pour une petite fille, dont j’ai conservé le squelette allongé dans son lit.

J’ai vu sa mâchoire se contracter, puis, probablement sans réfléchir, il s’est téléporté auprès de lui.

Je l’ai vu comme au ralenti, toucher la tête de ma victime puis disparaître avec elle.

Le sang s’est mis à gicler en jets puissants sur le mur devant moi alors que les artères principales du cou avaient été sectionnées net par la téléportation de Mathias. Le corps, privé soudainement d’informations nerveuses s’est mis à trembler de façon incontrôlable.

Je crois que je n’ai jamais autant haï quelqu’un que ce jour-là.

J’ai entendu la tête tomber au sol derrière moi et je me suis lentement retourné vers lui.

-Fini de jouer. » A-t-il osé me dire d’un ton ou perçait une certaine satisfaction. « Nathan veut te parler. »

J’ai pris mon temps pour me relever et nous nous sommes fixés un moment, moi, l’imaginant à la place de mon précédent souffre-douleur, tandis que lui devait sans doute penser à la même chose dans l’autre sens.

Ne t’en fais pas Greg… Nous aurons notre revanche… Le moment venu…

Mathias s’est éclipsé et je me suis mis à sourire en imaginant ce fameux moment.

 

Il est arrivé quelques mois plus tard.

Nous nous étions enfin établis dans un arrondissement de Paris. Le 11eme. Nathan nous avait choisi une boîte de nuit comme repère. Ce n‘était pas très lumineux, mais elle avait l’avantage d’être difficilement repérable par les potentiels ennemis qui peuplaient le reste de la ville.

La plupart des autres éveillés de notre clan commençaient à être déçus par Nathan. Je les entendais chuchoter, parfois, derrière son dos, se demandant pourquoi ils devaient loger dans un endroit aussi lugubre, pourquoi ils ne dominaient pas déjà toute la ville comme il le leur avait promis, pourquoi les vivres venaient parfois à manquer alors que ceux chargés d’aller les chercher se faisaient tuer en chemin…

Pourquoi…

Personnellement, les mauvaises décisions de Nathan m’ont toujours laissé de marbre. Et puis j’aimais bien cet endroit. J’imaginais souvent les éveillées que nous avions avec nous, en train de se trémousser dans des petites tenues sur les barres…

Ça restait du domaine de l’imaginaire mais ce n’était pas désagréable pour autant.

Et puis nous en avons accepté une nouvelle avec nous.

C’était Mathias qui l’avait récupéré. Apparemment, elle se faisait plus ou moins maltraiter par son précédent clan, ayant un pouvoir trop faible pour répliquer. Une pyrokinésiste qui n’allait jamais jusqu’à produire de véritables flammes, et d’une portée très réduite.

Et puis, il faut bien dire qu’elle avait le physique pour. Petite blonde, rondelette malgré la nourriture moins abondante, jeune, peut-être vingt ans et un visage aux traits grossiers…

Cet imbécile s’en était pris d’affection, la considérant plus ou moins comme une sœur.

Nathan n’était pas franchement pour cette nouvelle recrue, la trouvant faible et inutile, mais il n’a pas osé aller contre au risque de se mettre Mathias à dos.

Je n’avais pas les mêmes scrupules.

Et je n’ai pas mis longtemps à préparer ma vengeance.

Un petit rire a résonné sous mon crâne mais j’ai gardé le contrôle de mes expressions. Je ne voulais surtout pas tout gâcher.

Alors que Mathias était parti en mission de repérage pour Nathan, je me suis doucement approché de sa protégée.

-Hé… Sarah c’est ça ? »

Elle a sursauté en entendant ma voix, ne s’attendant sans doute pas à ce que quelqu’un vienne lui parler de la sorte, le reste de notre clan la tolérant tout juste.

-Heu… » M’a-t-elle répondu, hésitante.

Mathias avait sans doute dû la mettre en garde contre moi et mes petites… Habitudes.

Pas assez bien visiblement.

-Nathan veut te voir. Il a un travail pour toi. » Lui ai-je dit d’un ton urgent.

