Hors série n°4

Chroniques du clan

Iris

 

-Val… » Commencé-je avec un regard coquin en lui prenant les mains.

Il me fixe de son petit air naïf et innocent. Mais je suis certaine qu’il sait déjà ce que j’ai en tête. Je l’entraîne à reculons dans ma chambre, celle qu’il m’a si gentiment laissée, en grand gentleman qu’il est.

-Iris ? » Me demande-t-il d’une voix un ton plus aigu que d’habitude. « Qu’est-ce que… »

Une fois entré dans la pièce, je referme rapidement la porte derrière lui.

À clef.

-Si tu veux sortir d’ici, il va falloir me passer sur le corps. » Lui expliqué-je tout en faisant ostensiblement tomber la clef dans mon décolleté.

Il me sourit, gêné.

-Iris… Je ne peux pas… Tu es blessée… » Tente-t-il immédiatement de calmer mes ardeurs.

C’est peine perdue, ça fait déjà bien trop longtemps que j’attends.

D’abord, il n’était pas prêt, ensuite il y a eu ce foutu combat avec la collectionneuse, après, ma blessure, l’état de Mathias, d’Ambre…

Bref, toutes les excuses y sont passées.

Et maintenant ça suffit.

-Je suis guéri Val. » J’effectue d’amples moulinets avec le bras pour le lui prouver, me retenant de grimacer lorsqu’une légère sensation de tiraillement me gêne. « Mathias va beaucoup mieux, Ambre est entre de bonnes mains et Victor n’est pas à la maison. » J’élimine toutes ses fausses excuses d’un coup, mais il ouvre encore la bouche.

Je place deux de mes doigts sur ses lèvres.

-Val, si tu ne me prends pas là, maintenant, je te jure que je te viole. » Lui asséné-je de mon regard le plus sensuel.

Il scille et rougit de cette teinte que j’adore avant de capituler.

-D’accords Iris, mais je n’ai jamais… »

-Il faut une première fois à tout ! » Je lui réponds, ravie, en l’entraînant à ma suite pour nous rapprocher du lit.

Je commence à me déshabiller et il me laisse faire en me fixant d’un air mi-affamé, mi-terrifié, les bras ballants.

-On va commencer par les bases… » Lui expliqué-je en retirant mon string.

-Iris… J’ai peur de te faire du mal… » Se retient-il encore. « Avec mon pouvoir… »

-J’ai la solution ! » Le rassuré-je instantanément en m’élançant vers la table de nuit. J’ouvre le tiroir et récupère un petit sachet plastique caractéristique. « Tiens ! » Et je le lui envoie d’un geste.

Il le rattrape de justesse, manquant de le faire tomber au sol et lis attentivement le descriptif.

-Un préservatif ?… »

Je hoche la tête en revenant vers lui.

-Comme ça, aucun risque que tu puisses utiliser ton pouvoir avec ton… fluide corporel. » Conclus-je joyeusement en lui retirant son pull et son T-shirt.

Il m’aide maladroitement, sa précieuse protection toujours en main et je m’attaque à son pantalon.

-Iris ! » Se met-il à rire tout en faisant mine de me retenir.

Je lève un doigt dans sa direction.

-Au cas où tu serais ignorant à ce point Val, sache que ce type d’activité se pratique nue en général. » M’agacé-je.

Il m’adresse un petit sourire contrit.

-Oui… Oui je sais… Laisse-moi faire Iris. » Me demande-t-il.

Comme je sens qu’il en a besoin pour se mettre à l’aise, je le laisse retirer seul ses chaussures, ses chaussettes et son pantalon, puis après une brève expiration, son slip.

Malgré son évident état de stress, mon futur jouet est déjà prêt à être utilisé. Ni trop petit, ni trop gros. Juste ce qu’il faut.

Parfait !

Je récupère le préservatif et l’ouvre d’un geste sec.

-Tu n’en as jamais mis hein ? » Lui demandé-je de manière rhétorique.

Il se contente de secouer la tête, les muscles crispés.

-Alors, c’est très simple. » Et j’associe l’explication aux gestes. « Tu le tiens comme ça, tu le places bien sur le bout et après… Tu déroules ! »

Je me relève, le fixe quelques secondes avant de l’embrasser furieusement sur les lèvres.

Comme toujours il serre les siennes en réponse, mais j’ai fini par apprendre à ne plus me vexer. Il cherche juste à me protéger…

Je l’entraîne avec moi sur le lit et je m’allonge sur le dos tandis qu’il se place sur le côté. Je lui prends sa main libre et la pose avec douceur sur ma joue avant de la faire descendre sur ma gorge, puis très lentement, sur mon sein gauche.

Ma respiration s’accélère, mais ça n’a rien à voir avec la sienne qui devient déjà bruyante alors que sa main se met à trembler.

-Tu es ici sur la première zone de jeu » Repris-je pour dédramatiser la chose. Il glousse immédiatement et se détend un peu. « Je dirais qu’il y en a trois en tout… » Je réfléchis une seconde avant de corriger. « En fait non, il y en a quatre. Mais je suis pas très fan de la quatrième, donc on va rester à trois. »

Il fronce les sourcils sans comprendre.

Mais que c’est mignon tant d’innocence !

-Bref » Je poursuis, sans entrer dans les détails. « Tu peux les caresser, les embrasser, les mordiller… C’est pas du sucre, mais c’est pas non plus une balle antistress donc… » Et je lui fais toucher mon téton du bout des doigts.

Il semble s’extasier une minute de le sentir durcir et pointer sous l’action de sa main et je le laisse jouer un peu avec.

Avant de reprendre mon cours.

-En ce qui concerne la deuxième zone de jeu… » Et je fais descendre nos deux mains le long de mes côtes puis de mon ventre jusqu’à mon pubis. « Elle se trouve par là… » Je guide ses doigts pour que la pulpe de son index trouve rapidement mon point sensible.

Je ferme les yeux une seconde, profitant de ce contact charnel alors que je sens sa main se remettre à trembler.

D’excitation, pas de peur cette fois.

-Ici c’est très sensible. » Lui expliqué-je d’une voix plus rauque. « À manipuler avec précaution donc. » Je guide ses doigts pour lui montrer le type de caresses qui me fait vibrer. Je sens qu’il se rapproche de moi, et qu’il s’exerce avec application à reproduire ce que j’attends. Je soupire de plaisir et profite un peu du moment avant de rouvrir les yeux.

