Chroniques du clan :
Valentin
Nous progressons à pas lents dans la neige. Je soutiens Iris par la taille tandis qu’elle se crispe de douleur parfois, sifflant lorsque son épaule l’élance tout à coup. Bastet profite de cette balade confortablement installée dans ma capuche et se soucie peu de nos difficultés.
Après tout, elle a joué son rôle et estime avoir le droit à un peu de repos.
-Ils ne me croiront jamais. » Lancé-je pour passer le temps puisqu’il nous faut encore un bon quart d’heure de marche avant d’atteindre notre voiture.
Mon aimée s’indigne instantanément.
-Tu plaisantes ! Bien sûr que si ! De toute façon, ils n’auront pas le choix ! Tu as deux témoins ! »
Elle se désigne, utilisant malencontreusement son bras blessé, ce qui la contraint à s’arrêter sous l’effet de la douleur.
J’attends un peu qu’elle se calme avant de l’interroger.
-Deux témoins ? »
Elle me fixe d’un air ahuri.
-Ben oui ! Y a Bastet aussi ! »
-Ah… »
Je m’abstiens de lui faire remarquer que Bastet ne communique qu’avec moi, et qu’elle ne risque pas de chercher à me défendre, se fichant pas mal des « on dit ». Après tout, elle a peut-être raison… Quelle importance qu’on sache que c’est moi qui suis venu à bout de la collectionneuse ? Étant donné la façon dont je m’y suis pris… je suis presque certain que Mathias se moquera de moi. Quant à Ambre, elle sera certainement dégoûtée…
Alors que nous parvenons enfin en lisière de forêt, le vent m’apporte une fragrance qui hérisse les poils de ma nuque. Je m’abaisse derrière un buisson et contrains Iris à m’imiter. Elle gémit au passage et s’apprête à protester vivement, mais je place ma paume sur ses lèvres pour la faire taire.
Pas le temps de lui expliquer.
L’odeur se rapproche suivie d’un bruit de pas désordonné. Sous nos yeux médusés, un type s’approche. À sa démarche bancale, j’en déduis qu’il vient de quitter le combat. Il saigne abondamment, tout un côté de ses vêtements semble trempé de cette couleur rouge sombre.
Iris retire ma main.
-Mais il… » S’étonne-t-elle avant que je ne la place d’office une seconde fois sur ses lèvres.
L’homme arrive à notre niveau et je comprends la surprise de ma dulcinée. La blessure qui l’inonde ainsi de sa propre hémoglobine n’est autre qu’un bras manquant, coupé net visiblement au niveau de l’épaule. Il tente de limiter les saignements, sa main masquant en partie cette énorme plaie, toutefois, il n’y parvient pas vraiment.
Il s’arrête soudain, et renifle l’air autour de lui.
Je me fige, crispant mes doigts sur le visage d’Iris, la suppliant en silence ne pas faire de bruit.
Le blessé tourne alors la tête dans notre direction et croise mon regard. Nous demeurons immobiles de cette manière, nous jaugeant une minute interminable avant qu’il ne reprenne sa marche sans tenir compte de notre présence.
J’ai la sensation que mon cœur a loupé quelques battements au passage. Heureusement pour nous, sa blessure devait trop le handicaper pour lui permettre de nous attaquer.
Ma dulcinée retire ma main avec colère.
-Aïe ! Tu me fais mal Val ! » Se plaint-elle.
Je remarque alors la trace de mes ongles sur la peau de ses joues.
-Désolé Iris… » M’excusé-je avant de l’aider à se relever.
Je jette un regard autour de nous, mais l’intrus semble s’être éloigné sans demander son reste.
-C’était qui ? » Me demande-t-elle comme si je le connaissais.
-Sûrement un allié de la collectionneuse. » Lui réponds-je, la tirant en avant tandis qu’elle le cherche des yeux. « Viens, faut pas traîner ici. »
Elle finit par accepter d’avancer et nous rejoignons le véhicule de la colonie. Je l’accompagne du côté conducteur, mais elle me regarde avec yeux ronds.
-Val ! Je peux pas conduire ! »
Je la scrute, perdu.
-Mais… Comment on va faire ? » M’enquis-je, dépité à l’idée qu’on doive retourner à pied jusque dans le village de Neuf-Brisach.
-Bah, tu vas prendre le volant ! » S’exclame-t-elle en contournant la voiture.
Je la rejoins pour l’aider à s’installer côté passager.
-Mais je sais pas conduire ! » M’alarmé-je.
-Ça s’apprend Val ! Vas-y ! Je te guide… »
Je demeure un moment à la fixer comme si elle avait perdu la tête, avant de me résigner. D’autres parfums me parviennent du combat et je crains de tomber à nouveau sur des ennemis qui seraient encore en possession de leurs moyens.
Je m’installe sur mon siège, apeuré devant le nombre des commandes à disposition.