-Nathan ?… » S’est-elle étonnée mais, comme prévu, elle n’a pas osé me contredire.

-Oui. Dépêche-toi. Il n’aime pas qu’on le fasse attendre. » Je l’ai ensuite pressé pour ne pas lui laisser le temps de réfléchir.

Elle m’a suivi, terrifiée et docile alors que je la guidais vers mon piège.

Il s’est refermé sur elle, avec la porte de la cave.

J’ai sorti le cutter que je gardais toujours sur moi et j’ai entaillé précisément la peau de sa nuque pour qu’elle ne puisse plus utiliser ses pouvoirs.

Ensuite…

Ensuite, j’avais tout mon temps ce jour-là, alors je l’ai pris. Et puis, j’avais du matériel tout neuf. Des scalpels récupérés dans des salles de chirurgie d’un grand hôpital de Paris.

J’aurais adoré être chirurgien, j’y pensais souvent quand j’étais plus jeune, mais bien sûr, vu mon milieu d’origine… Pour moi, ça aurait été plus pour découper soigneusement des êtres vivants que pour soigner mais… Seul le résultat compte non ?

En tout cas, Sarah a eu tout le temps de se rendre compte de mes talents.

Mais les plaies physiques que je lui ai faites n’étaient sans doute pas les blessures les plus graves qu’elle ait reçues. Car je me suis beaucoup amusé cette fois-là avec une tout autre technique de torture, plus… Émotionnelle. Après tout c’était une des rares victimes que je connaissais et j’avais donc, pour une fois, un peu de matière à exploiter.

Quand Mathias est revenu, il l’a tout de suite cherché, criant son prénom dans toute la discothèque. J’en avais fini avec elle, la laissant pire que morte, alors j’ai lentement remonté les escaliers.

Quand il m’a vu sortir du sous-sol, il a compris.

Il a disparu d’un coup, la rejoignant directement en bas.

Il a tenté, ce soir-là, de la soigner. Mais les blessures que je lui avais faites étaient bien plus profondes que de simples entailles. Plus subtiles aussi.

Durant la nuit il est venu me chercher et m’a brusquement plaqué contre le mur. Je me suis laissé faire, sachant que Nathan allait venir à ma rescousse. Il a tenté de prendre Mathias par les épaules pour l’empêcher de m’étrangler, mais celui-ci lui a donné un violent coup de coude qui bien failli lui casser le nez.

Alors il a tenté de le chasser avec sa télékinésie.

Mathias s’est téléporté. Dans l’urgence, il a oublié de me prendre ce qu’il aurait certainement voulu m’enlever et il a ensuite fixé Nathan un long moment avant de retourner auprès de Sarah.

C’était trop tard pour elle. Il l’a trouvée pendue avec l’une des cordes dont je m’étais servi pour l’attacher.

Nous nous sommes soigneusement évités à partir de cet instant. Il m’a haï pendant longtemps, mais les tensions ont fini par s’apaiser, plus par obligation que par choix.

Et il n’a plus jamais noué d’autres liens après ça.

 

Plus tard, notre clan a fini par croiser la route de celui d’Anna.

Elle, elle était différente. Nathan l’a vu tout de suite. Elle était puissante, avec de longues et tranchantes lames qui me faisaient baver d’envie.

Je ne sais pas trop comment Nathan a réussi à la convaincre de faire alliance mais nous avons fini par partager les mêmes locaux, les mêmes vivres, le même territoire.

Les mêmes esclaves…

Nous ne les gardions pas longtemps, avant, dans notre clan.

En grande partie par ma faute.

Mais ce n’était pas le cas chez la grosse Anna.

Elles les trouvaient utiles et les gardaient en vie et même, en assez bonne santé. Il y avait aussi cette éveillée, chargée de s’occuper d’eux, de les répartir selon les besoins.

Elles les chouchoutaient, les défendaient même parfois, souvent au risque de se prendre une assez grosse raclée, n’étant pas vraiment capable de riposter avec son faible pouvoir d’éléctrokinésiste.

