Hors série n°4

Chroniques du Clan

Mathias

 

-Les humains vont nous faire nos travaux ! » Nous apprend Iris, radieuse, alors qu’elles reviennent à peine de leur visite chez la colonie avec Ambre.

Mais à la tête que fait cette dernière, je comprends tout de suite qu’il y a un loup.

-Ouais… » Je lâche, soupçonneux, tout en me plaçant négligemment contre le mur, laissant Victor ahaner seul pour déplacer l’imposante table du salon. « Et qu’est-ce qu’on doit faire en échange ? »

Voyant que je ne l’aide plus, Victor s’arrête également de travailler, reprenant son souffle en s’appuyant sur le meuble.

Les traits d’Iris se sont figés devant mon manque d’enthousiasme et c’est Ambre qui me répond.

-Vous rien. » Me répond-elle avant d’ajouter. « Moi, je vais les aider à réparer le barrage. »

Je ricane.

-Quoi ? T’étais maçon dans ton autre vie ? » Fais-je ironiquement.

Si Valentin apprécie la répartie en gloussant, ce n’est pas le cas d’Ambre, qui me fixe d’un regard haineux.

J’ai presque toujours le droit à ces iris froides, contrairement aux autres membres du clan et je commence à me demander si ça changera un jour.

Mais j’imagine que je le mérite un peu.

-Je vais me contenter de retenir l’eau du canal. » Me lance-t-elle d’un ton glacial. « Mais, merci pour ta remarque Mathias. Utile, comme toujours. »

Aïe.

J’ai mal à mon ego.

Sentant la tension augmenter dans la pièce, Victor tente immédiatement de la minimiser, recentrant le sujet.

-C’est possible ? Je veux dire, de retenir de l’eau pas la pensée ? » Lui demande-t-il.

Elle prend son temps pour lui répondre.

-C’est ce qu’ils croient en tout cas. » Finit-elle par lâcher. « Et c’est tout ce qui compte pour le moment. Tant qu’ils viennent vous installer l’eau courante. »

Elle tente de paraître détachée, mais son ton ne trompe personne.

Enfin, pas moi en tout cas.

-Super ! » Je lui lance. « Ça, c’est bien dit chef ! » Approuvé-je, un brin ironique.

Son regard glisse un instant vers moi mais elle choisit finalement de m’ignorer.

-Je vais faire un tour. » Nous informe-t-elle simplement avant de se retourner pour partir sans autre forme de formalité.

J’attends d’entendre la porte se refermer derrière elle avant de souffler bruyamment.

-Wouaou. Quelle chaleur dans le contact. » Lâché-je, pas vraiment ravi d’être toujours considéré comme un souffre-douleur bien qu’elle ait enfin cessé de m’imposer ses pénibles et inutiles corvées.

Nettoyer le poulailler…

Franchement…

Mais qu’est-ce qu’on s’en fout non ?!

-Moi je la trouve cool. » La défend immédiatement Iris.

Je lève les yeux au ciel.

Ben voyons…

Ça ne m’étonne même pas en réalité.

-Arrête de la chercher Mathias. » Me rabroue Victor, pas vraiment à l’aise avec les situations de conflits. « Je te signale qu’elle t’a accepté malgré le fait que tu aies fait partie d’un clan ennemi. » Il se replace derrière la table. « Qui s’en est pris à elle et a ses enfants soit dit en passant. »

Je grogne, n’ayant pas vraiment besoin qu’on me le rappelle.

-C’est pas une raison pour traiter les autres comme de la merde. » Conclus-je en me remettant moi-même en position pour soulever la table.

-Hé ! » S’exclame soudain Iris en nous voyant faire. « Qu’est-ce que vous comptez faire de ça ? »

Et elle désigne le meuble dont nous tentons de nous débarrasser depuis déjà de longues minutes.

-Non Iris. » Tenté-je immédiatement de calmer ses ardeurs de décoratrice à la noix. « Hors de question qu’on refasse la même chose avec celui-là. »

Elle me fixe, scandalisée.

-Mais elle est magnifique cette table ! » S’écrie-t-elle alors que Valentin se remet à rire devant nos différends « Tu comptes pas la jeter quand même ?! »

-Non… » Je lui réponds lentement. « Je ne compte pas la jeter. On compte la jeter. » Et je fais un signe circulaire du doigt pour impliquer les deux autres lâches qui n’osent même pas s’immiscer dans la conversation.

Ses lèvres forment un large oh d’indignation.

-Mathias a raison Iris. » Me soutient enfin Victor. « On ne peut pas garder tous les meubles de la maison… »

Et elle se tourne vers lui, lui adressant son regard de chien battu.

-Pas tous les meubles… Juste celui-là… » Lui dit-elle avec un trémolo parfaitement calculé dans la voix.

J’observe, avec une certaine résignation, le visage de Victor s’adoucir alors que sa décision se plie à la volonté de l’électrokinésiste. Il se tourne vers moi et me fait, à son tour, des yeux de biches.

C’est pas vrai Vic…

T’as vraiment pas de couilles.

Je lève les yeux au ciel, sachant qu’elle a déjà gagné et que ce n’est certainement pas ma voix seule qui va l’emporter.

 

J’ai fini par croire qu’Ambre n’irait jamais aider les humains à réparer leur foutu barrage.

Mais c’était sans compter sur l’aide psychologique de Victor visiblement.

Ça fait déjà un bon moment qu’elle maintient cette eau en place. Nous sommes tous restés avec elle, à la demande de Victor, même si je n’en vois pas vraiment l’intérêt étant donné que l’on ne sert strictement à rien.

Et qu’on se les pèle par-dessus le marché.

Je me tiens un peu à l’écart, n’ayant pas vraiment envie de supporter les phrases angoissées que ne cesse de chuchoter Iris. Valentin s’en charge pour moi, ce qui me va très bien.

Victor s’amuse à faire régulièrement des allers retours pour voir si Ambre est toujours en vie. Chose bien inutile puisque, de toute évidence, si elle perd connaissance on s’en rendra compte bien assez vite vu que le barrage rendra l’âme en même temps.

Et moi je me contente d’attendre.

Victor s’approche une énième fois d’elle, avec Pascal cette fois. J’imagine qu’elle a dû montrer quelques signes de faiblesse.

Avec un peu de chances on va rentrer plus tôt que prévu.

Ils s’éloignent ensuite ensemble.

Puis un autre type s’approche d’Ambre.

Et celui-là n’a pas vraiment l’air de lui vouloir du bien.

Je rejoins vivement Iris et Valentin.

-C’est qui lui ? » Je demande, au cas où, par hasard, ils seraient au courant de quelque chose.

Iris se retourne brièvement vers moi avant de jeter un coup d’œil à l’homme que je désigne.

-Ah lui ? C’est le beau gosse. » Me dit-elle en me faisant un clin d’œil.

Je sais qu’Iris a régulièrement des réactions et des réflexions hors de propos, mais j’ai parfois du mal à rester calme.

-ça me dit pas qui c’est putain ! » M’exclamé-je alors que je perds déjà le peu de patience dont je dispose.

Elle soupire.

-Je sais pas qui c’est exactement… » Me dit-elle enfin d’un ton plus raisonnable. « Il travaille avec Pascal mais ils ne sont pas franchement d’accords entre eux… Je crois qu’Ambre ne l’aime pas beaucoup. » Finit-elle par conclure.

Et cette dernière phrase me suffit.

Je me téléporte instantanément aux côtés d’Ambre, relativement près de l’humain pour tenter de l’impressionner.

Mais, soit il maîtrise parfaitement ses émotions, soit me voir apparaître de la sorte ne lui fait ni chaud ni froid et il réagit à peine.

-Qu’est-ce que tu fous toi ? » Je lui demande d’un ton brusque.

Il me jauge une seconde.

-On discute, l’éveillé. » Me répond-il tranquillement.

On discute hein ?…

C’est vrai qu’Ambre a vraiment l’air de pouvoir te répondre…

-Va discuter ailleurs. » Lui répliqué-je sèchement. « Avec ceux de ton espèce. Y en a qui bosse là. »

Nous nous fixons encore pendant un moment avant qu’il ne finisse par s’éloigner sans me tourner totalement le dos.

Je le sens pas ce mec…

Alors que je m’apprête à rejoindre mon ancienne place, mes yeux se posent rapidement sur Ambre, toujours immobile comme une statue.

Enfin presque…

Parce que ses mains se sont mises à trembler.

Merde…

Mais pourquoi elle a accepté un boulot pareil ?!

L’état dans lequel elle se met m’inquiète bien plus que je ne l’aurais voulu.

Sans doute parce qu’après tout, je fais quand même parti de son clan, même si on ne s’apprécie pas.