-Alors la pédale de gauche, c’est l’embrayage, pour démarrer et changer les vitesses, à droite c’est l’accélérateur et au milieu le frein. Vas y démarre ! »
-Comment on fait ?! » Paniqué-je, perdu.
-Tu n’as jamais conduit avec ton père pour t’amuser ?! » S’étonne-t-elle. Devant mon signe de dénégation, elle soupire. « Bon, appuie à fond sur la pédale d’embrayage… La pédale d’embrayage ! À gauche ! Pas à droite ! »
Je recommence, enfonçant mon pied sur la bonne commande.
-Maintenant tu passes la première… Le manche là, tu le prends et tu le positionnes vers l’avant à droite… Voilà, comme ça… et maintenant tu soulèves la pédale en douceur… »
J’obéis, mais il ne se passe rien. Aucun bruit de moteur ne vient me rassurer.
-J’y arriverais jamais… » Désespéré-je tandis que ma copine fronce les sourcils sans comprendre.
Elle se frappe soudain le front d’une main, me faisant sursauter.
-Qu’est-ce qu’on est bête ! Faut mettre le contact avant ! »
Elle place alors son doigt sur l’emplacement dédié. La voiture fait un bon en avant qui nous secoue violemment tous les deux. Iris lâche un cri de douleur tandis que Bastet feule dans ma capuche. Mon félin s’en échappe, rageuse d’avoir ainsi été remuée.
-Bah… Tu as enlevé ton pied de la pédale ? » M’interroge Iris avec un air de reproche.
-Tu m’as dit qu’il fallait que je soulève doucement ! C’est ce que j’ai fait ! » M’indigné-je de plus en plus à cran.
Elle semble réaliser mon état de stress et reprend avec calme.
-Ce n’est pas grave… On recommence… Vas y appuie sur la pédale et reste appuyé… »
Elle replace son doigt sur le contact et met quelques minutes à se concentrer avant de ranimer une nouvelle fois le moteur.
-Vas-y maintenant… relâche en douceur… Voilà… »
La voiture avance soudain sans que je lui demande quoi que ce soit.
-Et maintenant ! Qu’est-ce que je fais !! »
Je suis à deux doigts de lâcher le volant, mais Iris glousse.
-Allez ! Emmène-moi au bout du monde ! » S’exclame-t-elle.
Je la dévisage une seconde, absolument terrifié par cette éventualité avant de me reconcentrer sur la route.
Je déteste conduire…
Luc termine le pansement d’Iris. J’observe ses gestes précis tout en écoutant d’une oreille ce qui se dit derrière notre rideau d’intimité.
-Pourquoi on les soigne eux ?… » Murmure une voix.
-Luc s’occupe plus de l’autre monstre que de nous… »
L’interpellé intercepte comme moi les chuchotements.
-Si certaines personnes ici ne sont pas satisfaites des soins que je leur prodigue, elles peuvent sortir ! » Déclare-t-il d’une voix menaçante.
Les chuchotements se taisent alors. À moins que les messes basses aient encore descendu de quelques décibels pour rester plus discrètes.
-Vous pourrez retourner chez vous, vous deux. » Conclut le médecin en s’adressant à nous. « La plaie doit cicatriser, mais je ne peux plus rien faire pour l’instant. Revenez dans trois jours pour que je change le pansement. »
J’aide Iris à placer son attelle tandis que le médecin jette son matériel usagé.
-On peut aller voir Ambre et Mathias ? » Interroge la blessée.
Luc nous jette un bref coup d’œil.
-Je ne préfère pas pour le moment. » Assène-t-il en détournant les yeux. « Rentrez chez vous et Victor vous rejoindra plus tard. »
Il nous abandonne sur place, tirant notre tenture pour sortir de notre box improvisé. Je remarque immédiatement les œillades sévères des autres membres de la colonie. Leur animosité à notre égard ne fait aucun doute et je comprends pourquoi Luc insiste autant à nous voir dégager le plancher.
Pour camoufler leur colère à Iris, je rabats notre rideau d’un coup sec.
-Quel rabat-joie ! » S’exclame-t-elle à mi-voix, comme toujours, en dehors de la réalité. « Viens, on va les trouver en cachette… »
Je prends mille précautions pour la raisonner.
-C’est pas une bonne idée, Luc sait ce qu’il fait. S’il ne veut pas qu’on aille les voir, c’est qu’il y a une raison… »
Si mes paroles ne lui plaisent pas, elle se contente de faire la moue.
-Tu n’as pas envie de retourner chez nous ? » Lui demandé-je
Elle se tourne vers moi avant de prendre un air étrange.
-Ça dépend… C’est pour y faire quoi ? » M’interroge-t-elle.
Je tombe des nues et lève les sourcils de surprise.
-Bah… Je sais pas. Tu n’es pas fatiguée ? C’est pas comme si on avait bien dormi les deux derniers jours… »
Elle soupire en se détournant.
-Il y a toute ton éducation à faire Val… »
Je m’étonne d’une telle remarque. Pourtant je n’ai pas l’impression d’avoir de carence de ce côté-là…
De quelle éducation parle-t-elle ?