J’ai voulu en prendre un, une fois. Je commençais sérieusement à être frustré puisque, depuis sa rencontre avec Anna, mes petites manies gênaient Nathan bien plus qu’avant et il me restreignait autant que possible.

Je suis allé voir cette éveillée, Iris elle s’appelait. Mais elle a refusé tout net de m’en laisser.

-Tu es Greg hein ? » M’a-t-elle répondu, immédiatement pleine d’a priori. « Anna ne veut pas que tu les touches… Et moi non plus. » Elle a ajouté.

Comme si j’en avais quelque chose à foutre de ce qu’elle pouvait bien penser.

J’ai attendu qu’elle se retourne, puis j’ai sorti mon cutter et je lui ai entaillé le dos d’une belle estafilade bien nette qui partait de l’épaule gauche à son côté droit.

Elle n’a pas eu le temps de hurler.

Je lui ai vivement plaqué ma main sur sa bouche puis j’ai placé le cutter sur sa gorge, l’adrénaline me montant rapidement au cerveau, décuplant mes instincts primaires et le plaisir que je prenais toujours ces moments-là.

-C’est pas grave. » Je lui ai chuchoté à l’oreille. « Je vais pas les toucher, c’est promis. »

Je l’ai forcé à avancer et l’ai coincé contre le mur sombre du couloir, appuyant lourdement mon corps contre le sien pour qu’elle sente mon entrejambe durcir et qu’elle sache à l’avance à quoi s’attendre.

Ça aurait pu très bien se terminer.

Si cet enfoiré de Mathias ne m’avait pas interrompu une nouvelle fois.

Il ne s’est même pas annoncé cette fois et m’a tout simplement tordu le poignet qui tenait le cutter, puis il m’a balancé par terre, libérant ma victime.

Cette salope n’a pas demandé son reste. Elle est partie chouiner un peu plus loin et j’ai longuement fixé Mathias.

Il m’a balancé mon arme à la gueule.

-Nathan ne veut pas qu’on touche aux éveillés d’Anna. » A-t-il froidement déclaré. « Trouve-toi d’autres victimes. »

Un grognement sourd a empli mon cerveau.

D’autres victimes…

Ce n’était plus si simple.

 

Peu de temps après, Anna nous a chassés, moi, Mathias et Nathan. Elle m’a mis hors-jeu avant même de s’en prendre à eux. Nous étions encore en plein été et j’imagine qu’elle ne voulait prendre aucun risque.

J’ai perdu connaissance sans même m’en rendre compte et lorsque je me suis réveillé, nous étions déjà loin du repère d’Anna.

Nathan m’a largement fait comprendre qu’il m’avait sauvé la vie et qu’il était hors de question qu’on retourne se venger tout de suite.

Il y a tout de même des limites à ce que mes insectes peuvent faire et le clan d’Anna était bien trop puissant avec tous les éveillés de Nathan qu’elle avait récupérés.

Alors nous sommes partis. Et ce voyage forcé n’a pas été une partie de plaisir.

 

Puis, alors que nous nous étions largement éloignés de la capitale, partant vers l’est, nous sommes tombés par hasard sur un couple de pédé.

Voyant mon état de manque depuis notre départ Nathan m’a permis de m’en occuper correctement.

Et ils nous ont donnés bien plus que ce que l’on pouvait imaginer.

Alors que je commençais tout juste à entailler lentement le torse de l’un d’entre eux, suivant des lignes imaginaires de ma propre conception, son petit copain s’est rapidement mis à parler, ne tenant pas plus de quelques secondes face aux gémissements et aux cris de son amoureux.

-Arrêtez ! Arrêtez ! » M’a-t-il supplié. « On a des informations ! Des informations sur un autre éveillé qui pourrait vous intéresser ! »

L’autre a tenté de l’empêcher de nous parler.

-Tais-toi Tristan… » Est-il parvenu à dire entre deux gémissements.

Nathan, qui allait partir, me laissant seul à mes occupations s’est brusquement retourné.