J’attends quelques secondes, hésitant sur ce que je peux bien faire. Puis je finis par me dire que ça ne servirait sans doute à rien de lui poser des questions auxquelles elle ne peut probablement pas répondre.

De toute façon, elle a Victor pour ça.

Je m’éloigne, tout de même, un peu angoissé je dois bien l’admettre.

Le soleil poursuit sa course, lorsque vient enfin le moment pour les humains de contrôler leurs réparations.

Je n’imagine pas l’effort que ça doit lui demander de repousser à nouveau une grande partie du canal pour permettre à l’un des hommes de Pascal de vérifier l’état du béton.

En tout cas, elle tient bon.

Lorsque l’autre enfoiré s’approche soudain d’elle.

Je fronce les sourcils, mais n’ose pas agir. Puisqu’il est avec les autres humains, il ne peut quand même pas tenter de lui faire du mal. En tout cas, pas comme ça, devant tout le monde.

Lorsqu’il sort son arme à une vitesse impressionnante pour la plaquer tout contre la tempe d’Ambre.

-Que personne ne bouge, ou je la bute c’est clair ? » Nous annonce-t-il d’une voix ferme.

J’ai un temps d’arrêt.

Il ose la menacer comme ça ?

Il est suicidaire ce gars…

Je m’attends à tout moment à ce qu’Ambre le remette à sa place d’une façon sanglante.

Mais il n’en est rien.

-BORDEL FRANK ! QU’EST-CE QUE TU FOUS ? » Se met à gueuler leur chef, visiblement pas vraiment au courant du projet.

Je me tends, prêt à agir au cas où d’autres humains soient dans la confidence et que cette putain de réparation ne soit en réalité qu’un piège.

Mais aucun d’entre eux ne tente quoique ce soit contre nous.

Et ils semblent tous sidérés par ce qui est en train de se passer sous leurs yeux.

Comme s’ils tenaient vraiment à leur protectrice d’une certaine façon.

-La ferme ! » Lui répond sèchement le dénommé Frank. « Je répète que si l’un d’entre vous tente quoique ce soit… » Et son regard se tourne vers moi. « Elle meurt. »

Putain de merde…

Je savais bien que je le sentais pas ce mec !

Mais il est trop tard pour agir. Ma téléportation est instantanée.

Mais son doigt sur la gâchette aussi.

Surtout vu à la vitesse à laquelle il a sorti son arme.

Tout en continuant de me surveiller et de contrôler les alentours, il s’adresse ensuite à Ambre.

-Toi maintenant » reprend-il toujours aussi calmement. « Je sais que maintenir toute cette eau en place t’empêche de faire quoique ce soit d’autre. Je sais aussi que ça te demanderait une sacrée énergie d’empêcher cette balle de rentrer dans ton crâne puisque tu ne peux pas la dévier. Alors je te laisse un choix. Soit tu sacrifies ce mec qui vient de descendre, tu détruis notre barrage en relâchant tes pouvoirs, tu me tues moi et tu sauves ta peau. Soit… Tu finis ton boulot et je te tue à la seconde ou tu auras remis la dernière goutte d’eau en place. »

Ce mec s’y connaît en éveillé c’est certain. Et il avait sans doute prévu toute cette histoire depuis longtemps.

C’est même probablement lui qui a proposé ce plan foireux de réparation…

-QUOI ?! » Se met à hurler Pascal, les yeux exorbités. « TU AS PERDU LA TÊTE ! ».

-ESPECE DE MONSTRE ! » S’écrie inutilement Iris alors que le groupe d’humain se prépare à répliquer au moindre signe de faiblesse de Frank.

Tout comme moi.

-Bordel de merde ! Qu’est-ce que tu veux Frank ?!» Lui demande alors Pascal, tentant peut-être de trouver une autre solution que les armes.

-Montrer à tous la vérité. » Lui répond-il toujours aussi serein. « Qu’elle n’est pas différente des autres éveillés. Et que ceux-là non plus. » Et il nous désigne.

Quel enfoiré…

Si je parviens à m’approcher de toi, je pars avec ta tête, connard.

L’humain chargé de vérifier les réparations annonce soudain sa sortie par la radio de Pascal.

Et tout le monde se tend.

Bon sang…

Mais elle va quand même pas aller au bout ?!

-Je te conseille de te décider vite Ambre. » Lui rappelle Frank

Ma mâchoire se contracte alors que j’envisage de me téléporter malgré tout, rien que pour pouvoir le tuer de mes propres mains.

-Vous ne vous en tirerez pas comme ça… » Le menace soudain Victor, le regard enflammé.

Au moins a-t-il retrouvé ses parties aujourd’hui.

-Tu seras mort avant d’avoir pu… » Je ne peux m’empêcher de lâcher pour tenter un coup de bluff.

Mais Frank me coupe, pas le moins du monde impressionné.

-Appuyer sur la gâchette ? » Nous interroge-t-il, le regard amusé. « Vous autres n’avez aucun pouvoir pour m’empêcher de faire ça. La seule qui aurait pu faire quelque chose est légèrement occupée et en plus, elle a un canon sur la tempe. »

J’attends, comme tout le monde, le moment ou Ambre va se réveiller et l’éliminer sans même bouger le petit doigt.

Mais l’attente est longue.

-Tu as encore quelques secondes pour choisir. Après il sera trop tard. » Insiste Frank comme si ça lui plaisait de savoir qu’il peut mourir à tout instant.

Et il fait légèrement basculer sa tête avec son arme.

-Allez ! Choisis ! » Lui crie-t-il encore quelques secondes plus tard alors qu’elle libère peu à peu ses pouvoirs.

Une pénible sensation de choix m’oppresse. Si je ne fais rien, elle va peut-être mourir cette idiote, puisqu’elle ne semble pas vouloir l’attaquer. Mais si je m’approche, elle meurt aussi. Ce qui est bien plus certain.

Et je me demande au fond de moi, qu’est ce qui m’empêche de me barrer maintenant, puisque, dans tous les cas, on se trouve dans une assez mauvaise posture…

Alors je décide de tenter la seule chose que je peux faire de sensé à ce stade.

Essayer de la raisonner.

-Tue-le ! » Je me mets à lui crier. « Tue ce connard ! Et laisse tous ces humains crever ! C’est tout ce qu’ils méritent ! »

Et Frank d’insister.

-CHOISIS ! »

Mais elle ne semble pas décidée à le faire.

Ou plutôt, elle choisit justement de ne rien faire.

Le barrage semble à nouveau rempli et je m’attends à entendre le tir de Frank et à voir le crâne d’Ambre finir en petits morceaux.

Au lieu de quoi, cet imbécile hésite.

Ça, c’est une occasion que tu aurais mieux fait de ne pas me laisser…

Je le rejoins en un instant, le désarme d’un même mouvement et lui envoie mon poing dans la gueule.

Je savoure intérieurement cette seconde en le regardant chuter au sol, pas vraiment surpris de me voir.

Puis je m’apprête à l’achever alors que son regard se vide déjà de sa substance, semblant accepter une sentence qu’il a lui-même recherchée.

-Stop ! » M’arrête soudain Ambre d’une voix méconnaissable.

Elle est sérieuse la ?

-Quoi stop ? » Je m’indigne alors qu’elle m’empêche de venger sa propre prise d’otage. « Tu veux que je te rappelle ce qui vient de se passer y a pas cinq secondes ? »

-C’est à nous de gérer ça. » Intervient l’autre con qui est censé gérer toute cette bande de débiles. Et il me tend la main comme si j’allais lui remettre l’arme de Frank aussi facilement.

À nouveau je perds patience.

-Pardon ? » Je m’exclame « Vous voulez dire que vous auriez dû gérer ça… Avant que ce connard ne nous menace ! »

-Nous ne pouvions pas savoir… » Tente-t-il de se défendre.

-Bien sûr que si ! » Me rejoint Victor. « Vous savez très bien ce que pense Frank de votre association avec des éveillés depuis le tout début… »

-LA FERME ! » Se met soudain à crier Ambre, nous figeant tous brusquement. Elle se plaque une main sur le front, probablement en proie à une violente migraine due à l’utilisation abusive de ses pouvoirs. « Vous tous ! La ferme. Je veux comprendre… » Puis, elle semble hésiter avant d’ajouter. « Pourquoi il a fait ça. »

Non mais sérieusement ! On n’est pas dans un cabinet de psy putain !

-De quoi tu parles ? » Je m’insurge. « On s’en fout du pourquoi ! Le problème c’est qu’il l’ait fait ! »

-Non. Elle n’a pas tort. » La rejoint Victor et je lève les yeux au ciel. « C’est toujours intéressant de comprendre les choses. »

Je soupire bruyamment et attends, l’arme toujours en main, que l’autre enfoiré se mette à table.