La peur a définitivement quitté les siens et il attend avec impatience que je passe à la suite.

-Si tu as bien travaillé sur les zones précédentes… » Repris-je et je fais lentement glisser ses doigts encore plus bas, écartant légèrement les cuisses. « Alors tu peux prétendre à demander ton droit d’entrée ici… »

Il glisse timidement un doigt en moi.

Avant de le retirer d’un geste vif et de s’éloigner d’un coup, lâchant un petit cri qui ressemble à s’y méprendre à celui d’un rongeur pris au piège.

Mais qu’est-ce que j’ai fait ?!

Je me redresse sur les coudes alors qu’il s’assoit sur le rebord du lit, se repliant sur lui-même.

-Merde… » Lâche-t-il. « Je… Je suis désolé Iris… »

Je lâche un rire lorsque je comprends.

-Ça ne fait rien Val. » Le rassuré-je en posant ma main sur son épaule. « C’est normal la première fois… »

Il me jette un regard penaud, n’osant pas se déplier de peur de révéler sa perte de contrôle.

Je sors du lit et lui tends la main.

-Viens. On va nettoyer tout ça et on recommence. » Et je l’emmène hors de la chambre, dans la salle de bains.

 

Je soupire en descendant à la cave.

Vivement qu’Ambre se remette ! Il n’y a rien de plus ennuyeux que de réenclencher ce fichu générateur tous les jours ou presque…

Je m’approche de l’appareil à tâtons, n’ayant pas pris de lampe torche pour me guider et pose ma main sur la machine. Je me concentre, fermant les yeux pour m’aider.

C’est dingue ce que mon éléctrokinésie est lente ces temps-ci ! Je mets un temps fou à la déployer. Et de longues minutes supplémentaires me sont nécessaires pour recharger suffisamment notre source d’énergie.

La lumière s’allume enfin dans la pièce.

Ah ! Enfin ! J’ai failli attendre !

Une fatigue semblable à un coup de pompe digestif me tombe dessus et je me demande si je ne vais pas m’octroyer une petite sieste…

Lorsque des bras s’enroulent soudain tout autour de moi, des lèvres que je connais par cœur me picorant agréablement la gorge.

-Hé Val ! Vous êtes rentrés depuis longtemps ? » Je lui demande, étonnée que lui et Victor soit déjà de retour de la colonie. « Comment vont Ambre et Mathias ? »

Je me retourne pour lui faire face et il prend le temps de me répondre entre deux baisers.

-Comme d’hab. » Se contente-t-il de me dire alors que sa bouche descend le long de mon sternum jusqu’à mon décolleté. « Victor est resté là-bas… »

Ce qui explique un tel empressement.

J’aurais sans doute été aussi impatiente que lui si je ne venais pas tout juste de remplir mon devoir d’électrokinésiste.

Il me pousse contre le groupe électrogène et plaque son bassin contre le mien, sa main sur mon sein, ses lèvres chatouillant mon oreille.

-C’est que tu y as pris goût Val… » Lui chuchoté-je en riant.

Il se recule et plonge son regard dans le mien, suppliant.

-Tu n’en as pas envie ? » Me demande-t-il, soudain inquiet à l’idée d’avoir commis une faute.

J’agrandis les yeux de surprise, m’étonnant qu’il ait perçu ma réticence.

-Non ! Ce n’est pas ça ! » Tenté-je de le rassurer. Mais je ne dois sûrement pas m’y prendre correctement étant donné que ses traits deviennent presque souffrants. « Val ! Arrête de stresser ! C’est juste que je viens de ranimer ce truc, là ! Et ça me crève à chaque fois… »

Il me donne l’impression de l’avoir puni. Un peu comme si j’avais engueulé mon chien d’avoir fait ses besoins dans la maison.

Je lui souris.

-Viens. » Je lui propose en lui prenant la main. « Je vais voir ce que je peux encore faire pour toi. »

Et je l’entraîne au premier étage.

 

Je sors de la douche et rejoins ma chambre. Valentin m’y attend, allongé en sous-vêtements, Bastet couché en boule sur son ventre.

-Tu sais que je vais finir par être jalouse. » Je lui lance en le découvrant.

Son félin me lance un regard que j’interprète comme du défi tandis que son maître ne réagit même pas, perdu dans ses pensées en fixant le plafond.

-Val ! Allo ! Je suis là ! » Tenté-je de lui rappeler ma présence.

Il poursuit son espèce de méditation, les sourcils froncés, sa main caressant distraitement le pelage de Bastet.

Comme mes appels seuls ne suffisent pas, je décide de passer à l’étape suivante.

Je retire ma serviette et sautille gaiement jusqu’à lui avant de me jeter sur le matelas.

Bastet n’apprécie pas du tout que je lui vole ainsi son coussin et feule avant de sauter à bas du lit. Valentin quant à lui, se rend enfin compte de mon existence.

Il s’étonne de me voir si proche et son regard passe en un instant de mon visage au reste de mon corps.

-Mais… Tu es nue ?! » Réalise-t-il bêtement.

Je lève les yeux au ciel.

-Oui je suis nue Valentin. C’est bien que tu l’ais enfin remarqué… »

Nous nous plaçons l’un en face de l’autre et il pose sa main sur ma hanche la caressant distraitement, l’air à nouveau ailleurs.

Ce qui me donne la désagréable impression d’avoir pris la place du chat.

Je fais mine de me vexer et me tourne sèchement sur le dos, croisant les bras sur ma poitrine.

-Si je ne t’intéresse pas, tu peux le dire carrément, tu sais… » Lui lancé-je, d’un ton furieux.

-De… Quoi ? » S’étonne-t-il, atterrissant de manière brutale dans le monde réel. Il se rapproche de moi, collant son corps contre le mien, m’embrassant tendrement l’épaule, puis la clavicule, puis la gorge…

Je ferme les yeux tout en souriant, ravie d’avoir gagné son intérêt. Il poursuit ses caresses tout en retirant son unique vêtement. Je me tourne vers lui et attire sa bouche contre la mienne. Je perçois son désir malgré ses lèvres résolument fermées. Sa main glisse sur ma hanche avant de visiter mon entrejambe avec dextérité.

Décidément…

Je suis un excellent professeur !