-Et pourquoi ça devrait nous intéresser ? » Lui a-t-il demandé, un peu surpris par sa proposition.

Le supplicié a à nouveau tenté de nous interrompre.

-Non… Tristan… » A-t-il lâché d’une voix faible et je lui ai plaqué ma main sur sa bouche.

-Chut… Chut… » Lui ai-je dit avec douceur. « Ce n’est pas poli de couper la parole aux autres. »

Le dénommé Tristan s’est vite remis à parler.

-C’est une éveillée extrêmement puissante. » Nous a-t-il appris à toute vitesse. « On n’en avait jamais vu de comme ça avant… »

J’ai entendu la profonde inspiration de Nathan pour vérifier que l’humain ne nous racontait pas un quelconque bobard. Comme ce n’était pas le cas, Nathan s’est lentement approché de lui, s’abaissant à son niveau.

-C’est vrai tu as raison… Ça m’intéresse. »

Alors, le dénommé Tristan a tenté de négocier. Ce qu’il ignorait, c’est que Nathan est un très bon menteur.

Et qu’il respecte rarement ses promesses.

-Laissez Clément. » Nous a-t-il demandés. « Laissez-le et je vous dis tout ce que vous voulez. »

Nathan lui a fait son sourire « sincère ».

-On va voir ce qu’on peut faire pour lui. » Lui a-t-il dit. « J’espère pour toi que tes informations en valent la peine. » Il s’est ensuite retourné. « Mathias ! Mathias vient par là ! » L’a-t-il appelé.

Il a mis plusieurs longues minutes à venir, par vraiment ravi d’assister à mes activités.

-Quoi ? » A-t-il sèchement demandé en s’approchant, gardant ses distances avec moi.

Nathan lui a souri.

-Apparemment, on va avoir droit à quelques infos intéressantes, et je préfère qu’on soit tous là pour les entendre. »

Mathias a soupiré et a croisé les bras.

Et l’autre s’est mis à parler.

 

J’ai eu du mal à me contrôler après ça.

Même après plusieurs heures passées sur les deux humains. J’aurais aimé faire durer les choses plus longtemps, mais l’excitation était telle… Je n’ai pas pu et les ais achevés ben trop vite à mon goût.

Nathan n’a pas mis longtemps à élaborer son plan. Nous avions récupéré une nouvelle recrue en plus, entre-temps, ce qui nous permettait d’avoir de la chair fraîche à offrir à l’éveillée en cas de problème.

Alors que Paul et Mathias étaient partis depuis quelques minutes pour réaliser la première phase de notre projet, il a fallu que j’aille me vider les couilles encore une fois pour faire baisser la tension qui ne cessait de monter et de me déconcentrer, engendrant une pression presque douloureuse au niveau de mon bas-ventre qui remontait jusque dans mes reins.

Je l’ai fait tranquillement, à l’écart, dans la sacristie de l’église.

Quand je suis revenu j’ai ressenti les phéromones spécifiques de mes fourmis. Elles avaient quelque chose d’important à m’apprendre.

Je me suis lentement approché d’une petite lignée d’insecte le long des murs de pierre et en ai pris une sur mon index.

Elle revient. Ai-je fini par traduire.

Et j’ai vite compris que je n’étais pas le seul chuchoteur de la région.

J’ai rapidement rejoint Nathan à l’entrée de l’église pour lui apprendre la nouvelle.

-Elle revient. » Lui ai-je signifié d’un ton urgent. « C’est un chuchoteur aussi et elle sait qu’ils ont passé la frontière. »

J’ai vu son visage se crisper une seconde avant qu’il ne trouve rapidement une solution et qu’il ne se saisisse de son téléphone par satellite.

Il faisait les cent pas devant la porte alors qu’il expliquait à Mathias le changement de son plan. Je l’écoutais distraitement, à nouveau saisit par de puissantes images de ce que je comptais faire d’ici quelques heures.

J’avais convenu, avec Nathan, de m’occuper moi-même un peu de cette éveillée avant qu’il ne parte avec elle vers Paris. Histoire de lui faire envisager le pire pour ses gosses si elle ne nous obéissait pas correctement et de lui faire prendre pleinement conscience que, malgré ses pouvoirs, ce n’était pas elle qui menait la danse.