Iris dort profondément. Je viens de lui donner tout mon désir et si cette activité physique la fait rapidement sombrer dans un sommeil profond, ce n’est pas mon cas. Je contemple son buste alors qu’il se soulève à intervalle régulier. J’en profite pour détailler la moindre parcelle de son corps et remarque que ses petits tétons bruns pointent sans raison apparente.
Elle a froid.
Tant pis pour mon magnifique tableau. Je remonte la couverture jusqu’à son menton et la prends dans mes bras pour lui tenir chaud.
Jamais je n’aurais cru pouvoir un jour faire l’amour à une femme… J’en étais si loin avant la catastrophe ! Et je ne parle même pas de l’après…
Je crois que je n’aurais pas pu tomber sur meilleure professeure. Elle est restée d’un calme à toute épreuve alors que je perdais mes moyens durant ma première fois. Elle m’a tout montré, tout enseigné. Elle m’a fait découvrir des plaisirs tout à fait inconnus, insoupçonnables même…
Bien sûr, comme n’importe quel adolescent, il m’arrivait de pratiquer la masturbation. Toujours d’une façon honteuse, en cachette bien évidemment. Les films érotiques voir, pornographique que me refilait parfois mes copains m’aidait un peu à imaginer ce que pourrait être ce genre de scènes…
Je me souviens avec un sourire lorsque mon père est tombé par accident sur ce genre de fichier dans mon ordinateur. Il m’a ensuite pris entre quatre yeux. Au début j’ai pensé que c’était pour m’engueuler, mais en réalité, il est arrivé avec un air embarrassé dans ma chambre.
« Fiston, faut qu’on parle. » Avait-il alors commencé la conversation.
S’en est suivi une discussion très sérieuse sur ce qu’étaient réellement les relations sexuelles. Celles qui se passent dans la vraie vie, pas dans les films. Nous avons fini cramoisis tous les deux, mais j’ai compris, à cet instant, que je pourrais compter sur lui à l’avenir.
Je n’ai jamais eu le temps d’avoir recours à ses conseils.
Mon sourire disparaît et je reviens sur terre. Je caresse tendrement l’épaule de ma belle, la forçant à bouger dans son sommeil comme si elle était dérangée par un insecte. Bastet entre alors dans la chambre, poussant sans ménagement la porte déjà entrebâillée.
Faut qu’on parle.
Je m’étonne de la clarté avec laquelle je traduis ses pensées. Comme si le degré d’urgence éclairait leur contenu tel un spot de stade de foot.
Elle grimpe sur le lit, marchant sans aucune retenue sur ma compagne et s’installe sur la couette, dans le trou formé par nos deux corps rapprochés.
Qu’est-ce qui se passe ?
Cette fois, sa communication reprend ses tonalités habituelles. Elle me fait comprendre qu’elle a perçu des émotions négatives dans la colonie lorsque nous y étions. Des hommes nous veulent du mal et préparent un plan pour y parvenir.
Dois partir. Traduisis-je une nouvelle fois de façon lumineuse.
On ne peut pas partir comme ça !
Elle s’agace de ma réplique, me demandant pourquoi c’est impossible. Après tout, nous avions bien vécu tous les deux seuls durant quelques années.
On a des amis maintenant ! On va pas les laisser tomber !
Je ressens comme une sorte de soupir mentale et elle cligne lentement des yeux. Si Bastet apprécie Iris pour ses pensées le plus souvent positives, depuis que nous sommes ensemble, elle se lasse de nous voir toujours collés tous les deux.
Tu es jalouse ?…
Ma remarque l’exaspère, provoquant des battements de queue plus énervés qui finissent par réveiller partiellement ma raison d’être. Iris bouge, se plaçant sur le côté ce qui chasse mon félin de sa position. Elle se rapproche de ma tête et s’allonge derrière mes cheveux pour me faire un brin de toilette.
Sa façon à elle de me signifier qu’elle ne compte pas se laisser exclure si facilement.
Moi aussi je t’aime Bastet…
Elle ronronne allègrement en réponse. Je lui gratte gentiment la tête avant de plaquer mon corps contre celui d’Iris.
Jamais je n’aurais pensé être aussi heureux un jour, profitant à la fois d’une alliée sans faille, d’un amour sincère et d’amis fidèles…
Le ronronnement de mon félin me berce et je m’endors, comblé.
J’utilise toutes mes ressources pour m’empêcher de glousser. Iris conduit comme une folle notre véhicule et la peur de mourir d’un accident de voiture est presque aussi puissante que celle de nous faire rattraper par Laurent et la colonie.
Même Bastet ne parvient pas à me calmer. Planqué sous le siège du passager avant, il lui arrive de miauler bruyamment lorsque ma dulcinée évite les véhicules abandonnés sur la route.
Alors qu’elle réalise une énième embardée, je crispe mes doigts sur mon fauteuil, hésitant entre vomir et hurler de rire.