Je ne mets pas longtemps à gémir de plaisir. Il perd quelques minutes pour utiliser un préservatif, une protection qu’il ne se permettrait jamais d’oublier, avant de se placer au-dessus de moi. Je l’accueille avec chaleur et ne résiste pas longtemps sous ses assauts langoureux.

Alors que je me sens vibrer au point de lâcher un véritable cri d’extase malgré la présence de Victor dans la maison, mon amant perd le contrôle. Ses lèvres qui ne cessaient de revenir visiter mon visage et mon cou s’écartent soudain, laissant la place à ses dents et à sa langue.

Il me mord la gorge, avant de la lécher, affamé.

Une sensation étrange me parcourt soudain. J’ai la surprenante impression que mon esprit se détache de mon corps. C’est loin d’être désagréable cependant…

-NON ! NON IRIS REVIENS ! » Hurle alors Valentin, les traits meurtris juste au-dessus de moi. Il quitte mon corps et je mets quelques secondes à me rendre compte de la soudaine absence de sa chair dans la mienne. « Non non non non… Je t’en prie… Iris… Pardonne-moi… »

Il sanglote, sa carcasse dégingandée repliée en boule contre ma poitrine

-Val ? Qu’est-ce qu’il y a ? » Je lui demande, étonnée par l’intensité de sa tristesse. « Ça ne t’a pas plu ? Moi j’ai beaucoup aimé… »

-Je t’ai… » Me coupe-t-il entre deux hoquets. « Je t’ai souillé Iris… »

Alors que je tente de le prendre dans mes bras pour le rassurer, il s’éloigne de moi, repoussant mes caresses.

Ah non !

Hors de question qu’il se serve de cette excuse pour me laisser sur le carreau !

-Valentin ! Tu arrêtes ça tout de suite ou tu peux dire adieu à tes gâteries ! » Je lui lance en me redressant, certaine de parvenir à mes fins et de faire cesser son chagrin.

Mais il n’en est rien.

-Je n’aurais jamais dû… » Lâche-t-il, semblant en rage contre lui-même. « Iris, tu ne devrais pas être avec moi ! C’est trop dangereux ! »

Il cherche ses vêtements et s’habille, des larmes roulant toujours furieusement sur ses joues.

Je le rejoins en un éclair et l’empêche d’enfiler son T-shirt.

-Valentin Eliot François Matis ! Je t’interdis de me quitter ou je t’en colle une ! »

Je lui saisis les poignets pour faire bonne mesure.

-Mais Iris ! Tu ne comprends pas ?! J’ai perdu le contrôle ! J’ai utilisé mon pouvoir sur toi… »

Je me concentre alors et parviens à lui adresser une brève châtaigne.

-Aïe ! » S’écrie-t-il, surpris.

-Ah ! » Exulté-je. « Moi aussi ! Voilà ! Nous sommes quittes ! »

Il secoue la tête et parvient à repousser mon étreinte.

-Ce n’est pas pareil… »

Cette fois je perds patience.

Je le gifle. Une belle claque bien nette qui fait un beau bruit et rosit instantanément sa joue gauche.

Il me fixe, abasourdi.

-Ça y est ?! C’est bon ? Tu as fini ? » Je lui demande d’un ton rageur.

Il n’ose plus faire le moindre geste. D’un regard penaud et soumis, il attend la suite de sa punition. Si je n’étais pas aussi énervée, je l’aurais instantanément embrassé pour chasser cette souffrance de ses yeux.

Au lieu de quoi…

-Tu l’as bien cherché Val ! » M’exclamé-je avant de lui prendre la main et de le contraindre à me suivre jusqu’au lit.

Je le force à s’y asseoir et me place sur ses jambes pour l’empêcher de se relever.

-Maintenant tu vas m’écouter. » M’adressé-je à lui du ton le plus sérieux dont je dispose. « Je me contrefiche de ton pouvoir Valentin, tu m’entends ? Il ne s’est rien passé aujourd’hui, c’était un accident qui ne se reproduira jamais ! Tu as compris ? »

Il s’apprête une nouvelle fois à argumenter.

-Mais Iris… » Me supplie-t-il.

-Il n’y a pas de « mais Iris » qui tienne ! » M’exclamé-je en plaquant ma main sur son adorable bouche. « Ça suffit Valentin ! Arrête de croire que tu es un monstre ! On en a vu tous les deux et on sait très bien à quoi ça ressemble ! Tu ne te considères pas comme eux non ? »

Il semble réfléchir une minute avant de hocher lentement la tête, mes doigts empêchant encore toute expression verbale de sa part.

Je les retire, les soulevant un à un et le libère. Je ne lui laisse pas l’occasion de s’exprimer cependant et le force à s’allonger, plaquant mon corps contre le sien, ma jambe repliée sur son bassin.

-A quoi tu pensais tout à l’heure ? » Je lui demande, enfin radoucie et dans l’espoir de chasser ses sombres réflexions.

-Je… C’est rien… » Tente-t-il de se dérober.

-Val… Tu veux une autre claque ? » Je le menace en souriant contre son épaule.

-Non… C’est juste que… » Il hésite encore à poursuivre. J’approche ma main de son visage et lui frôle gentiment sa joue colorée par l’expression de ma colère. Je suis enfin parvenue à mes fins, il rit en réponse à mes caresses avant de reprendre son sérieux. « Bastet pense que nous sommes en danger. » M’avoue-t-il enfin. « Elle a capté des intentions mauvaises de la part de plusieurs personnes à la colonie… Je ne sais pas quoi en penser… »

-De la colonie ? » Je m’étonne, perplexe. « Après tout ce qu’on a fait pour eux ? Tu ne crois pas qu’elle essaie plutôt d’attirer ton attention parce qu’elle est jalouse de moi ? » Je lui propose en approchant mes lèvres de son oreille.

Il rougit instantanément, un changement de couleur qui n’a rien à voir avec une démonstration de force de ma part.

-Bastet n’est pas comme ça… »

Je me place à califourchon sur lui.

-Elle pourrait. » J’ouvre sa braguette d’une main experte. « En attendant, j’estime que nous n’avions pas fini. Et puisque Môssieur ne sait pas se contrôler, c’est moi qui m’occupe de tout cette fois. »

Une chose qui ne semble pas lui déplaire en fin de compte.