Sans même savoir à quoi elle ressemblait, je planifiais déjà le meilleur, m’imaginant sa morphologie et les tortures qui iraient avec. J’ai toujours aimé m’amuser avec les éveillés. Ils ont des desseins pré tracés sur le corps qui sont agréables à utiliser.

Mathias est assez rapidement revenu avec les gosses. Il avait l’air de s’en vouloir à mort l’imbécile, tentant de conserver une figure neutre qui ne trompait personne.

Mon regard s’est posé sur eux et j’ai tout de suite compris que le plus intéressant des deux était le garçon. La fille s’était déjà faite passer dessus par l’équivalent d’un bus, ça se voyait tout de suite, et elle ne présentait pas un grand intérêt. Les anciennes victimes ont tendance à calfeutrer leur esprit lorsqu’on les agresse à nouveau.

Ce qui retire une bonne partie du plaisir à l’activité.

Le môme en revanche…

Il était vierge, j’en étais sûr et certain.

Ce qui m’offrait encore de nouvelles opportunités.

-Ca c’est du bon boulot ! » S’est exclamé Nathan en tapant sur l’épaule de Mathias. Il s’est ensuite abaissé à la hauteur des gamins. « Bonjour. » A-t-il commencé, prenant un air gentil. « Comment tu t’appelles ? »

Aucun des deux n’a répondu.

Nathan a froncé les sourcils et m’a demandé, d’un signe de tête, de mettre en route l’enregistrement au cas où il parviendrait à obtenir quelque chose.

Les gosses avaient l’air perdu. La téléportation de Mathias devait sans doute y être pour quelque chose, mais ce n’était pas la seule raison.

Le garçon nous fixait tour à tour, d’un air apeuré alors que la fille contemplait ses pieds en silence et en bougeant le moins possible.

Nathan a tenté à nouveau de leur faire décrocher un mot.

-Et alors ? » Leur a-t-il dit d’un ton de reproche. « Ce n’est pas très gentil de ne pas répondre. » Il s’est ensuite à nouveau adouci. « Moi je m’appelle Nathan, là c’est Greg et là c’est Mathias. » Il nous a désignés l’un après l’autre. « Alors comment vous vous appelez tous les deux ? Vous avez bien un nom ? »

Mais le garçon a serré les lèvres et a secoué la tête.

-Tu veux que je… » Ai-je commencé en m’approchant.

Mais Nathan m’a tout de suite arrêté, se relevant et plaçant sa main devant moi pour que je ne m’en approche pas plus.

-C’est bon Greg. » M’a-t-il dit pour atténuer ma frustration. « On va attendre de l’avoir au téléphone. Elle voudra les entendre de toute façon. »

Sachant qu’elle allait bientôt être à ma merci, je n’ai pas insisté.

Nathan a attendu encore un peu avant de l’appeler, histoire d’être certain qu’elle s’était rendue compte de l’enlèvement et qu’elle en avait pris toute la mesure. Puis, il l’a invité à nous rejoindre.

On a préféré la faire venir à distance de mes nids au cas où elle se rende compte du danger et qu’elle ne les élimine en prévention, et Nathan l’a affaibli d’une très judicieuse manière avant que nous ne la rencontrions.

Puis on l’a emmené dans l’église pour conclure le marché.

Et me permettre de m’exprimer dans un endroit qui en valait la peine.

Avant que Nathan ne lui explique la raison de cette prise d’otage, il a voulu voir ce qu’elle avait dans le ventre, et lui a demandé de se déshabiller.

C’est ce que nous avions convenu et même, ce que j’avais personnellement proposé.

Je l’ai fixée avec envie, contemplant ses cicatrices qui marbraient la quasi-totalité de son corps et je m’imaginais déjà en train de les parcourir, lentement, une à une, avec la pointe acérée d’un scalpel. Je réfléchissais à la manière dont j’allais m’y prendre, comprenant que je ne pourrais pas aller au bout de mes projets puisqu’il fallait qu’elle reste utilisable pour Nathan, mais ça ne m’empêchait pas de pouvoir m’amuser un peu.