-Putain Iris ! Fais gaffe ! Si tu continues, je prends le volant ! » s’exclame alors Mathias, à l’arrière avec Ambre.
Mon amante lui rétorque, bien décidée à ne pas se laisser faire.
-C’est pas ma faute si Ambre n’a pas fait son boulot correctement et que cette autoroute n’est pas dégagée ! »
-En attendant, je suis dans le coffre avec elle et on n’a pas de putain de ceintures ! Alors, roule pas comme une tarée ! »
Soudain une vitre se brise à l’arrière, les interrompant dans leur dispute. Je me dévisse le cou pour tenter de voir d’où provient le choc, pensant bêtement que la conduite d’Iris en est responsable.
Avant de trouver deux véhicules de la colonie juste derrière nous.
Je m’étrangle, les deux mains sur la bouche pour retenir mes gloussements.
-Ils nous suivent ! » Hurle Victor, terrifié par ce qu’il découvre dans son rétroviseur.
À ce moment, Mathias change radicalement d’avis.
-Merde ! C’est pas vrai ! Oublie ce que j’ai dit tout à l’heure Iris ! Fonce ! Valentin ! Ramène-toi ! Tiens-la ! Je vais riposter ! »
Je m’étonne qu’il fasse appel à mes services, mais visiblement, il n’a pas beaucoup de choix.
Tandis que je passe dans le coffre du SUV, il se saisit d’une arme. Je perçois un nouveau bruit de tir, qui atteint la carrosserie de notre véhicule. J’essaie de maintenir Ambre en position malgré les secousses, mais mes tentatives semblent bien dérisoires.
Mathias ouvre la vitre arrière et réplique.
Sans grand succès.
-Ça sert à rien ! Faut à tout prix les semer ! » Conclut Victor, paniqué.
Le fait que lui en particulier, perde mon sang froid, ne me rassure pas. Heureusement ma mission me demande une certaine concentration et je parviens encore à me contrôler.
Je me tourne vers la seule solution qui nous reste.
-Tu peux pas te téléporter pour avoir le conducteur ? » Demandé-je à Mathias avec espoir.
-Tu plaisantes ?! Pour me retrouver sur ses genoux comme la belle au bois dormant ?! » Me répond-il avec une sombre ironie.
Les rafales se poursuivent. Iris tente une manœuvre pour les éviter qui nous projette, moi et Ambre, de l’autre côté du coffre.
Je perçois le râle de ma cheffe de clan et blêmit en observant son visage, crispé dans la souffrance.
Même pour ça je suis inutile…
Non seulement nous allons nous faire capturer et tuer, mais en plus, elle continue de souffrir par ma faute, parce que je ne suis pas assez fort pour la maintenir en position.
Je me sens si mal que je lui lâche des excuses tout en étant bien conscient qu’elle n’est pas capable de les entendre.
-Je suis désolé Ambre… » Lui murmuré-je.
-Ils visent les pneus ! » Beugle Victor par-dessus ma voix.
Mathias tente encore d’atteindre ses cibles
-Fais chier ! S’ils en pètent un, on est morts ! » Lâche-t-il.
J’aimerais tellement pouvoir faire quelque chose ! Si seulement… Si seulement je pouvais faire quelque chose !
Mais la seule chose que je peux faire…
Ambre ne me pardonnera jamais…
-Faut que tu le fasses Val ! » S’écrie soudain Iris comme en écho à mes propres pensées.
Je me crispe en sachant pertinemment de quoi elle parle. Mais même si j’essayais… Peut-être que ça ne marcherait pas. Ambre est si faible…
-Quoi ? Faut qu’il fasse quoi ? » Interroge Mathias d’une voix urgente tout en tirant encore.
-Posséder les pouvoirs d’Ambre ! » S’exclame-t-elle. « On n’a pas le choix ! Fais-le ! » M’ordonne-t-elle.
Mon hilarité s’estompe totalement au moment où Iris évoque mes pouvoirs.
Je ne peux pas… Je ne dois pas lui faire ça…
Il y a bien une autre solution…
Or Mathias, comme Iris avant lui, répond clairement à mes pensées.
-Je sais pas de quoi elle parle Val, mais si tu peux faire quelque chose fais le maintenant ! Parce que sinon on est foutu… »
Maintenant je suis fixé. Tout repose sur moi et mes minuscules capacités. C’est dire si nous sommes dans une situation désespérée.
Acculé, face au mur, je saisis avec douceur le visage d’Ambre et contraint sa bouche à s’entre-ouvrir.
-Pardonne-moi Ambre. » Je lui chuchote, m’excusant à nouveau.
Je plaque ma bouche contre la sienne en fermant les yeux. Je me concentre, tentant d’oublier à qui je fais subir mon ignoble pouvoir. L’une des seules personnes qui m’aient jamais défendu dans ce monde.