 

Nous attendons Victor avec Valentin. Ce dernier semble particulièrement tendu sur sa chaise, comme s’il craignait que notre musicien préféré ne revienne pas de sa visite à la colonie. Il est vrai que le message envoyé par Pascal par la radio d’Ambre me semblait un peu étrange à moi aussi. Comme s’il recelait un danger caché.

En même temps, on ne risque pas de demander à Victor de faire quoique ce soit. Enfin, à part donner son sang jusqu’à se vider je veux dire. Ce dont Ambre n’a plus besoin depuis quelques temps a priori.

Je glisse ma main sous celle de mon amant et il tourne son regard torturé dans ma direction.

-Je suis certaine que ce n’était rien de grave. » Je lui assure, cherchant à lui ôter cet air soucieux.

Il hoche la tête, sans conviction.

Un moteur de voiture se fait soudain entendre à l’extérieur et quelques minutes plus tard, Victor nous rejoint dans le salon.

Ses traits semblent si sombres que j’en déduis immédiatement ce qu’il s’est produit.

Nous nous levons d’un même mouvement avec Valentin, mais c’est moi qui m’élance sur Victor, des sanglots déjà présents dans la voix.

-Non Victor… Ambre est… »

Il nous rassure immédiatement, me posant la main sur mon bras.

-Ambre et Mathias vont bien. Ils ont été un peu secoués, mais ça va. » Nous lâche-t-il avant de se diriger vers la machine à café.

-De… Quoi ? Comment ça ? Secoués ? » Je demande, jetant un œil à Valentin qui semble aussi perplexe que moi.

Victor soupire avant de placer sa tasse afin de récupérer son précieux liquide.

-Ambre s’est faite attaquer cette nuit. » Nous explique-t-il enfin. « Par un membre de la colonie. » Enchaîne-t-il alors que je m’apprêtais à le lui demander.

Comment ça ?

Un membre de la colonie ?!

Mais ce sont nos amis !

Je me tourne vers Valentin dont le regard s’est perdu dans les lattes du parquet. Il hoche la tête comme s’il s’en doutait depuis le début.

Non, mais ! S’il était au courant, il aurait pu me le dire au moins !

-Pourquoi Victor ? Pourquoi est-ce qu’ils feraient ça ? » Je l’interroge alors, persuadée qu’il s’agit d’une mauvaise plaisanterie.

-Je l’ignore Iris. » Me répond-il, la mine déconfite. Il récupère sa boisson et la garde en main sans y tremper les lèvres. « Pascal pense qu’un mouvement de contestation se prépare. La mort de Frank en serait le moteur principal. »

-La mort de Frank ? Mais… » Je m’étonne à nouveau avant que Valentin ne m’interrompe.

-Ils vont nous faire porter le chapeau. » Lâche-t-il d’une voix dure que je ne lui connais pas.

Victor approuve en silence.

-Pascal se veut rassurant, mais je pense que nous devrions faire attention à partir de maintenant. » Déclare-t-il, le ton grave. « Mieux vaut ne pas nous séparer. Et nous devrions régulièrement nous rendre à l’infirmerie en évitant au maximum le reste de la colonie pour ne pas ajouter de l’huile sur le feu. »

Alors que Valentin poursuit son examen attentif du sol, Victor l’imitant avec sa tasse, je les observe tour à tour, n’en croyant pas mes oreilles.

-Vous ne pensez pas qu’ils… Qu’ils pourraient… Nous faire du mal ? » Je les interroge les sourcils froncés de doute.

Victor prend quelques minutes pour me répondre.

-Je ne sais pas Iris. Mais le fait que Ambre se soit fait agresser ne me dit rien qui vaille. Il y a eu trop de mort et de souffrance lors du combat contre la collectionneuse. Cette bataille va laisser des traces et notre présence ici ne fait que les raviver davantage. » Il secoue la tête avant de soupirer et de m’adresser un demi-sourire. « Mais rassure-toi, nous avons tout de même quelques alliés de taille à la colonie. » Son maigre rictus s’efface et il marmonne quelque chose dans sa barbe avant de boire une gorgée.

Une main timide me saisit soudain le bras.

-Tu viens Iris ? » Me propose Valentin, hésitant.

Je comprends immédiatement la nature cachée de sa demande. Moi aussi j’ai bien besoin de me distraire.

Et tant pis pour Victor.

Je lui adresse un petit sourire coquin, tournant le dos à notre ami.

-À tout à l’heure Victor ! On va… Ranger un peu la chambre… »

Je l’entends soupirer de lassitude alors que nous montons rapidement les escaliers avec Valentin.

Bah… Il ne peut pas nous en vouloir.

 

On me secoue par l’épaule et je grogne dans mon sommeil, tirant la couette pour me couvrir le visage.

-Iris ! Iris réveille-toi ! » Me tire une voix apeurée de ma torpeur.

Je reconnais Valentin et tourne mes yeux ensommeillés dans sa direction. Il s’éloigne lorsqu’il constate que je suis réveillé et s’habille en quatrième vitesse.

-Lève-toi ! » M’intime-t-il le ton toujours aussi urgent. « On doit partir ! Rejoindre la colonie ! Il y a un problème là-bas… »

Je fronce les sourcils et m’assieds sur le lit sans comprendre.

-Comment ça un problème ? Qu’est-ce qui t’a dit… »

-C’est Bastet qui m’a prévenu. » M’apprend-il en m’envoyant mes vêtements pour accélérer mon mouvement. « Sabine va arriver d’une minute à l’autre. Dépêche-toi ! »

Ressentant son angoisse, je m’exécute. J’aurais bien droit à une explication claire plus tard.

Alors que j’achève de me préparer, on frappe violemment à la porte d’entrée.

-VICTOR ! VICTOR OUVRE ! »

J’échange un regard perplexe avec mon amant avant de sortir de la chambre et de descendre les escaliers en trombe. Il me suit, récupérant son félin qui semblait l’attendre sur le pas de la porte.

Victor a ouvert la porte entre-temps et s’entretient avec la membre de la colonie d’une voix pressante.

-…Devez partir immédiatement. Il n’y a pas de temps à perdre. » Lui explique-t-elle.

-Et pour Mathias et Ambre ? »

-C’est ta vie qui est en danger Victor ! Tu ne comprends pas ?! »

Mais le musicien campe sur ses positions.

-Je ne partirais pas sans eux Sabine. Soit, nous allons les chercher, soit je reste ici. »

Elle souffle de colère devant son entêtement et nous jette un regard hostile avant d’abdiquer.