-Alors ? Parle ! » Ordonne Pascal.

Frank semble regretter que je n’aie pas été plus rapide à l’éliminer mais il finit par parler.

-Il fallait… » Commence-t-il en tentant de conserver son flegme. « Il fallait juste que je vérifie ma théorie. Je ne pensais pas qu’elle irait jusqu’au bout… »

-Tu te fous de moi ! » S’exclame Pascal en le rejoignant et en lui administrant un brusque coup de pied dans les côtes. « Et risquer la vie de nos membres ! De toute la colonie ! »

Frank se retient de tomber au sol et reprend, toujours aussi neutre.

-Vu l’état dans lequel elle est. J’aurais eu le dessus avant qu’elle ne tente quoique ce soit. »

J’ai la furieuse envie de le passer à tabac mais Pascal s’en charge pour moi, lui envoyant sa chaussure dans le ventre, ce qui le fait plier cette fois.

-Tu va passer en jugement Frank ! » Lui apprend-il. « Et ce sera le bannissement ou la mort ! »

Chouette ! Enfin quelqu’un de raisonnable !

-Je vote pour la mort ! » Proposé-je immédiatement.

Mais le chef de leur colonie ne semble pas vraiment apprécier ma prise de position.

-C’est un tribunal d’humains. Les éveillés ne votent pas. » Me dit-il sèchement.

Et si ça, c’est pas du racisme !

Je m’apprête à lui faire part du fond de ma pensée mais Ambre m’arrête dans ma lancée.

-Mathias ! » M’appelle-t-elle d’une voix épuisée. « On rentre ! Je n’en peux plus. » Elle tente de s’essuyer le sang qui s’échappe en une ligne continue de son nez, sans grand succès. Elle se lève ensuite de sa chaise et manque de s’effondrer, son visage devenant aussi pâle que le ciel nuageux au-dessus de nous. Nous la rattrapons avec Victor au dernier moment. « Victor, Iris et Valentin, vous prenez la voiture pour rentrer. » Leur ordonne-t-elle. « S’il leur arrive quoique ce soit… » Ajoute-t-elle en tentant de regarder Pascal dans les yeux malgré son malaise.

-Il ne leur arrivera rien. » La rassure-t-il d’un ton décidé.

Puis elle s’appuie lourdement sur mon bras. En fait, j’ai presque l’impression de la porter.

-Ramène-moi. » Me demande-t-elle en semblant regretter de devoir le faire, le visage crispé. « Et, Pascal. » Ajoute-t-elle encore juste avant que je ne déclenche ma téléportation « Je veux être invité. À votre fête du nouvel an. Je veux que tout le monde soit invité. »

Et merde…

Ça, c’est vraiment une idée à la con Ambre.

Je nous emmène instantanément dans le salon de sa maison, histoire qu’elle ne puisse pas faire d’autres demandes encore plus stupides, vu que son état à l’air d’avoir bien bousillé ses capacités de réflexion.

Ses jambes ne la portent plus et je me retrouve à devoir la soutenir entièrement.

Elle tente bêtement de me repousser.

-Non… » Lâche-t-elle à demi-consciente. « Pas ça… »

Je m’étonne un peu de ses paroles mais préfère ne pas chercher plus loin et la prends dans mes bras assez facilement.

C’est vraiment un poids plume.

Ses traits se crispent alors que je la tiens contre moi et je sens même ses muscles se raidirent au contact des miens.

Quoi ?

Je pue tellement que ça ?

Je secoue la tête et choisis d’ignorer le dégoût que je semble lui provoquer. J’avance dans le salon et fais le tour du canapé pour pouvoir l’y allonger.

Ses traits se détendent au moment même où je la relâche.

Elle a sans doute dû se faire agresser avant ou après la catastrophe, peut-être même violer qui sait ? Même si j’imagine assez mal qu’elle se soit laissée faire avec de tels pouvoirs, mais ça pourrait expliquer cette peur du contact…

Je hausse les épaules.

Qu’est-ce que ça peut bien me faire de toute façon. Ça ne change pas grand-chose à sa façon de me considérer.

Je reste un moment immobile à l’observer alors qu’elle paraît tellement vulnérable dans cette position. Bien loin du masque froid et dénué de sentiments qu’elle tente toujours de coller sur son visage lorsqu’elle est éveillée.

Je souffle lentement l’air de mes poumons.

Et ne peux m’empêcher de me dire que, malgré tout, je ne regrette pas de l’avoir épargné ce jour-là, au milieu d’une grande surface.

 

-Allez Mat ! Tu ne vas quand même pas passer ta soirée tout seul comme un idiot ? »

Je tente de rester concentré sur ce que je fais, à savoir, reboucher les fissures que les changements de températures ont fini par creuser dans les murs de cette putain de baraque.

-Fous-moi la paix Iris. » Je m’exclame un peu méchamment. « Si vous êtes assez débiles pour y aller et risquer de vous faire massacrer, c’est pas mon cas. »

Elle râle bruyamment.

-Mais y aura Ambre avec nous ! Tu as peur ou quoi ? » Me demande-t-elle, un brin malicieuse.

Je sais parfaitement ce qu’elle tente de faire et ça ne risque pas de fonctionner avec moi.

-Je t’ai dit non Iris. Lâche-moi maintenant. »

Elle soupire et décide finalement de rendre les armes.

Pour l’instant.

Mais je sais que ça ne va pas durer longtemps.

Une fois ma pièce terminée, je décide de prendre un peu de temps pour moi et pars faire un petit tour autour de notre maison. Je remonte lentement la ruelle vers celle d’Ambre, conscient que je ne risque pas de la rencontrer de sitôt puisqu’elle s’est encore envolée je ne sais trop où.

Elle ne fait que ça en ce moment.

Les trois autres sont en train de négocier sur l’agencement de la maison. Un domaine dont je me contrefous totalement.

J’observe les habitations qui m’entourent et me demande à nouveau pourquoi Ambre a refusé que l’on s’installe dans l’une d’entre elle. J’ai du mal à croire que ce soit seulement pour préserver son intimité.

Je finis par en choisir une au hasard et m’en approche. Les volets sont fermés comme les portes d’accès et je commence à me dire que c’est louche.

L’un des volets de bois semble particulièrement fragile, usé par le temps et après quelques minutes à le faire travailler, je finis par dégager la fenêtre.

Je ne vois pas grand-chose à l’intérieur mais parviens tout de même à identifier un emplacement vide ou je peux me téléporter sans risque.

J’apparais instantanément à l’intérieur de la bâtisse et cherche la lampe torche que je garde toujours sur moi avant de l’allumer et d’éclairer les alentours.

Et ce que je découvre me laisse sans voix.

La Joconde me fixe de son regard mystérieux, confortablement installé sur un mur en face de moi.

Mais ce n’est pas la seule peinture qui semble surprise de me trouver ici.

La pièce est littéralement inondée d’œuvres d’art en tout genre. De nombreux et larges tableaux, prenant parfois un mur entier, des statues, des pièces de collection…

Je visite la maison, passant la main sur les objets précieux qui m’entoure et monte à l’étage pour constater qu’il est largement aussi plein que le rez-de-chaussée.

Elle a dévalisé le musée du Louvre ou quoi ?

Même le garage est rempli à ras bord, une petite partie regorgeant de bouteilles de vins et d’eau-de-vie.

Je lâche un ricanement. Je n’ai jamais vu Ambre une seule fois avec un verre d’alcool à la main.

Après de longues minutes à étudier les étiquettes des précieuses bouteilles, je ressors de la maison et en cherche immédiatement une nouvelle.

La suivante est bien moins intéressante et ne contient qu’un nombre incroyable de vivres en tout genre.

La troisième regorge de vêtements et de bijoux. Le genre d’habits que je ne lui aie jamais vu mettre. Des robes de soirées, des vêtements de grande marque, même de créateurs, de la lingerie fine. À force de fouiller je finis même par tomber sur tout un lot de vêtements pour homme.

Je me mets à rire franchement.

Tu voulais changer de sexe Ambre ou quoi ?

Je descends au garage, m’attendant à en trouver encore d’autres mais ce que je découvre me cloue sur place.

Malgré la bâche qui la recouvre grossièrement, son allure ne laisse pas de place au doute. Je la retire délicatement, la laissant glisser alors qu’une Bugatti Veyron rutilante me présente sa carrosserie parfaite. Juste à côté d’elle, je découvre sa petite sœur, la Chiron.

Je crois que je viens de trouver le paradis.

Je passe lentement ma main sur le métal luisant sous la lumière de ma lampe, me demandant quand et comment elle a bien pu récupérer ces petits bijoux.

Et surtout…

Pourquoi elle ne les utilise pas ?!