Je glisse ma langue entre ses lèvres et commence à percevoir l’amplitude de ses dons. Dans son état jamais elle n’aurait pu faire quoique ce soit, mais c’est mon énergie que je lui donne. Ma petite, minuscule, ridicule énergie. Et étant donné la quantité de ses capacités…
Même ça, ça suffit amplement.
Je perçois les mouvements autour de moi, celui de notre véhicule, mais aussi les deux autres qui nous suivent.
Je projette la télékinésie d’Ambre contre le part-choc du premier. Mon coup était hésitant, pourtant, il s’avère dévastateur.
-Ouais ! Vas-y Catman ! Défonce-les ! » Jubile Mathias, la tête toujours à la fenêtre.
Je recommence avec plus de conviction sur le second véhicule et perçois les éléments de tôles lorsqu’ils se fracturent. La voiture est violemment projetée sur le bas-côté de la route.
Au cri de joie du téléporteur, je sais que j’y suis parvenue. Je me retire de l’esprit d’Ambre comme de sa bouche et prends soin de la lui refermer en douceur.
Son visage semble détendu une minute avant de se crisper à nouveau.
Le téléporteur referme la fenêtre et se tourne vers moi.
-Putain Val… » Lâche-t-il en m’observant d’un œil neuf. « Heureusement pour toi que tu as ton pouvoir bizarre parce que sinon… Je t’aurais roulé la plus longue pelle de toute ta vie. » Il s’installe plus confortablement sur son siège. « On va dire que Ambre s’en est chargée pour moi. »
Je rougis devant son sous-entendu. Je n’éprouve aucun plaisir à embrasser pour faire ça. Jamais.
-Mathias ! » S’indigne Iris. « J’espère que tu n’en as pas profiter Valentin ! » S’insurge-t-elle encore.
-L’engueule pas ! Il vient tout juste de nous sauver nos petites fesses… Pour la deuxième fois ! » Lui rappelle Mathias en riant de soulagement.
Je ne ressens pas la même euphorie. Je suis soulagé de nous avoir sauvés. Mais à quel prix ?
Comment va réagir Ambre lorsqu’elle va savoir ?
-Ben en attendant, lui il embrasse toutes les filles qu’il veut avec cette sale excuse de sauver le monde et moi j’ai le droit à rien du tout ! » Reprends soudain mon éléctrokinésiste. Avant d’ajouter : « Mathias ? Ça te dérange si je te galoche tout à l’heure ? Deux fois hein ! Pour remettre les pendules à l’heure ! »
Victor et le téléporteur éclatent de rire.
-Iris ! » Je m’indigne face à cette injustice. Moi, je ne le fais pas par plaisir !
Bien sûr, Mathias est aux anges.
-Quand tu veux Iris ! » Lui répond-il.
-Vous pouvez m’expliquer pourquoi je suis toujours exclu de ce genre de proposition ? » Demande alors Victor, tellement soulagé qu’il en oublie sa retenue habituelle.
Cette fois, je me joins à l’hilarité générale. Après tout, nous sommes en vie, peut-être pas encore hors de danger… Mais vivants.
-Parce qu’elle aurait l’impression d’embrasser son père avec toi. » Lui répond Mat. « Mais si tu veux, tu peux passer ta frustration sur Ambre. Elle pourra pas t’envoyer balader pour l’instant… »
Victor lâche une expression choquée.
-Tu es immonde Mathias. » Lui dit-il.
-Pas immonde, juste pragmatique. » Reprends le téléporteur.
Je m’installe de façon à maintenir Ambre durant encore un bon moment. Mathias se tourne à nouveau vers moi et s’approche discrètement.
-Hé Val » Me chuchote-t-il. « Y a pas de… Conséquences secondaires à ce que tu lui as fait ? »
Mon éphémère bonne humeur s’évapore instantanément.
-Je… Je ne sais pas… » Avoué-je, aucune de mes précédentes expériences n’ayant survécu à l’utilisation de mon pouvoir.
Il semble réfléchir à ma réponse.
-Bon ben, on n’a plus qu’à espérer que non… » Conclut-il en retrouvant sa place.
Je jette un regard sur le visage d’Ambre à nouveau détendu, comme si elle dormait profondément.
Et…
…S’il y en avait ?
-C’est fermé… On va devoir enfoncer la porte. » Remarqué-je pas très à l’aise à l’idée d’essayer de l’ouvrir par la force.
-Mais non, attends… » Iris semble réfléchir une minute et réalise quelques pas en arrière pour étudier la bâtisse. « Viens, on va rentrer par là. »
Elle me saisit la main et m’entraîne jusqu’à une large porte de garage. Elle pose ses doigts sur le battant métallique et je me dégage juste à temps de son étreinte.
-Oh ! Désolé Val, j’avais oublié… » S’excuse-t-elle alors qu’elle était à deux doigts de me griller les phalanges.
Elle poursuit ses décharges jusqu’à ce que la porte se décide enfin à bouger dans un grincement à réveiller les morts.
-C’est pas beaucoup plus discret… » remarqué-je tout en regardant tout autour de nous de peur d’attirer nos poursuivants.