-Alors, dépêchez-vous. » Nous lance-t-elle avant de quitter prestement la maison.

Victor nous enjoint en silence à le suivre et nous emboîtons tous le pas de l’humaine. Nous nous engouffrons dans sa voiture, une petite citadine, Victor prenant d’office le siège passager à l’avant.

Sabine démarre avant même que je n’aie refermé ma portière.

-Hé ! » M’indigné-je devant son ignorance totale des règles de sécurité les plus élémentaires.

Elle m’ignore et fait ronfler le moteur, accélérant dans les virages à en faire crisser les pneus.

-Qu’est-ce qui se passe ? » L’interroge Victor le souffle court, agrippé à la poignée, alors qu’elle prend enfin une ligne droite.

-La colonie se soulève. » Explique-t-elle d’un trait. « Et d’ici quelques minutes, les éveillés ne seront plus les bienvenus. »

-Ils ne sont déjà pas les bienvenus ! » Je lui rétorque, agacée par son comportement à notre égard.

Elle accélère encore.

Plus aucun éveillé. Laurent ne veut aucune exception. »

Je perçois le chuchotement terrifié de Valentin.

-Laurent… »

Je me tourne vers lui, surprise.

-Tu le connais ? »

Il n’ose pas me répondre, comme si le simple fait d’en parler risquait de déclencher les foudres divines sur notre véhicule.

-Et Pascal ? Il ne peut rien faire ? » Demande alors Victor, un espoir dans la voix.

-Pascal est probablement en prison à l’heure actuelle. J’imagine qu’ils ne lui feront pas de cadeaux. »

Le musicien se tourne vers notre sauveuse.

-Mais toi ? Qu’est-ce que tu risques en nous aidant ? » S’enquiert-il alors, une profonde inquiétude dans la voix.

-Toujours beaucoup moins que vous. » Lui répond-elle sans s’attarder sur le sujet.

Il s’alarme à ces dires.

-Vient avec nous Sabine ! Ne reste pas ici… »

-Hors de question. J’ai des femmes qui comptent sur moi. Je ne peux pas les abandonner. »

Son ton est sans appel et Victor, sachant à quel genre de femme il a à faire, n’insiste pas.

Nous parvenons à Fessenheim, mais Sabine choisit de prendre une route plus anonyme et rejoint l’arrière de l’infirmerie.

-Je rentre en première. » Ordonne-t-elle à Victor. « S’ils sont déjà là, tu es prié de te barrer avec les deux autres sans m’attendre. Sinon je te fais signe pour vous prévenir que la voix est libre. »

Sans attendre de réponse, elle quitte le véhicule et s’élance vers la porte.

La tension dans l’habitacle est si lourde que Valentin se met à glousser, plaquant ses deux mains sur sa bouche pour tenter de limiter son hilarité.

Je lui en saisis une que je rabats sur la banquette, la serrant de toutes mes forces. Je plonge mon regard dans le sien et il se calme progressivement. Placée sous le siège avant, Bastet émet de puissants ronronnements pour m’aider à calmer son maître.

Sabine ressort soudain et nous adresse un signe de la main.

Nous la rejoignons sans refermer les portières pour rester le plus discret possible et pénétrons à l’intérieur du bâtiment. En quelques pas rapides, nous atteignons la chambre d’Ambre.

-Non je pense que ça devrait aller… » Semble répondre la voix de Luc.

Très vite suivi par celle de Mathias.

-Ça devrait aller ?… » Avant de s’interroger devant le bruit de notre arrivée. « Mais qu’est-ce qui se passe ? »

Ambre se met soudain à gémir alors que nous nous glissons dans la pièce. Elle se trouve toujours dans son lit, mais son visage n’a rien d’apaisé. Les sourcils froncés, les traits tendus, elle semble souffrir le martyre. Mathias campe à ses côtés tandis que Luc s’active de l’autre, débranchant un à un tout ce qui la relie au matériel nécessaire à son coma.

-Ambre ?! » S’inquiète immédiatement Victor. « Pourquoi l’avez-vous réveillé Luc ! Elle n’est pas prête ! »

Ce dernier poursuit sa tâche sans tenir compte de cette remarque.

-Nous n’avons pas vraiment le choix Victor. » Se contente-t-il de lui répondre. « Là où vous aller, vous n’aurez pas de quoi la maintenir dans le coma. »

L’agacement que je ressens depuis mon réveil forcé, ajouté au stress de notre situation me contraint à m’exprimer sous peine de me venger gratuitement sur Valentin plus tard.

-Quoi ? Comment ça là où on va ? »

Sabine me répond, presque à contrecœur.

-En Allemagne. Votre plus grande chance est de rejoindre la colonie de Stuttgart. »

Je m’apprête à lui rétorquer une phrase bien placée, mais Victor me devance, d’un ton beaucoup trop doux à mon goût.

-Comment peux-tu être sûre qu’ils vont nous accueillir Sabine ? »

Elle s’esclaffe, sarcastique avant de répondre, un brin plus aimable.

-Je n’en sais rien Victor, mais ce sont des alliés de Frank. Ce sont eux qui ont participé au combat contre la collectionneuse. Je crois qu’il avait établi une sorte de marché avec eux… C’est certainement votre meilleure chance. »

-Tu plaisantes ?! » L’interrompt Mathias. « Ce type ne pouvait pas nous blairer ! Alors ses alliés… »

-Il ne faut pas se fier aux apparences. » Lance soudain une autre voix de femme qui me fait sursauter. « Frank était buté, mais il était capable de reconnaître qu’il avait tort quand il avait une preuve tangible. »

Victor ne semble pas étonné par son arrivée.

-Le barrage… » Chuchote-t-il avec sa capacité de déduction hors du commun.

Je reste coite devant sa conclusion, ne comprenant pas vraiment le rapport lorsque la nouvelle venue, une petite ronde au teint mat approuve.

-Oui c’est ça. Ça lui a fait radicalement changer d’avis sur vous. »

Je les vois tous réfléchir à cette dernière phrase et respecter une sorte de minute de silence en mémoire à Frank. J’aurais bien aimé m’insérer dans la discussion, mais ce serait tout de même mal vu que j’interrompe ce temps de recueillement, donc je garde le silence.