Je tente d’ouvrir les portières mais me rends vite compte qu’elles sont verrouillées.

-Ah ! Fait chier ! » Je lâche, frustré.

Et puis je me dis que nous avons une autre éléctrokinésiste dans notre clan… Avec un peu de chance…

Elle pourra peut-être m’aider à réaliser mon rêve ?

Et je sais exactement quoi dire pour la convaincre.

Je me téléporte sans attendre dans notre propre maison, bien moins intéressante que toutes celles que j’ai visitées jusqu’à présent.

-Bon, mettez-vous d’accords tous les deux. » Déclare Victor assis au sol avec Iris et Valentin, un plan grossier de notre habitation étalé sur le carrelage du salon. « Moi je préfère prendre celle du rez-de-chaussée de toute façon. »

-Papi Victor ne veut pas fatiguer ses genoux ? » Lâche Iris en reprenant mon expression.

Valentin lâche un éclat de rire.

-Papi Victor se fiche des escaliers. » Répond-il un peu vexé. « Mais il veut avoir la paix sans devoir vous supporter sans arrêt tous les trois. »

Je décide que c’est le bon moment pour les rejoindre.

-T’exagère Vic, on n’est pas si chiants. » Lui dis-je avec un petit sourire.

Il me fait un regard explicite.

-Oui… Surtout toi Mathias. Tu es un vrai amour d’éveillé. » Me lance-t-il, ce qui déclenche à nouveau l’hilarité de Valentin.

Je tourne la tête vers ce dernier et lui adresse un regard noir qui le fait cesser instantanément.

J’adore faire ça. C’est tellement facile de lui faire peur.

Victor se relève et s’étire.

-Bon, papi Victor va se reposer une heure, alors ne faites pas de bêtises les enfants. » Nous annonce-t-il en rejoignant d’un pas lent la sortie de la maison.

J’imagine qu’il va squatter le canapé d’Ambre. Ça m’étonnerait beaucoup qu’il aille dormir dans sa tente.

Iris se tourne alors vers Valentin.

-Et si on la jouait à Chifoumi ? » Lui propose-t-elle soudain. « La vraie règle hein ? Sans le puit. »

-Heu… » Lui répond-il, hésitant alors que je les observe toujours, intrigué par le prix qui peut bien être en jeu.

-Allez Val ! » Et sans attendre, elle serre le poing. Valentin L’imite, un peu décontenancé. « Chi-fou-mi ! »

Elle fait une feuille et Valentin des ciseaux.

-Oh… » S’exclame-t-elle déçue. « Et si on le faisait en trois manches ? »

-L’écoutes pas Val. » M’immiscé-je. « Elle voudra recommencer tant qu’elle n’a pas gagné. »

Iris se retourne brusquement vers moi.

-De quoi tu te mêles toi ? » Me demande-t-elle méchamment.

Je choisis d’ignorer sa mauvaise humeur.

-Qu’est-ce que vous avez mis en jeu ? » Demandé-je, intrigué.

-La grande chambre, côté sud. » M’apprend Valentin. Puis il se tourne à nouveau vers Iris. « Mais c’est bon Iris. Je plaisantais tout à l’heure, je te la laisse si tu veux… »

Et il se met à rougir comme un adolescent.

Elle se retourne vers lui et lui fait un grand sourire.

-Merci Val. » Lui dit-elle, juste avant de lui coller un baiser sur la joue.

Le visage de Valentin vire au cramoisi et il se lève pour tenter de cacher son malaise.

Si celui-là n’est pas tombé raide dingue de cette fille…

Je me coupe la queue.

Iris le suit et je choisis de lui parler de mon petit projet, attendant juste que Valentin s’éloigne pour être seul avec elle.

Alors qu’elle s’apprête à quitter la pièce, je la retiens par le bras.

-Iris, attends… » Lui dis-je.

-Si tu veux négocier ta chambre, c’est trop tard Mat, les absents ont toujours tort ! » Me lance-t-elle immédiatement.

Je lève les yeux au ciel.

Comme si j’en avais quelque chose à foutre de ma piaule.

-Mais non. » Je lui réponds. « C’est juste que… Disons que j’ai trouvé quelque chose qui pourrait t’intéresser. » Commencé-je d’un ton mystérieux. « Et qu’en échange, tu pourrais m’aider pour autre chose… »

Elle me jauge une seconde.

-Vas-y. Dis toujours. »

Je regarde autour de moi, histoire d’être certain que nous sommes toujours seuls. Je n’ai pas vraiment envie que tout le monde soit au courant de mes fameuses découvertes.

Parce que si Ambre l’apprend…

Je risque de passer un sale quart d’heure.

-J’ai trouvé un immense stock de vêtements. » Repris-je en la regardant intensément. « Des habits de soirée si tu vois ce que je veux dire… »

Son visage s’illumine aussitôt.

-C’est pas vrai ! Ici tu veux dire ?! » S’exclame-t-elle instantanément.

Je lui fais signe de parler plus bas.

-C’est Ambre qui a dû avoir une période cleptomane. Elle a rempli une maison entière de ça. Avec des bijoux aussi. »

Iris se met à taper dans ses mains comme une gamine.

-Montre-moi ! Montre-moi ! » S’exclame-t-elle, sautillant d’impatience.

Je hoche la tête de droite à gauche.

-Je veux bien mais… C’est donnant donnant. » La prévins-je.

Son visage se crispe et elle croise les bras sous sa poitrine.

-Qu’est-ce que tu veux ? » Me demande-t-elle d’un ton clairement refroidi.

Je me retiens de sourire.

-Juste que tu me déverrouilles une voiture… Pour que je puisse m’amuser un peu… »

Je ne sais pas ce qu’elle imaginait, mais ce que je lui propose la rassure instantanément. Elle me tend la main.

-Marché conclu ! »

Je lui tape dedans mais la serre ensuite légèrement tout en plaçant mon autre bras autour de sa taille comme si j’allais me mettre à danser avec elle.

Puis nous apparaissons instantanément dans la maison de stockage d’Ambre.

Au regard perdu d’Iris, je comprends que j’aurais sans doute dû la prévenir avant de l’emmener. Sa respiration s’accélère et je commence à croire qu’elle va me faire un malaise alors je n’ose pas la relâcher tout de suite.

Mais lorsqu’elle devine les morceaux de tissus tout autour, elle reprend immédiatement ses esprits et se dégage rapidement pour les rejoindre.

Je prends ma lampe torche et les éclaire pour faciliter son inspection.

Elle lâche un cri aigu d’excitation.

-C’est trop génial ! Y a tout ce qu’il faut pour la soirée ! »

Elle se redresse brutalement et me saute au cou, embrassant bruyamment ma joue.

-Iris ! » Je m’exclame en m’essuyant le visage alors qu’elle reste toujours pendue à moi.

-Quoi ? Ose me dire que tu n’aimes pas ! »

Je lui retire ses bras mais choisis de ne pas lui répondre.

Ça fait tellement longtemps que je me suis empêché de m’attacher à quelqu’un… C’était à cause de Greg à l’époque. C’est vrai qu’il n’est plus là maintenant mais…

Les habitudes ont la vie dure.

-Bon, viens, je te montre la caisse. »

Elle me suit, toujours aussi ravie et nous rejoignons rapidement le garage ainsi que les deux modèles de Bugatti.

Elle écarquille les yeux.

-C’est pas vrai… » Lâche-t-elle, aux anges.

Elle n’attend même pas que je le lui demande et se précipite sur la portière. Après une courte seconde de concentration, le système d’ouverture se déclenche et elle l’ouvre en grand.

-Hé attends ! » L’arrêté-je par l’épaule en fronçant les sourcils. « C’est moi qui l’ais trouvé ! T’as qu’à t’asseoir côté passager. »

Elle râle un peu mais s’exécute et je m’installe derrière le volant alors qu’elle prend place sur le siège à côté du mien.

Nous demeurons silencieux un instant, profitant de ce moment, l’habitacle seulement éclairé par la lumière de ma lampe torche.

-Putain… » je lâche en caressant le volant avec tendresse. « Ça a de la gueule hein ?! »

Elle hoche simplement la tête.

Je poursuis mon inspection, contemplant chaque détail avec respect, lorsque Iris se racle soudain la gorge.

-Tu sais Mat… » Semble-t-elle hésiter. Je ne l’écoute qu’à moitié encore totalement absorbé dans ma découverte. « Je ne t’ai jamais remercié… »

-De quoi ? » Je lui demande distraitement en examinant le tableau de bord.