-Il les veut ses vivres Mathias non ? Et nous, on peut pas se téléporter ! » Se justifie-t-elle avant d’entrer à l’intérieur du bâtiment.
J’allume ma lampe torche et la suis. Nous trouvons l’escalier qui nous permet d’accéder au rez-de-chaussée et rejoignons le salon.
-Je te laisse faire le tour de la cuisine. » M’annonce-t-elle alors que j’éteins ma lampe, inutile grâce aux larges baies vitrées des pièces. « Moi je fais un tour dans les chambres. »
-Mais ! Iris ! » Tenté-je en vain de la ralentir alors qu’elle s’éloigne déjà.
Je n’aime pas l’idée que nous soyons séparés, pas avec tous ces dangers qui rôdent et que nous ne voyons même pas…
Toutefois, je sais que je ne parviendrais pas à la convaincre. Je m’élance donc dans la cuisine à la recherche des denrées impérissables des anciens propriétaires. Je remplis mon sac de vivres le plus vite possible, quitte à ne pas être très regardant sur l’état des boîtes de conserve, avant de repartir à la recherche d’Iris.
Je traverse le salon sans l’y trouver.
-Iris ? » M’inquiété-je.
Rapidement, mais en silence, je gagne le couloir qui dessert les chambres. Mon rythme cardiaque s’accélère à mesure que j’avance, craignant le pire. Cette situation me rappelle horriblement les films d’horreur que mon seul ami d’avant la catastrophe me forçait à regarder avec lui. Des scènes à la fin desquels le protagoniste finit immanquablement par se faire hacher menu par le psychopathe.
-Iris ?! » Appelé-je plus fort, poursuivant dans le rôle de la future victime.
J’ouvre plusieurs portes sans trouver aucune trace d’elle.
Cette fois, je panique pour de bon.
-Iri… »
Mon appel se termine en un cri aigu lorsque je la découvre juste dans mon dos. Mon sac de vivres tombe au sol dans un bruit métallique.
-Qu’est-ce que tu fais Val ? Faut y aller ! » S’énerve-t-elle en le ramassant.
Elle me plante là et avance à bons pas dans le corridor. Je prends quelques courtes secondes pour vérifier que je ne me suis pas fait dessus, inspire un grand coup et la rattrape.
-Où est-ce que t’étais ? » Je lui reproche en me plaçant à son niveau.
-Dépêche ! Il nous avait donné une heure avant de rappliquer ! » élude-t-elle ma question tout en redescendant les escaliers menant au garage.
Nous quittons la bâtisse au pas de course et progressons dans la rue. Je me retiens de l’interroger à nouveau, certain qu’elle ne me répondra pas, mais que je découvrirais la raison de sa disparition dans quelques jours. Ou quelques heures. Tout dépend de sa capacité à conserver son secret.
Nous atteignons enfin notre planque et Bastet me rejoint en trottinant, rassurée de me retrouver en vie.
Moi aussi, je suis heureux de te voir.
Elle se frotte contre mes jambes tandis qu’Iris pénètre dans la petite maison.
-Putain ! C’est pas trop tôt ! » Nous engueule immédiatement le téléporteur. « J’étais à deux doigts d’aller vous chercher bordel ! »
Il récupère sèchement le sac de courses des mains d’Iris.
-Et merci ? C’est pour les chiens ? » Lui reproche-t-elle.
-C’est tout ?! » Reprends Mathias en évaluant la quantité de ce que nous avons ramené. « Sérieusement ?! C’est tout ce que vous ramenez à deux ! »
Je me retiens de dénoncer le manque d’investissement de ma belle.
-Si tu n’es pas content, tu n’avais qu’à y aller ! » fulmine-t-elle.
Victor nous rejoint à grands pas.
-Plus bas bon sang ! » Murmure-t-il, sourcils froncés. « Vous voulez vraiment qu’on nous retrouve ?! »
Sans décolérer, Mat lui place nos vivres sous le nez.
-C’est tout ce qu’ils ont ramené ! »
Le musicien étudie mes maigres découvertes, récupérant un pot de miel et de la pâte à tartiner.
-C’est toujours mieux que rien… »
-Chouette ! » S’illumine soudain Iris en découvrant les mets sucrés que j’ai récupérés. « Tu as pensé à moi ! Merci Val ! »
Elle s’apprête à m’embrasser sur la joue lorsque Victor la coupe dans son élan.
-C’est moi qui ai demandé ça. C’est pour Ambre. Je ne pense pas qu’on puisse lui faire avaler grand-chose d’autre pour l’instant. »
Ses lèvres à moins d’un centimètre de ma joue, Iris s’éloigne d’un coup, extrêmement déçue.
-Oh… »
Mathias se contente de secouer la tête.
-Je vais faire un tour des environs. » Décrète-t-il d’un ton sec. « J’espère qu’il y aura quelque chose à bouffer ce soir. »
Son dernier regard est destiné à Iris qui le lui rend d’un air courroucé. Elle se radoucit instantanément à son départ et se tourne vivement vers moi.