-Si vous voulez bien lui laisser un peu d’intimité. Il faut que je lui enlève sa sonde. »

Reprends soudain Luc, toujours aussi affairé.

-Sa quoi ?! » Demande Mathias à ma place, interloqué.

-Victor, passez-moi le rideau là. » Soupire Luc en retour.

Il s’exécute et nous nous déplaçons tous d’un mètre pour lui laisser davantage d’espace.

-Et vous ? vous êtes qui au juste ? » Je demande alors, maintenant que le charme est rompu.

-Je m’appelle Noémie. » Me répond-elle sans se vexer. « Je vous ai amené un véhicule de la colonie pour vous permettre de partir. Et il vaudrait mieux ne pas tarder. Laurent et sa clique peuvent arriver d’un moment à l’autre. »

Valentin se raidit à mes côtés. Je n’ai pas le temps de m’occuper de lui cependant, lorsque Ambre se met à gémir puis à crier.

-Putain Luc ! Qu’est-ce que tu fous ?! » S’alarme Mathias instantanément.

-Non, mais vous la torturez ou quoi ?! » Je renchéris à sa suite, approuvant tout à fait la défense qu’il apporte à notre cheffe de clan.

Le médecin cherche à la calmer.

-Chut, chut… C’est bon Ambre c’est fini, c’est fini… » Il s’adresse ensuite à nous. « Je viens de lui mettre une couche bande d’idiots, je vous rappelle qu’elle n’est absolument pas capable de subvenir à ses besoins, même les plus élémentaires. »

J’ai un temps d’arrêt face à cette déclaration et je ne suis pas la seule.

-Une quoi ?! » Répète Mathias, presque paniqué.

-Bon sang Victor ! Dites-moi que vous saurez gérer cette situation mieux que celui-là ! » Râle le toubib.

-Je… Je ferais mon possible… » Lui répond Victor, pas vraiment sûr de lui.

-C’est déjà mieux que rien… » Conclut Luc. « Je vous ai préparé un paquetage avec de quoi entretenir la perfusion, dès qu’elle est vide vous changez la poche, plusieurs doses de morphine à injecter ici. » Il nous montre l’emplacement dédié à ce type de manipulation. « Mais à utiliser avec parcimonie ou vous ne ferez pas long feu, et d’autres protections pour pouvoir la changer… »

-Il faut partir maintenant ! » Nous intime la dénommée Noémie.

Victor en profite pour se placer à l’écart avec Sabine, échangeant avec elle à voix basse. Luc s’adresse à Mathias.

-Allez-y Mathias. Prenez-là avec vous. Ne faites pas attention à ses réactions. Elle n’est pas en mesure de comprendre ce qui se passe autour d’elle. »

Après un instinctif mouvement de recul face à cette demande, il s’exécute et tente de saisir notre cheffe de clan entre ses bras. Celle-ci n’est peut-être pas en mesure de comprendre, mais ressentir, visiblement, c’est encore dans ses cordes. Elle lâche un cri qui me donne envie d’invectiver le téléporteur. Valentin me retient en plaçant une main sur mon bras, sa façon à lui de me calmer.

-Allez-y franchement Mathias ! C’est encore pire si vous faites durer la chose ! » Lui explique Luc, tendu.

Mais malgré toute sa bonne volonté. Les gémissements d’Ambre se poursuivent jusqu’à se muer en sanglots avant de s’achever par des râles qui me font froid dans le dos.

Je cherche une porte de sortie pour m’échapper de cette scène, Mathias chuchotant quelque chose à Ambre, le visage souffrant.

-Pourquoi vous nous aidez ? » Je demande alors à Noémie.

-Moi ? » S’étonne-t-elle avant de me répondre. « Parce que Frank n’aurait pas souhaité votre mort. Et je pense qu’il avait raison à votre sujet. Les éveillés comme vous sont rares, si on se met à éliminer des alliés potentiels… »

Le médecin s’approche alors d’Ambre avec une seringue.

-Je vais lui faire une dose de morphine pour le début du voyage, ça devrait la calmer un peu… » Explique-t-il.

-Et vous Luc ? Pourquoi ? » Je l’interroge alors, réalisant l’importance des soins qu’il prodigue à mon amie.

-Je suis médecin. Je ne fais que constater et en tirer des conclusions. » Élude-t-il. « Et la conclusion c’est qu’il vous faut partir tout de suite ou vous allez perdre votre chance… »

Victor se tourne alors vers lui après avoir chastement embrassé Sabine.

-Luc… Merci. »

Lorsque Bastet pénètre en dérapant dans la pièce.

-Putain ! Bougez-vous ! Ils arrivent ! » Hurle Valentin, la terreur le forçant à sortir de sa retenue habituelle.

Une bouffée d’adrénaline me saisit et je prends la direction des opérations.

Hors de question qu’ils s’en prennent à Ambre !

-Tous à la voiture ! » Je m’exclame en m’élançant dans le couloir.

Noémie me retient par le bras.

-A l’arrière ! » Me lance-t-elle.

-A l’arrière ! » Je répète pour les autres tout en prenant la bonne direction. Je crois que Mathias souffle d’agacement derrière moi, mais peu importe.

Nous quittons l’infirmerie par la même porte que nous avions empruntée à l’aller. Un large SUV nous y attend, garé à côté de la voiture de Sabine. Je saute sur le siège conducteur et les autres se répartissent dans le véhicule, Victor, à côté de moi, Valentin derrière lui accompagné de Bastet et Mathias avec Ambre tout à l’arrière.

Victor me saisit l’avant-bras.

-Discrètement Iris… » M’intime-t-il avec sérieux.

Il ne sait pas à qui il a affaire celui-là !

-Victor ! » Je m’insurge. « J’ai été membre d’un gang ! Alors, fuir les poulets, je connais ! »

Je démarre en trombe, pressée d’instaurer autant de distance que possible entre nous et nos ennemis.

 

J’avais fini par perdre espoir. Et me voilà en tête à tête avec ma cheffe de clan ! Debout, consciente et en pleine forme !

Je l’observe avec un brin de pitié alors qu’elle tente seule de relever la lunette des toilettes.

Bon, j’exagère un peu quand je dis en pleine forme. En tout cas, elle est réveillée et ça, ça change tout.

-Attends, je m’en occupe. » Je lui propose. Et sans attendre son approbation, je lui ouvre l’accès aux w.c.. « Et voilà ! » Je m’exclame d’un ton joyeux.