-De m’avoir sauvé. » Je me tourne vers elle, un peu surpris. « Tu sais… quand votre clan a rejoint celui d’Anna. » M’explique-t-elle, presque gêné. « Y en a un des vôtres qui m’a attaqué… Tu ne t’en souviens pas ? »

Je fronce les sourcils et cherche dans ma mémoire une longue minute avant de comprendre de quoi elle me parle.

-Ah ! » M’exclamé-je. « C’était toi ? » Elle semble soudain déçue que je ne lui ai pas prêté plus d’attention à l’époque. « Désolé Iris mais j’évitais franchement la plupart des autres éveillés à ce moment-là… À part Nathan. »

Elle hoche la tête et je suis soulagé qu’elle ne cherche pas à en apprendre plus.

-Bon. Et si on essayait de la démarrer ? » Proposé-je pour détendre l’atmosphère et changer de sujet.

Et son enthousiasme reprend rapidement le dessus.

-C’est parti ! » Dit-elle en plaçant un doigt là ou aurait dû se trouver la clé de contact.

Un ronronnement puissant empli soudain le garage et nous nous mettons tous les deux à sourire comme des gamins.

-Bon tu l’ouvres cette porte ? Histoire qu’on puisse faire un tour… »

Son sourire s’élargit et elle s’exécute en trottinant.

 

Ouf…

Enfin seul…

Je n’en pouvais plus de l’insistance d’Iris à me faire venir à cette putain de soirée.

Comme si ma présence allait changer quelque chose.

Je m’installe confortablement sur le canapé d’Ambre, un verre de vin à la main. J’ai fini par lui emprunter une bouteille parmi toutes celles qu’elle avait entreposées secrètement dans son repaire.

J’imagine qu’elle ne m’en voudra pas.

Surtout si elle ne l’apprend jamais.

Je place mes pieds sur la table basse et lance le film que je me suis choisi pour la soirée. Un vieux western, classique parmi les classiques mais suffisamment léger pour me permettre de débrancher mon cerveau en paix.

« Mon nom est Personne. »

J’espère pouvoir le voir en entier. Ambre n’avait pas l’air de vouloir y rester trop longtemps à cette soirée, mais vu les capacités de persuasion d’Iris…

Avec un peu de chance, je pourrais même en mettre un deuxième.

Je crois que je n’ai jamais passé une aussi bonne soirée depuis… Une éternité.

Peut-être même avant la catastrophe.

J’arrive au générique de fin, me demandant quel DVD je vais me mettre maintenant. Rester dans le thème ou changer un peu. Ce n’est pas comme si je n’avais pas amplement le choix…

Lorsque la meute de loups d’Ambre se met brusquement à gueuler à l’extérieur.

Je me redresse d’un bon. Je ne suis peut-être pas chuchoteur mais je sais reconnaître un cri d’alerte quand j’en entends un. Et vu qu’Ambre leur a donné l’ordre de veiller sur son territoire…

C’est certainement qu’un intrus y a pénétré.

Je sors par la porte d’entrée. J’ai beau savoir qu’Ambre leur a demandé de ne pas nous attaquer, je ne leur fais pas tout à fait confiance malgré tout et préfère ne pas les croiser si possible.

J’avance lentement alors que la neige commence doucement à tomber, cherchant des yeux un potentiel ennemi malgré le peu de luminosité et regrette vraiment de ne pas avoir un odorat développé comme Ambre ou Valentin qui parviennent sans problème à nous repérer, même plusieurs heures après notre passage.

Un mouvement finit par attirer mon regard sur l’un des toits des habitations alentour.

Je saisis rapidement ma lampe et éclaire l’endroit.

Une image fugace. Un homme nu qui m’observe un dixième de seconde.

Avant de disparaître.

Je me téléporte instantanément à l’endroit où il devait se trouver et regarde tout autour de moi, cherchant des signes de sa présence alentour.

Rien.

Peut-être que j’ai rêvé ?

J’ai du mal à croire qu’un téléporteur vienne jusqu’ici simplement pour jeter un coup d’œil à une maison vide.

Quel intérêt ?

Je retourne au sol et effectue plusieurs téléportations autour du territoire d’Ambre mais ne trouve rien d’anormal. Et ses loups se sont tus.

Bon sang.

Qu’est-ce que je suis censé faire maintenant ?

Je ne vais quand même pas aller à cette soirée juste pour la prévenir….

Si ?…

Je suis là, hésitant devant la porte d’entrée, avec une furieuse envie de faire comme si je n’avais rien vu du tout et de retourner à mes agréables occupations.

Je soupire.

J’imagine qu’il vaut quand même mieux que je l’en informe, même si ce n’est probablement rien. Avec un peu de chance, elle pensera comme moi et elle me laissera encore quelques heures de tranquillité dans sa maison.

Même si ça m’étonnerait beaucoup.

Résigné, je cherche mon manteau à l’intérieur puis me téléporte dans le village de Fessenheim.

Je marche dans la rue principale et rejoins le bâtiment où semble se dérouler la fête. Il est assez facilement repérable, ayant été décoré avec une bonne partie des illuminations de noël qui avaient été installées avant la catastrophe dans toute la ville.

Ça m’ennuie de devoir entrer et rejoindre les humains et ma bonne résolution commence à s’étioler à mesure que j’avance et que la musique de la fête me parvient.

Jusqu’à ce que j’aperçoive Ambre en pleine communication avec son hibou. J’ai mis quelques secondes à la reconnaître, ses vêtements n’ayant vraiment rien à voir avec ce qu’elle porte habituellement.

Mais je dois bien admettre que ça lui va plutôt bien. Et ils me permettent de redécouvrir une partie de ses nombreuses cicatrices que je n’ai vues qu’une fois. Et pas dans un moment des plus paisible.

Je m’approche alors qu’elle s’apprête à retourner dans la salle des fêtes en traînant ses hauts talons, pas vraiment pressée de rejoindre la foule.

Ce qui ne m’étonne pas beaucoup de sa part.

-Alors, comme ça, on s’éclipse sans rien dire ? » Je lui lance pour l’arrêter dans son mouvement alors qu’elle s’approche de la porte.

Elle se tourne vivement vers moi, surprise par ma présence, le vent n’étant probablement pas favorable à la perception de mon odeur.

-Et toi, qu’est-ce que tu fais là ? » Me demande-t-elle de son habituel ton sec. Puis elle ajoute d’une voix plus légère. « Si Iris te voit, tu ne repartiras jamais de cette soirée. »

Ben tiens !

Elle me croit si docile ?

-Qu’elle essaie seulement ! » Je lui réponds en croisant les bras sur mon torse.

Mon comportement semble déjà l’ennuyer.

-Bon, tu m’excuseras Mathias. » Me dit-elle en s’approchant de l’entrée. « Mais il se trouve que je ne suis pas équipée pour le froid moi, et comme tu as le tact d’un mufle et que tu ne me prêteras ton manteau pour rien au monde… » Et elle met la main sur la poignée.

-Attends ! » Je l’arrête en m’approchant un peu brusquement. Je la vois se reculer légèrement alors que je dois rentrer dans sa précieuse bulle de sécurité mais choisis d’ignorer son geste. « Je crois que j’ai vu… » Mais j’hésite à le lui dire. Après tout c’était tellement rapide. Et si ce n’était rien d’important ? « Je ne suis pas sûr. » Conclus-je

-Accouche Mathias ! Je suis gelée ! » Me presse-t-elle alors qu’elle se met à trembler dans sa tenue, bien trop légère par un temps pareil.

J’ai un peu pitié d’elle et me décide finalement à lui répondre.

Lorsque la porte s’ouvre à la volée.

-Hé ! Mathias ! » S’étonne Iris et elle me saisit brusquement le bras me tirant à l’intérieur.

Je n’ai même pas le temps de réaliser qu’Ambre me fait le pire coup qu’elle pouvait me faire à cet instant.

-Interdiction de se téléporter ici Mathias. » Je me retourne vers elle, atterré par son ordre injuste. « Pas tant qu’il n’y a pas un risque vital. »

Un risque vital ?!

Et le fait de suivre Iris au milieu d’une nuée d’humain, ça n’en est pas un peut-être ?

Mais je n’ai pas vraiment le temps de m’exprimer sur la question.

Iris me tire avec une force insoupçonnée au milieu de la foule et nous rejoignons Valentin qui n’a pas l’air tellement heureux de me voir.

Il n’est pas le seul. Les humains qui nous entourent nous laissant bien plus de place que nécessaire et nous jetant des coups d’œil mauvais.

Mais mon attention est vite détournée.

Je lève les yeux au ciel alors qu’Iris se met à danser juste devant moi.

-Allez Mat ! Profite un peu ! Puisque tu es là ! » Me crie-t-elle par-dessus la musique. « Même Valentin s’y est mis ! »

Je jette un coup d’œil à Valentin qui a franchement l’air de vouloir se tirer une balle plutôt que d’être là et qui bouge vaguement son corps sans tenir compte du rythme.