-Tu n’as qu’à aider Victor à ranger. » Me propose-t-elle d’un air qui ne me laisse pas vraiment le choix.
Avant que j’ai pu lui demander quoique ce soit, elle s’éloigne, rejoignant le salon et Ambre. J’ai juste le temps de l’observer en train de s’installer aux côtés de notre chef de clan, que Victor m’appelle de la cuisine.
-Valentin ? Aide-moi à trier s’il te plaît. »
À contrecœur, je le rejoins et l’assiste dans ses activités.
Nous mettons un bon moment à trier les boîtes de conserve. Nombre d’entre elles sont en mauvais état et donc, ce qu’elles renferment se trouve impropre à la consommation. Au final, seule une petite dizaine peut être utilisée et nous les alignons sur le plan de travail.
-Petits pois… Petits pois… Salsifis… petits pois… » Énumère-t-il mes trouvailles en soupirant. « Je crois que Mathias ne va pas beaucoup aimer le menu de ce soir. »
Coupable de n’avoir pas mené à bien notre mission avec Iris, je baisse la tête.
-Ce n’est pas grave. » Me rassure le professeur de musique d’une tape amicale sur l’épaule. « Mathias a une grande bouche c’est vrai, mais je ne suis pas certain qu’il aurait fait mieux, tu sais… »
J’apprécie qu’il tente de me rassurer même si je suis certain du contraire.
-Va rejoindre Iris. C’est moi qui fais le cuistot ce soir. La cuisinière est au gaz et la bombonne à l’air en bon état. »
L’air penaud, je le regarde alors qu’il cherche des allumettes dans les tiroirs, puis je décide que je ne suis, définitivement, d’aucune utilité.
Je prends la direction du salon, déprimé à l’idée d’avoir échoué une fois de plus. J’en veux à mon amie de ne pas m’avoir aidé, certain qu’avec elle, nous aurions pu trouver plus de vivres et de meilleure qualité.
Alors que je pénètre la pièce, je marque un temps d’arrêt sur le seuil de la porte.
-Qu’est-ce que tu fais Iris ?! » soufflé-je, sidéré.
Elle relève la tête dans ma direction, tenant les doigts d’Ambre d’une main et un pinceau plein de vernis à ongles de l’autre.
-Chut ! » Me dispute-t-elle tout en vérifiant que Victor ne se trouve pas dans les parages. « Les autres ne vont pas comprendre… »
Je hausse les sourcils en la fixant.
Parce que moi je suis censé comprendre ?
Elle reprend ses activités de manucure, appliquant une teinte rouge vif aux ongles d’Ambre, bien loin de son style habituel.
Je m’approche en espérant, pour une fois, qu’Ambre ne se réveille pas.
-Tu peux pas faire ça… » Tenté-je de la raisonner.
Bien sûr, mes paroles ne font que raffermir sa décision.
-Il fallait bien lui couper les ongles ! » Se justifie-t-elle. « Et puis, c’est quand même plus gai comme ça non ? » Ajoute-t-elle tout en évaluant la qualité de son travail.
Plus gai…
Je jette un bref regard au visage d’Ambre. Elle me paraît de plus en plus pâle comme si sa vie s’amenuisait de jour en jour. Victor a beau répéter qu’elle va mieux et que son dos cicatrise, elle n’en finit pas de maigrir et de perdre le peu de chair qui lui reste. C’est la raison pour laquelle il m’avait demandé des éléments nutritifs pour elle puisque nous n’avons plus la possibilité de lui faire passer les poches de nutrition de Luc.
Mon regard se pose involontairement sur son bras bardé d’un impressionnant hématome. La perfusion a fini par ne plus fonctionner. Victor a bien tenté d’en reposer une, mais n’est pas infirmier ou médecin qui veut. Dès lors, nous n’avons plus aucun moyen de lui faire passer les médicaments par intraveineuse.
-Iris… » Supplié-je alors qu’elle achève de colorer les phanères de notre ancienne protectrice.
-Chut je te dis ! J’ai encore les pieds à faire… »
J’abandonne toute tentative pour la raisonner.
-Tu penses que je leur mets la même couleur ? » Me demande-t-elle en étudiant les différents récipients qu’elle a certainement récupérés alors que je cherchais de quoi nous nourrir.
-Peut-être… Quelque chose de plus discret ? » Proposé-je dans l’espoir d’atténuer mon malaise.
Elle redresse la tête, un large sourire s’étalant sur son visage.
-Toi, tu as bon goût Val. Tu as raison, on va mettre… marron foncé. »
Et elle se place aux pieds d’Ambre, le coupe-ongle dans une main, le vernis à ongle dans l’autre.
-Ça va Iris ? » M’inquiété-je devant son visage dont les cernes semblent ne plus vouloir en partir.
-Oui, pourquoi ? » M’interroge-t-elle, l’air étonné.