Elle râle à voix basse, comme toujours lorsqu’elle se trouve incapable de réaliser un simple geste de la vie courante.

-Merci Iris. » Finit-elle cependant par lâcher.

-De rien ! » Je m’exclame en patientant devant elle, lui laissant le temps de s’installer.

Elle se tient à la chasse d’eau puis attend, le dos courbé comme une personne âgée.

-Iris ? Tu peux sortir s’il te plaît ? » Me demande-t-elle en soupirant, agacée par ma présence.

Je fronce les sourcils, pas certaine que la laisser seule dans cet état soit une bonne idée.

-Je peux te baisser le pant… »

-C’est bon Iris. Merci. » Me coupe-t-elle sèchement.

J’hésite encore un instant puis finit par me résigner et quitte la pièce. Je me place juste derrière la porte, aux aguets.

Installé confortablement sur le lit d’Ambre, les bras croisés sous sa tête, Mathias ricane.

-Alors ? Ça se passe comment la rééducation caca ? » Me demande-t-il, tout sourire.

Je secoue la tête, pas touchée le moins du monde par son humour aux dépens d’Ambre et lui fait signe de se taire.

J’écoute à la porte, mais les choses semblent se passer correctement. J’entends mon amie chuchoter alors qu’elle jure probablement comme un charretier au moment de s’asseoir.

-Tu veux l’essuyer aussi ? » Se moque à nouveau le téléporteur. « Je suis pas certain qu’elle se laissera faire aujourd’hui… »

Même Valentin lâche un petit rire à cette idée.

-Mathias ! » Je chuchote en lui faisant les gros yeux. « Tais-toi ! J’arrive pas à savoir ce qu’elle fait… »

-Bah, si tu entends des plouf c’est que ça va… »

-Bon, on a compris. » L’interrompt alors Victor, d’assez mauvaise humeur aujourd’hui. « Rends-lui son lit, elle ne va pas tarder à sortir. »

Mat se tourne vers lui, son sourire toujours collé aux lèvres. À l’inverse de Victor, il semble bien plus heureux ces derniers temps. Depuis que Ambre s’est réveillée pour de bon.

-Tu plaisantes ?! À la vitesse où elle marche, j’ai bien le temps de pioncer un peu… »

Néanmoins, face au regard perçant de Victor, il finit par obéir et se lève en soupirant.

-T’es vraiment pas drôle aujourd’hui Vic. » Lui lance-t-il.

-Je suis fatigué. » Lui répond le soixantenaire. « Je te signale que j’ai passé une partie de la nuit à faire le guet… »

Mathias se réinstalle en face et baille à s’en décrocher la mâchoire.

-Moi j’ai super bien dormi en tout cas. » Nargue-t-il son aîné.

Victor ne relève pas.

J’entends de nouveaux jurons, signe que ma patiente a probablement fini ses affaires. D’ailleurs, elle ne tarde pas à m’appeler.

-C’est bon Iris. J’ai fini. » Lance-t-elle au travers de la porte.

J’adresse un pouce victorieux au reste de notre bande et recule discrètement de quelques mètres avant de revenir bruyamment vers la porte, histoire que notre cheffe de clan ne se doute pas qu’elle était espionnée.

J’ouvre gaiement les toilettes, ravie de lui venir en aide.

Enfin ! On voit enfin le bout du tunnel !

 

Il est grand temps qu’on arrête de lui refaire son pansement toutes les cinq minutes. Je ne pensais que ça pouvait être pire. Pire que lorsqu’elle était inconsciente. Pourtant c’est le cas.

Je m’isole dans la cuisine, prétextant la préparation du repas du soir tandis que Victor termine péniblement sa corvée, accompagné par les gémissements étouffés d’Ambre.

Je m’octroie une petite minute de pause, observant mon propre reflet dans la vitre du micro-ondes que je vais devoir utiliser d’ici quelques instants. Ça aussi ça m’ennuie. Comme je suis la seule électrokinésiste du groupe (Ambre étant hors-jeu pour le moment), c’est toujours sur moi que les corvées d’allumage et d’utilisation des appareils tombent. Non seulement ça m’épuise, mais en plus, j’ai l’impression de foutre en l’air mon pouvoir à force de l’utiliser sans arrêt.

Valentin en a fait les frais il y a quelques jours. Alors que nous avions enfin une minute pour nous deux, nous nous sommes laissé aller à quelques câlins. Debout, contre un mur de l’étage, il était en pleine action avec ses doigts, juste au bon endroit lorsque, sans le vouloir, je lui ai envoyé une brève, mais (visiblement) désagréable décharge.

Il a sursauté en retirant prestement sa main, surpris.

Je l’ai fixée tout aussi étonnée.

-Oh ! pardon ! » Me suis-je immédiatement excusée devant son air penaud, croyant sans doute que c’était une manière brutale de le punir de quelque chose. « Je suis désolé Val ! Je ne sais pas ce qui s’est passé… »

Il a secoué sa main, endolorie par la châtaigne qu’il a reçue.

-C’est… C’est pas grave… » A-t-il tenté de me rassurer avant de s’éloigner un peu, vexé malgré tout.

-Je te jure que je l’ai pas fait exprès ! » Ai-je insisté, désemparée de le voir me quitter.

Il m’a souri.

-Je te crois Iris, mais j’avais entendu du bruit en bas de toute façon. Je pense que nous devrions redescendre. »

-Peuvent pas se passer de nous… » Ai-je alors grommelé, déçue.

Il a posé un chaste baiser sur ma joue avant de me prendre par la main.

Je repense au contact de sa peau sur la mienne et me désole de ne pas y avoir droit plus souvent.

Cette fois-là n’était pas la première. Mon pouvoir se déclenche de temps en temps, sans me demander mon avis et sans aucune raison, depuis quelques semaines. Mais ça n’était encore jamais arrivé au contact de quelqu’un.

Je n’en ai pas parlé à Valentin ou à qui que ce soit d’autre. J’imagine que ça finira par se calmer quand je serais moins sollicitée.

Et puis, on a d’autres problèmes à gérer pour le moment.

Je redresse la tête, à l’écoute de ce qui se passe au salon et remarque que les plaintes d’Ambre se sont taries. Victor a dû achever son pansement et la laisse probablement se reposer un peu.