-Parce que t’appelle ça danser toi ?! » Je lui dis le plus discrètement possible en m’approchant d’elle.

Elle me regarde d’un air de défi.

-Et tu crois que tu fais quoi toi ? » Et elle m’adresse un petit sourire narquois.

Ah ouais…

Alors comme ça, on me provoque en plus ?!

Tu l’auras voulu Iris.

J’ôte vivement mon manteau, le laissant simplement s’échouer au sol et la saisis par la taille, l’entraînant soudain dans un rock endiablé.

Je sens son corps souple contre le mien et ne peux m’empêcher de me dire que ce n’est pas désagréable, son élégante poitrine m’effleurant parfois, au hasard de nos mouvements alors que mon regard est irrésistiblement attiré par son décolleté.

Je vois ses yeux s’écarquiller de surprise alors que je la fais tourner avant de la reprendre près de moi.

Même moi je suis un peu étonné de retrouver les gestes aussi facilement. Et dire que cet apprentissage de la danse était dû à un pari perdu à l’époque…

Mais j’aurais fait n’importe quoi pour soulager le quotidien de mon petit frère, même s’il fallait, pour ça, que je passe pour un imbécile. Et puis, c’est à ces fameux cours de danse que j’avais rencontré Natacha…

Je me retiens de secouer la tête.

-Tu croyais qu’elle venait d’où ? Cette magnifique musculature ? » Je lui demande, en toute fausse modestie, refoulant mes souvenirs.

Elle me fait l’un de ses plus beaux sourires.

-Franchement… J’y aie pas réfléchis. » Me dit-elle alors que j’enchaîne les pas de danse les uns après les autres.

Nous dansons encore un moment lorsqu’elle se met brusquement à regarder tout autour d’elle.

-Où est Valentin ? » Demande-t-elle.

Je regarde vite fait autour de moi sans le trouver, ayant tout à fait oublié sa présence.

-Sans doute parti se rasseoir. » Je lui réponds. « Il avait pas l’air franchement à l’aise. »

Elle hoche la tête, un peu déçue.

Je m’approche à nouveau d’elle, rapprochant mes lèvres de son oreille.

-Ca va aller Iris. » Je la rassure. « Et puis… Tu as toujours un cavalier ! » Et je me désigne avec un sourire.

Je la regarde intensément alors qu’elle se met à rire.

Qu’est-ce qu’elle est belle dans cette robe… Je l’avais déjà remarqué lorsqu’elle m’avait forcé à assister à ces essayages, mais là… Ses atours sont sacrément bien mis en valeur, son vêtement laissant s’échapper une partie de sa cuisse agréablement musclée, d’une teinte caramel.

Je me retiens de secouer la tête à nouveau.

Je ne devrais pas penser à ça. De toute façon, ce n’est probablement pas réciproque.

Et puis la vie dans ce monde est trop risquée pour s’attacher aux autres. Je l’ai assez chèrement payé la dernière fois.

Iris semble elle aussi m’observer un peu différemment. Elle se mord la lèvre inférieure tout en regardant autour d’elle.

-Viens. » Me dit-elle tout en me prenant la main.

Et elle me guide à l’extérieur de la piste.

Je m’attends à rejoindre Valentin ou Victor, voir à ce que nous allions profiter du buffet, mais elle m’entraîne vers une porte un peu à l’écart.

-Qu’est-ce que tu fais Iris ? » Je lui demande, surpris.

Elle ouvre la porte tout en plaçant un de ses doigts sur ses lèvres.

Puis nous entrons tous les deux dans ce qui ressemble à une pièce de stockage contenant du matériel audio et un grand nombre de chaises de spectacles.

Je fronce les sourcils.

-Iris ! » Tenté-je de l’arrêter. « Qu’est-ce qu’on fait la ? »

Elle finit par se stopper au milieu de la pièce et se tourne vers moi.

-Ce qu’on fait toujours dans ce genre de soirée. » Me dit-elle en s’approchant.

Mais c’est son regard, bien plus que ses paroles, qui me traduit son comportement.

Une excitation bien masculine me fait brusquement vibrer les reins.

Ça doit bien faire plusieurs années que je n’ai pas eu d’occasions comme celle-là. Bien sûr, j’ai eu quelques relations avec des éveillées du clan de Nathan, mais rien d’aussi naturel.

Iris s’approche encore jusqu’à n’être plus qu’à quelques centimètres et me fixe de son regard de braise.

Au fond de moi, je sais que je ne devrais pas.

Et pourtant, ce soir, j’en ai besoin.

Mais merde !

Je suis un homme putain !

-Mais si tu n’en as pas envie… » Finit-elle par me dire alors qu’elle lit le doute dans mes yeux.

Mais cette dernière phrase me l’enlève tout à fait.

Je lui saisis la nuque d’une main et l’embrasse alors que mon autre main descend sur la cambrure de son dos. Elle place ses bras sur mes épaules et m’enlace, sa langue répondant furieusement à la mienne.

Je l’entraîne jusqu’à un mur libre un peu plus loin dans la pièce et la plaque contre le papier peint, mon corps épousant ses formes. Ma main descend sur sa hanche tandis que l’autre quitte sa nuque pour lui prendre le bras. Je le lui maintiens ensuite par le poignet, légèrement relevé en appui sur le mur et commence à faire lentement descendre mes lèvres, sur sa mâchoire, le haut de sa gorge, sa clavicule dénudée…

Son souffle déjà haletant devient rauque et elle me saisit la main qui explorait sa taille pour la placer sur sa cuisse, la faisant lentement glisser sous sa robe.

Une sensation de chaleur que je connais bien m’inonde l’entrejambe et le tissu de mon jean se tend.

Ma bouche rejoint la sienne alors que je perds tous mes moyens.

Lorsqu’un choc d’une violence inouï me ramène brusquement à la réalité.

Je suis violemment projeté sur le côté, la sensation d’avoir été chargé par un rhinocéros au niveau de mon flanc gauche.

J’atterris dans le tas de chaise alors que le hurlement d’Ambre résonne dans toute la pièce.

-ESPECE DE SALOPARD ! »

Rapidement suivit par la voix surprise d’Iris.

-Ambre ?! » S’écrie-t-elle avant d’ajouter. « AMBRE NON ! »

Je commence tout doucement à comprendre ce qui se passe, une douleur atroce irradiant toute la partie gauche de mon corps.

-Qu’est-ce que… » Semble s’étonner Ambre.

-Non Ambre ! Ce n’est pas ce que tu crois… » Lui répond Iris d’un ton urgent. Sans doute pour l’empêcher de me choquer à nouveau.

Je tente péniblement de m’extraire du tas de chaises alors qu’Ambre m’explique enfin la raison de sa violence envers moi.

-Il essayait de te violer ! » S’écrie-t-elle encore.

Iris se place bien devant elle et tente de lui expliquer la situation aussi calmement que possible.

-Non non ! Pas du tout ! Ambre ! C’était… J’étais d’accord ! Tu comprends ? »

Un long silence s’installe pendant lequel je n’ose plus vraiment bouger de peur qu’Ambre ne se remette à m’attaquer.

-Ok. » Entends-je soudain la voix de Valentin briser le silence d’une voix sombre.

Puis j’entends ses pas rapides alors qu’il sort de la pièce.

-Valentin ! Attends ! » S’exclame alors Iris.

Et elle me quitte bien vite, me laissant seul, face à face avec mon pachyderme.

La porte claque et je me mets à espérer que l’éveillée en face de moi a bien compris que je n’étais pas en train de commettre un crime.

Voyant qu’elle ne tente rien de plus, je me dégage tant bien que mal, me tenant les côtes alors qu’une douleur puissante me saisit à chaque inspiration, me faisant presque oublier ma frustration.

J’ai bien dit presque.

-Putain… Ambre. » Je me mets à gémir. « Tu sais depuis combien de temps j’ai pas eu l’occasion de niquer ? »

Elle hausse simplement les sourcils, pas vraiment touchée par ma pathétique situation.

-La prochaine fois, débrouille-toi pour le faire quand je ne suis pas dans les parages. » Me dit-elle en s’autorisant même un léger sourire. « Considère que c’est pour toutes les fois où je t’ai loupé. »

Je grimace.

Sérieusement ?!

Je l’ai juste un peu emmerdé c’est tout ! Je l’ai pas rendue handicapé moi !

Je parviens enfin à me relever et grogne de douleur.

-Merde… ». Je lâche en frôlant mes côtes du côté gauche. « C’est sûr ! Tu m’en as cassé putain ! »

Ce qui ne semble pas le moins du monde l’affecter.