Devrais-je la laisser libre de ses mouvements ? Comme je le faisais parfois pour certaines de mes victimes, appréciant leurs inutiles tentatives pour se soustraire à mon emprise. Ou faudrait-il plutôt que je l’entrave avant de commencer ? Histoire de ne pas gâcher mon art, puisque suivre ces belles arabesques blanches avec précision nécessiterait tout de même qu’elle reste immobile.

J’en étais là de mes réflexions, le membre aussi raide qu’une barre à mine, lorsqu’elle a cessé de se dévêtir, conservant bêtement son soutien-gorge.

-Laisse, Greg. Ça suffit amplement. » M’a alors répondu Nathan. Sur le coup, je n’ai pas compris pourquoi il la protégeait. De toute façon, il était clair qu’elle n’allait pas le garder, une fois seule avec moi.

Sauf qu’ensuite il lui a permis de se rhabiller.

Cette fois j’ai perdu patience.

-Attends ! » L’ai-je interrompu alors qu’il repartait dans ses délires divins. « Tu avais dit qu’on pourrait… »

Et là, cet enfoiré s’est permis de m’envoyer sur les roses.

-Pas maintenant putain ! Greg ! Il y a des choses plus importantes que ta queue bordel ! »

J’ai eu un temps d’arrêt.

Plus importantes que ma queue…

Espèce de sale petite enflure…

Et si on en parlait de la tienne, connard ?

Parce que j’ai compris à cet instant, qu’il n’avait jamais eu l’intention de me la laisser en réalité.

Je l’ai vu à sa façon de lui parler, de se tenir devant elle comme un gentleman. Oui, bien sûr, il avait enlevé ses gamins, mais il faisait tout pour ne pas paraître pour un monstre à ses yeux.

C’était le gros défaut de Nathan.

Être un putain de romantique.

Et il a cru qu’elle ressemblait à Anna parce qu’elle avait des lames comme elle. Sauf que cette fille n’avait rien à voir avec son ex, ça se voyait comme le nez de cet enfoiré au milieu de sa grande gueule.

J’avais beau ne pas apprécier Anna, je la respectais en partie, parce qu’elle avait de l’ambition. Ce qui n’était clairement pas le cas de cette éveillée. Mais ça, Nathan était trop stupide et aveugle pour le voir. Ce qu’il voulait durant ce voyage à Paris, ce n’était pas seulement se débarrasser de son ex, mais aussi séduire celle-là.

Pour avoir à nouveau une puissante alliée… Et pouvoir se la faire, à l’occasion.

Et j’ai compris que je pouvais dire adieu à mes beaux projets.

Une intense frustration m’a figé sur place et je me suis vengé dès que je l’ai pu, en lui balançant une petite phrase bien placée.

Il m’a envoyé un banc de l’église pour me faire taire et je me suis mis hors de sa portée alors qu’une obscure partie de moi réfléchissait déjà à un plan de secours.

Greg… Voyons Greg, ça ne fait rien. Tu sais bien que ça ne fait rien.

Mais je la voulais. Elle.

J’ai cru entendre un petit rire résonner sous mon crâne.

Tu as les autres Greg… Ils t’attendent sagement. Et il n’y a que Mathias pour les protéger. Ne t’en fais pas. Nous allons quand même pouvoir nous amuser…

Et un léger sourire m’a étiré les lèvres à cette pensée.

 

Une douleur atroce résonne de mes orteils à ma hanche lorsque cette salope me sectionne presque le genou. Je me retrouve immédiatement à terre, et elle retire sa lame d’un geste vif me faisant hurler une deuxième fois.

Malgré la souffrance qui m’obscurci la vue, je tente d’attraper mon flingue, tombée à quelques centimètres de ma main.

Quand cette pute me l’éloigne, juste assez pour que je ne puisse pas m’en saisir.