Je soupire et réfléchis à mon menu du soir. Je n’ai pas énormément de choix, ce qui est bien dommage. Mes talents culinaires ne sont pas utilisés à leur juste valeur ici.

J’ouvre les différents placards en quête d’une idée originale. Après quelques minutes de réflexion, je récupère plusieurs sachets d’épices déshydratés. Je les secoue avant de les ouvrir et de les renifler.

Je grimace devant l’odeur rance qui s’en échappe, puis hausse les épaules.

C’est toujours mieux que rien.

Je récupère un sachet de coquillettes que je verse dans un récipient en verre. J’y ajoute l’eau d’une bouteille minérale avant de couvrir de tout d’un film plastique puis de placer l’ensemble dans le micro-ondes.

Je suis devenue la pro des pâtes minute !

Je perçois la rumeur d’une discussion dans le salon. Ambre et Victor s’entretiennent avec calme. Peut-être lui pose-t-elle encore de nouvelles questions sur ce qui s’est produit durant son inconscience ? C’est vrai qu’il s’est passé tellement de choses…

Je récupère la prise de courant de l’appareil et place deux de mes doigts entre les dents métalliques.

Je me concentre, cherchant à ramener mon électrokinésie à la surface, mais elle semble particulièrement réticente aujourd’hui.

-Allez… » Je marmonne pour moi-même. « C’est pas le moment de me lâcher… »

Je parviens enfin à obtenir l’énergie suffisante lorsque les pas urgents de Victor s’approchent de la cuisine.

Alarmée, j’en lâche mon câble.

Le visage du musicien est à l’image de sa démarche, inquiet, sur le qui-vive.

Il me tend son arme.

-Prends ça. » M’ordonne-t-il à voix basse pour ne pas inquiéter Ambre. Je le fixe, effarée. « Il se passe quelque chose dehors, je vais chercher Mathias et Valentin… »

-Valentin… » Je murmure, apeurée. « Attends Vic ! Je ne sais pas m’en servir ! »

-Ce n’est sûrement rien… » me rassure-t-il en fuyant dans l’autre sens, preuve qu’il ne pense pas un traître mot de ce qu’il dit.

Je me retrouve seule, avec la tâche impossible de camoufler mon inquiétude à notre cheffe de clan.

Je quitte la cuisine et rejoins cette dernière, péniblement en train de se repositionner sur son lit.

Je planque in extremis l’arme de Victor dans mon dos.

-Qu’est-ce qui se passe Iris ? » Ne tarde-t-elle pas à me demander. Je sais que je ne peux pas lui mentir alors je garde le silence, évitant son regard en surveillant les fenêtres de la pièce. « Putain Iris ! Réponds-moi ! » Exige-t-elle moins d’une minute plus tard.

Je me résous à me tourner vers elle, préparant mentalement mon futur mensonge.

Lorsqu’un fracas de verre brisé retentit dans la cuisine.

Je braque mon arme dans la direction du bruit, le bras tremblant. De longues lames blanches semblables à celles d’Ambre pénètrent dans la pièce, bientôt suivie par le corps d’un homme.

Mon cerveau cesse de fonctionner.

Qu’est-ce que ?…

Comment est-ce possible ?

Le compagnon de Maéva ?…

Je ne l’ai jamais vu. Il a fui à la fin du combat, mais Mathias me l’a décrit et ce que j’ai sous les yeux y ressemble foncièrement. Son bras manquant achève de confirmer mon hypothèse.

-IRIS TIRE ! » Me hurle Ambre. Cependant, sa voix me parvient de très loin.

L’éveillé semble me jauger depuis la cuisine, hésitant à mettre fin à mes jours lorsque des mains me saisissent soudainement par-derrière.

On me contraint à lâcher mon arme et on me bâillonne tout en me maintenant avec force.

Je tente de me défaire de cette étreinte, recourant à mon pouvoir, sans succès. Mon agresseur est lui aussi un éléctrokinésiste.

Et contrairement à moi, il n’a aucun mal à utiliser ses capacités.

-Tente de prévenir les autres et elle meurt. » Déclare le premier en rejoignant le salon.

Je reçois une brusque décharge et sens mes muscles se contracter en réponse. Mes oreilles bourdonnent et je perçois à peine le faible gémissement que je parviens à lâcher.

Sale type ! C’est pas juste !

-Elle est pas mal elle… » Semble remarquer celui qui me torture.

En temps normal, j’aurais sans doute apprécié le compliment. Mais là, j’ai juste envie qu’Ambre utilise ses pouvoirs pour tous les massacrer.

-Je peux la garder Angelo ? » Demande-t-il à son comparse.

Non, mais ! Je ne suis pas un animal de compagnie !

-Ce n’est pas elle qu’on est venu chercher. » Lui répond son compagnon, faisant disparaître ses lames.

Ambre ? C’est Ambre qu’ils veulent ?

Mais pourquoi ?!

Il s’intéresse à ma cheffe de clan

-On n’a pas l’air bien apparemment. » S’amuse-t-il. « Mais ça m’arrange que tu sois encore en vie sinon, j’aurais pu faire une croix sur ma récompense. »

Je ne comprends rien à ce qu’il raconte, en revanche je me dis qu’avec un peu de chance, Valentin, Mathias et Victor vont finir par rappliquer s’il continue à déblatérer de la sorte.

-Laisse-là. » Ordonne Ambre d’une voix sombre. « De toute façon, je ne peux pas marcher et ton copain va devoir me porter. »

Le dénommé Angelo semble hésiter.

-Ah… Puisqu’on a plus besoin d’elle alors… »

-Tue-là et on y passe tous, moi y compris. » Le menace instantanément mon amie, mettant courageusement sa vie en danger pour protéger la mienne.

Oh… Ambre…

Son sacrifice me touche tellement que je suis à deux doigts de lâcher quelques larmes.

-Assomme-là. » Décrète l’ancien compagnon de la collectionneuse, rompant le charme.

Non ! Non je ne veux pas dormir ! il faut que je sache ce qui se passe ! Il faut que je prévienne les autres !

Celui qui me retient semble déçu par cette décision.

-Mais j’aurais voulu… » Commence-t-il avant d’être instantanément coupé par son acolyte.

-Assomme-là ! »

Non !

Je tente une dernière fois d’avoir recours à mes pouvoirs, mais ma volonté se perd dans le vide.