Elle lève les yeux au ciel.

-Tu es un homme fort Mathias, tu t’en remettras. » Me dit-elle d’un ton toujours aussi neutre. « Et je te donne l’autorisation de te téléporter. Je n’ai pas la place pour un handicapé dans la voiture. »

Je me retiens de l’insulter avec tout le vocabulaire dont je dispose, me restreignant à une phrase que je marmonne dans ma barbe.

-Saloperie de féministe. »

Et je me téléporte.

Je regarde tout autour de moi, surpris et me rends compte que j’ai atterri bien loin du lieu que je voulais, rejoignant l’église dans laquelle j’avais transporté les enfants d’Ambre il y a plusieurs mois de ça.

Mais qu’est-ce qui m’arrive bordel ?

Je tente de me calmer malgré ma souffrance et me concentre à nouveau un peu plus sérieusement.

Cette fois j’atterris juste devant la porte de notre maison en travaux et je râle alors que j’ai encore raté ma téléportation, ce qui m’oblige à devoir marcher normalement jusqu’à ma chambre pour éviter de me planter une troisième fois.

Alors que je fais mes premiers pas avec difficulté, je me rends compte qu’il fait bien froid malgré mes vêtements.

En fait, j’ai la vague impression de me retrouver le cul à l’air.

Je passe la main sur l’arrière de mon pantalon.

Pour sentir la peau de mes fesses à la place du tissu.

Et je constate rapidement que seul l’avant de mon jean est intact tandis que l’arrière a littéralement disparu au moment du transport, le tout ne tenant que grâce à ma ceinture.

-Fait chier ! Merde ! » Je lâche, franchement en colère cette fois.

Et je me remets à marcher, un peu plus rapidement, pour rejoindre la porte d’entrée.

Ambre…

Putain je te hais.

 

Merde…

Merde merde merde merde !!

Je me téléporte auprès d’Iris, laissant la tête de son tortionnaire là ou je l’ai emmené, à plusieurs mètres du reste de son corps.

Elle a chuté au sol en même temps que le corps de l’homme et je me rends compte que ce dernier a sans doute eu le temps de lui administrer une décharge de son éléctrokinésie avant de mourir.

Je la prends dans mes bras et l’éloigne de l’autre cadavre, encore secoué de soubresauts sanglants, puis je l’allonge à nouveau.

-Iris ! » Tenté-je de la ranimer. « Iris ! Putain réveille-toi ! »

Mais elle ne réagit pas à mes appels, pas plus qu’aux secousses que je lui administre en la tenant par les épaules.

Et je n’aime pas ça.

Pas ça du tout.

En une pensée je rejoins la radio, enclenche le mode émission et appel à l’aide la seule personne qui puisse venir à mon secour pour l’instant.

-RAMENE-TOI AMBRE ! J’AI BESOIN DE TOI ! » Hurlé-je paniqué dans l’appareil.

Puis je retourne instantanément auprès d’Iris, guettant l’arrivée d’Ambre par le ciel.

Moins d’une minute plus tard, elle apparaît un peu plus loin au-dessus de la forêt mais son vol paraît bien moins assuré que d’habitude.

En fait, elle donnerait presque l’impression d’être… Bourrée ?

Voyant qu’elle ne parvient pas à me repérer, je me lève et fais de grands gestes avec les bras pour l’aider. Elle finit par se diriger vers moi, me donnant l’impression d’un oiseau volant après avoir fumé un énorme pétard.

Elle atterrit lourdement au sol à quelques mètres et se redresse avec difficulté en s’appuyant à un arbre.

Merde !

Mais qu’est-ce qu’elle a pris putain ?!

-Bordel Ambre ! C’est pas le moment de picoler ! » M’exclamé-je, plus angoissé que jamais.

C’est tout juste si elle parvient à me répondre.

-J’ai été droguée Mat… Mathias. » Articule-t-elle d’une voix dangereusement pâteuse.

Pitié !

Tombe pas dans les vapes maintenant !

Je retourne en courant vers Iris, priant intérieurement pour qu’elle se soit réveillée entre-temps. Mais je ne mets pas longtemps à me rendre compte que ce n’est pas le cas.

Je m’agenouille auprès d’elle alors qu’Ambre me rejoint en rampant.

En rampant putain !

Elle secoue faiblement la tête pour se maintenir éveillée et s’approche d’Iris.

-C’était un éléctrokinésiste. » Je lui explique en espérant qu’elle soit toujours en capacité de me comprendre. « Je l’ai eu mais il a touché Iris avant… »

Je soupire presque de soulagement en constatant qu’elle a tout de même encore quelques réflexes de gestes d’urgences, prenant le pouls d’Iris au niveau de sa gorge…

Réflexes que je n’ai pas eus malgré mon état de conscience bien plus alerte.

-Faut… Faut faire un ma… Massage cardiaque. » Me dit-elle d’une voix de plus en plus incertaine.

C’est pas vrai…

La seule fois que j’ai fait ça, c’était sur un putain de mannequin il y au moins quinze ans !

-De… Quoi ? Ambre j’ai jamais fait ça ! » Lui avoué-je, apeuré.

Ses yeux se ferment à plusieurs reprises comme si elle ne parvenait plus à contrôler ses paupières et elle secoue franchement la tête pour tenter de retrouver ses esprits.

-Faudrait… » Commence-t-elle. « Un D… DSA… »

Elle plaque sa main sur son front et je sens que je vais la perdre dans quelques secondes.

Non ! Ambre ne me laisse pas seul !

-Je comprends rien ! AMBRE ! » Lui hurlé-je à la figure.

Et comme je vois que ça ne suffit pas, je la prends par les épaules et la secoue violemment, prenant le risque qu’elle m’explose le reste de ma cage thoracique à mon contact.

Son regard se pose sur moi une seconde, les yeux vitreux avant que je le voie s’illuminer un court instant.

D’un geste brusque, elle s’éloigne de moi et se couche littéralement sur Iris, approchant son visage du sien comme si elle allait l’embrasser.

Mais elle se croit dans un putain de conte de fées ou quoi ?!

-AMBRE ! TU VAS PAS L’EMBRASSER COMME UN CONNARD DE PRINCE CHARMANT ?! »

Mais à peine ai-je eu le temps de finir ma phrase, que je la vois s’écrouler sur le corps d’Iris.

Je manque de péter un câble et de la gifler pour la ranimer lorsque notre princesse ouvre soudain les yeux.

Un soulagement intense, comme je n’en ai plus ressenti depuis longtemps, m’envahit.

À moins que ce ne soit de la joie ?

J’évacue Ambre de son corps en la poussant sur le côté sans beaucoup la ménager et je vois Iris inspirer de grandes goulées d’air avant de froncer les sourcils et de tenter de se relever.

-Qu’est-ce que… » Elle toussote avant de poursuivre. « Qu’est-ce qui s’est passé ?! »

Et elle se tourne vers moi, le regard surpris.

Après la joie, c’est la colère qui me saisit.

-Putain Iris ! On peut savoir pourquoi tu t’es barrée comme ça ?! » M’écrié-je, ignorant volontairement sa question.

Elle ouvre la bouche comme si elle voulait me répondre méchamment avant de la refermer lorsque les souvenirs affluent dans sa mémoire.

Et là, elle me fait un grand sourire.

Qui me donne franchement envie de la gifler.

-Tu es venu me chercher Mat ! » Et elle me saute au cou, ce qui anéantit instantanément toutes mes envies de violence à son égard. Je lève les yeux au ciel, résigné, et la laisse faire.

Iris sera toujours Iris…

Complètement à l’ouest.

Elle se recule, toujours aux anges.

-Et Ambre aussi hein ? » Me demande-t-elle soudain, la cherchant des yeux autour de nous.

J’ai un temps d’arrêt.

Merde ! Ambre !

Je rejoins son corps qui n’a pas bougé à moins d’un mètre, toujours face contre terre et la retourne, la plaçant sur le côté.

J’expire lentement lorsque je constate qu’elle respire toujours. Elle s’est sans doute endormie à cause de cette fameuse drogue qu’elle a prise.

-Mais… Elle dort ?! » S’étonne Iris en remarquant la même chose que moi.

Je hoche la tête.

-Oui. Elle pionce. » Approuvé-je. « Et je sais pas pour combien de temps elle en a alors on va pas attendre qu’elle se réveille. »

Je la place sur le dos avant de la saisir par la taille et de la mettre sur mon épaule, puis je me relève.

-Mais qu’est-ce que tu fais ?! » S’indigne Iris en me suivant. « C’est pas un sac ! »

-Peut-être, mais pour l’instant, je fais pas la différence. »

Et je souris intérieurement, profitant de cet instant ou je peux enfin la traiter avec la même déférence qu’elle présente à mon égard depuis le début.