Je me retourne alors vers elle et la fixe, tentant de déterminer ce qu’elle compte réellement faire de moi, maintenant que je suis à sa merci.

J’ai déjà remarqué qu’une majorité des éveillés se contentent de tuer, assez rapidement d’ailleurs, leur victime. Il y en a bien sur quelques-uns qui s’amusent un peu avant pour obtenir quelques faveurs, souvent sexuelles, ou plus simplement pour se sentir puissant. Mais la plupart se contentent de peu.

Contrairement à moi en tout cas.

Je lis dans ses yeux qu’elle fait partie de la première catégorie. Ce qui ne me laisse pas une grande chance de survie.

Au moins je ne devrais pas trop souffrir.

C’est en tout cas ce que je crois jusqu’à ce qu’elle se mette à me parler, ou plutôt, à me hurler dessus.

-Où sont-ils ? » Me demande-t-elle d’une voix qu’elle peine à garder sous contrôle.

Et je comprends rapidement qu’elle parle des supposés cadavres de ses gosses.

Ce qui me laisse plus de temps que prévu en fin de compte.

Et j’ai toujours une alliée avec moi.

-OU SONT-ILS ! » Répète-t-elle, perdant définitivement ses moyens devant mon sourire qui s’agrandit sans même que je ne m’en rende compte.

Et je vois ma belle accomplir sa mission.

Un rire démoniaque, hystérique, emplit ma boîte crânienne

Elle sera à nous Greg… Finalement, nous allons quand même pouvoir nous en occuper comme il se doit.

Je la vois qui chasse ma veuve noire de la main avant de l’écraser à l’aide de son pied.

Elle se retourne vers moi comme si elle voulait me dire quelque chose.

Elle va souffrir… Maintenant ça va commencer… Et ce n’est pas près de s’arrêter.

J’en oublierais presque que Mathias est toujours dans les parages. Mais il est sans doute bien trop épuisé pour représenter un réel danger.

L’éveillée plaque brusquement sa main sur son cou puis elle se met à pâlir, prenant une belle teinte de porcelaine.

Elle plante ses lames dans le carrelage du magasin pour tenter de se maintenir debout. Puis son corps se tord de douleur et elle se met à vomir une bile jaune et odorante.

Les odeurs, les liquides biologiques, ça ne m’a jamais gêné. Ils font partie de la vie et de la mort des êtres vivants. Et lorsque l’on s’en occupe aussi… Profondément, il faut être prêt à voir sortir ce genre de choses.

Le rire qui m’habite le crâne depuis tout à l’heure finit par s’échapper et par secouer ma cage thoracique. Je l’exprime pleinement, ignorant presque ma douleur à la jambe.

J’ai une brève pensée pour ma Zoé, sachant que c’était la dernière de sa lignée et que je ne risque pas d’en trouver de nouvelles avant un moment.

Alors je lui rends un dernier hommage.

-Tu t’es sacrifiée ma belle mais ce n’est pas pour rien. » M’adressé-je à son petit corps aplatit au sol.

La fille devant moi tombe à genoux et je me dis qu’il est grand temps pour elle de rentrer ses saloperies de lames.

Et je sais comment faire pour l’aider.

Je rampe sur quelques centimètres, ma jambe glissant dans la mare de sang provoquée par ma blessure au genou, et parviens à attraper mon arme.

Puis je la tourne lentement vers la fille, visant une partie non létale de son anatomie, histoire de la blesser suffisamment pour lui ôter ses armes mais surtout de la garder en vie.

Suffisamment longtemps en tout cas.

Lorsque je croise son regard.

D’autres yeux se superposent aux siens sans que je ne comprenne pourquoi. Peut-être à cause de cette lueur au fond de ses pupilles, celle d’un espoir anéanti.

Et je me dis que ce que cherchait Sophie, lorsqu’elle est venue me voir au zoo, c’était peut-être finalement d’avoir un frère.

De façon sincère.

Et je souris, de ce sourire que j’aurais dû lui rendre ce jour-là.

Lorsqu’elle m’a tendu la main.

 

 

Musique : Mes racines, Renan Luce