J’avance d’un pas décidé, Iris sur mes talons.

-Ouais… Ben j’espère pour toi qu’elle ne se réveillera pas dans cette position. » Me fit-elle remarquer en trottinant pour me suivre.

Chose pour laquelle elle n’a pas tort.

Nous mettons un bon moment pour rejoindre la route, Iris semblant soudain perdue dans ses pensées et gardant étrangement le silence. Pour ma part, je suis toujours en colère contre elle et sa fâcheuse manie de foutre la merde, mais je me retiens de l’engueuler.

Après tout, elle a quand même failli y passer tout à l’heure…

Et bien que j’aie du mal à l’admettre, j’en aurais certainement souffert.

Peut-être pas autant que pour Sarah mais…

Enfin… C’est différent.

Nous avançons entre les nombreux véhicules à l’arrêt et comme elle semble encore bien loin de la situation, je décide de la ramener sur terre.

-Iris ? » L’appelé-je.

-Oui ? » S’inquiète-t-elle immédiatement d’un air étrangement penaud.

-Tu veux pas essayer de prendre une voiture ? J’ai pas franchement envie de me taper toute la route à pieds… »

Encore moins avec l’autre psychopathe sur l’épaule qui va encore essayer de m’écraser les burnes si elle se réveille entre-temps.

-Ah ? » S’interroge-t-elle une seconde avant de comprendre. « Ah oui ! Une voiture ! Oui… Je vais essayer… »

Et nous poursuivons notre route, Iris passant régulièrement sa main sur les capots des véhicules qui nous entourent pour tenter de les ranimer.

Il nous faudra attendre une station-service pour en trouver une capable de redémarrer convenablement.

Je place Ambre sur la banquette arrière avant de monter à l’avant, côté passager puisque Iris s’est spontanément installée au fauteuil conducteur.

Son visage s’illumine lorsqu’elle démarre, lâchant même un petit cri de joie dont elle a le secret, avant que ses traits ne se ternissent à nouveau lorsque nous commençons à rouler.

-Mat… » Commence-t-elle hésitante. « Je… »

Mais je la coupe, pas franchement d’humeur à écouter des excuses.

-Putain Iris ! Tu te rends compte de ce que tu fais ?! » Et je laisse mes reproches se déverser, soulagé de pouvoir enfin évacuer la pression. « On est un clan bordel ! Tu peux pas laisser tout tomber comme ça juste parce que ça va pas quelques jours ! » Elle se tait, me laissant m’exprimer en conservant une tête de chien battue qui ne m’aide pas vraiment à relâcher ma colère. « Merde ! Je sais pas qui c’était ces types qui t’ont enlevé mais ils avaient l’air d’avoir un plan bien défini. Et je sais pas ce qui s’est passé avec Ambre, mais je parie que c’est contre elle qu’ils en avaient… » Je me tourne vers elle, la fixant alors qu’elle tente de rester concentrée sur sa conduite. « Est-ce que tu comprends Iris ? Elle vous a acceptés, nous a acceptés dans son clan. Mais vous, vous êtes une faiblesse pour elle ! Une putain de faille qui pourrait bien lui coûter cher ! » Je laisse un temps, lui permettant d’absorber au maximum mes paroles. « Tu peux pas te permettre de lui faire ça. » Conclus-je enfin avant de me tourner à nouveau vers la route.

Elle garde le silence pendant un moment et, du coin de l’œil, je la vois glisser un regard vers le rétroviseur, contemplant sans doute Ambre pendant une seconde.

-Je suis désolé Mat. » Me dit-elle enfin. « Je ne pensais pas à ça… Ce n’est pas… Mais comme tout le monde m’en voulait… »

Je me tourne à nouveau vers elle, haussant les sourcils.

-T’en voulait ?! » M’exclamé-je. « Mais qui peut t’en vouloir Iris ! Tout le monde t’adore ! Tu es la seule éveillée que j’ai jamais vue capable de faire plier tous les autres ! Et juste avec un regard ! »

Je secoue la tête après cet aveu, me rendant compte à quel point c’est vrai.

Elle se tourne franchement vers moi, oubliant la route.

-C’est vrai ? » Me demande-t-elle.

Je saisis brusquement le volant, faisant une embardée pour éviter l’un des nombreux véhicules à l’arrêt.

-Putain Iris ! » Lâché-je, regrettant déjà de lui avoir fait un tel compliment.

Mais elle ne semble même pas se rendre compte qu’elle a failli nous tuer, reprenant le volant comme s’il ne s’était rien passé, le sourire aux lèvres.

Elle me jette un regard en coin.

-Toi aussi je t’ai fait plier ? » Me demande-t-elle, amusée.

Je lâche un grognement et choisis d’ignorer sa question.

-En tout cas, c’est pas à moi que tu dois des excuses. » Lancé-je, de mauvaise humeur. « Réserve-les à Valentin. Il est devenu complètement fou quand il s’est rendu compte que tu avais disparu. »

Je la vois hausser les sourcils et s’apprêter à me regarder à nouveau.

-LA ROUTE IRIS ! »

Et je donne un coup de volant pour nous remettre juste à temps sur la voie.

Elle le reprend tranquillement, fronçant les sourcils à mes propos.

Après plusieurs minutes de silence, où je me rends compte au passage qu’Ambre a fini par s’échouer au sol, probablement à cause de nos menues embardées, Iris reprend la parole, hésitante.

-Mat… Tu crois que Valentin… »

J’expire bruyamment d’agacement.

-Evidemment qu’il est à fond sur toi putain ! Y a vraiment que toi pour pas le voir franchement ! » je fais un geste dédaigneux de la main, pas vraiment à l’aise de me retrouver dans la peau d’un confident ou d’un conseiller conjugal. « C’est juste qu’il est trop jeune pour prendre les choses en main correctement. Tu peux pas lui en vouloir, il aura à jamais la gueule d’un gamin de 16 ans. »

Et je la vois sourire, aux anges.

Elle se tourne à nouveau vers moi.

Cette fois je me contente de grogner tout en tenant le volant d’une main, conscient qu’elle se fiche royalement de la route lorsque nous parlons.

-Et toi ? Ça ne te fait rien. » Me demande-t-elle, malgré tout inquiète de ce que je pourrais ressentir à son égard.

Je lui rends le volant avant de répondre.

-Iris. Je t’aime bien, tu es très belle et tout ça mais… » j’ai un petit sourire en coin. « On n’est pas fait pour être ensemble. » Je la vois s’apprêter à me rétorquer quelque chose alors je prends les devants, levant les mains en signe de paix. « C’était sympa cette soirée Iris ! J’aurais bien aimé… Faire plus mais… J’ai vraiment pas envie de me mettre en couple, tu vois ? »

Elle referme la bouche, semble réfléchir une seconde puis hoche la tête.

-Oui tu as raison. On n’est pas fait pour être ensemble. » Me dit-elle d’une voix neutre.

J’ai beau le lui avoir dit moi-même il y a tout juste quelques secondes, le fait qu’elle me le confirme m’ennuie tout de même et je lâche un soupir de lassitude, conscient que je risque de rester célibataire encore un bon moment.

-Bah ! T’en fait pas. » Me rassure-t-elle en me tapotant l’épaule une seconde. « Tu peux toujours essayer avec Ambre ! »

J’écarquille les yeux de surprise.

-Tu plaisantes ?! » M’exclamé-je en jetant un regard vers l’intéressée, désormais coincé dans une position ridicule entre la banquette arrière et les sièges avant. « Tu parles de celle qui m’a explosé les couilles la première fois qu’elle m’a vu et qui m’a défoncé les côtes ensuite ? » Je ricane avant de reprendre. « Je suis pas certain d’avoir envie d’aller plus loin… Je suis pas masochiste à ce point. »

Iris lève les yeux au ciel.

-C’est juste que tu la connais pas en fait. » Me rétorque-t-elle. « Elle est juste… »

-Complètement tarée. » La coupé-je.

Elle secoue la tête.

-Dis pas ça ! Il faut seulement l’apprivoiser. »

-Ben voyons. » Me moqué-je. « Tu sais ce qu’elle a fait à Victor alors qu’il l’a à peine frôlé ?! »

-Tu sais quoi ? » Me lance-t-elle soudain. « Je suis sûre de pouvoir lui faire un câlin ce soir… Même mieux ! Je vais lui faire un bisou sur la joue et je suis certaine qu’elle ne me fera rien. »

Elle me tend la main.

Je me mets à rire et tape dedans pour sceller notre pacte.

-Pari tenu. J’ai hâte de voir ça… »

Oui franchement…

J’ai hâte…

Et si tu y arrives, je m’épile les poils des couilles ce soir, c’est promis…