-Je ne sais pas… Tu as l’air fatigué… »
Preuve que j’ai raison, elle s’énerve instantanément.
-Évidemment ! Ça fait un mois qu’on dort plus parce qu’il faut faire les rondes et veiller sur Ambre ! Et c’est toujours moi qui dois me taper la bouffe ! Chauffer la pièce ! Gérer les demandes de Môssieur le téléporteur qui n’est jamais content !… »
Préoccupé par le volume de sa voix qui ne cesse d’amplifier, je tente de la calmer. Ambre ne doit pas la voir dans cet état ou elle se mettrait inévitablement à angoisser. Elle a beau nous masquer ses émotions, Bastet me les transmet de manière systématique.
-Pardon Iris. Je suis désolé… Excuse-moi… »
Des larmes embuent soudain ses yeux.
-Et en plus tu ne veux plus me toucher depuis la dernière fois… »
Si sa tonalité a bien diminué, elle se met soudain à sangloter. Je la prends dans mes bras pour l’apaiser.
-Mais non pas du tout… » Lui chuchoté-je pour la rassurer. « C’est juste que c’est compliqué avec tout le monde autour. On n’a pas beaucoup d’intimité ici… »
Elle se détache de moi pour m’observer de ses yeux larmoyants.
-J’ai besoin de toi Val… Je n’en peux plus… J’ai envie de toi… »
Elle m’embrasse et je lui rends son baiser aussi fougueusement que mon pouvoir me le permet. Afin de la rassurer, mais aussi parce que ses aveux réveillent mes propres besoins, je prolonge notre étreinte. Je laisse glisser ma main sur son corps cherchant son sein que je caresse tendrement. Je quitte ses lèvres pour embrasser son décolleté.
-Valentin ?! M’appelle soudain Victor en bas des escaliers, me stoppant net dans mes activités. « Tu peux venir s’il te plaît ? J’ai besoin de ton aide pour refaire les pansements… »
Je sens qu’Iris s’apprête à laisser échapper toute sa colère et sa frustration et j’ai l’heureuse idée de la devancer.
-J’arrive dans dix minutes Vic ! Iris a besoin de moi pour un truc… »
Pressentant peut-être que je retarde ma venue pour une bonne raison, il ne discute pas et ses pas s’éloignent.
Ma dulcinée m’observe avec de grands yeux, surprise par mon comportement de quasi-délinquant. Il est vrai que j’essaie de toujours rester disponible pour les autres, mais là, si je ne fais rien, mon amante va perdre pied.
Une chose que je préfère éviter.
Je lui saisis la main avec force et l’entraîne dans une pièce à part.
-Viens. » Lui chuchoté-je. « On a dix minutes de rab… »
Elle pouffe en trottinant derrière moi.
-On va dire quinze. Il n’est pas à cinq minutes près… »
Elle me plaque contre un mur et nous ne perdons pas de temps.
Ma lampe torche éteinte en main, je m’applique à atténuer mes tremblements.
C’est mon tour de faire la ronde et de surveiller les alentours. Je sais que c’est indispensable et qu’aucun de nous n’a le choix, mais j’ai horreur de ces moments où je me sens particulièrement vulnérable.
Machinalement, je contrôle la présence du pistolet dans ma poche. Mathias a eu la gentillesse de me le laisser, l’autre étant conservé par Victor, resté au sein de notre repaire. Il sait parfaitement que je ne ferais pas le poids, seul et sans armes face à de potentiels ennemis. Néanmoins, mon cuisant échec de la dernière fois face à la colonie de Stuttgart aurait dû lui faire comprendre que je ne suis pas plus dangereux pour autant, même avec une arme à feu.
Je suppose que cette faveur est davantage destinée à me rassurer. Et j’avoue que ça fonctionne en partie.
Une fois au bout de mon trajet, je fais demi-tour, toujours aux aguets. Mathias m’a avoué qu’il se sentait observé depuis quelque temps sans jamais trouver d’éventuels espions. Il ne s’agit pas de la colonie allemande auquel cas, elle nous aurait déjà éliminés depuis longtemps, et j’imagine mal Laurent et ses acolytes faire dans la discrétion…
Résultat, j’ignore s’il s’agit juste d’une impression ou si cette peur est fondée. Toutefois, Mathias a bien plus d’expérience dans ce domaine donc je fais confiance à son instinct. S’il dit que quelque chose cloche, c’est certainement qu’il y a quelque chose… reste à savoir quoi. Ou qui.
Alors que je rejoins un autre point d’observation, du mouvement, en périphérie de ma vision me fait sursauter.
Je me retourne et scrute la rue tout en reniflant les alentours. Aucune odeur humaine ne vient heurter mes narines. Peut-être que ce sont simplement des rats…
Alors que j’inspecte plus longuement les lieux, je crois percevoir une ombre au niveau de container à ordures.
-Mat… hias ? » balbutié-je à voix basse.
Je sors mon arme d’une main tremblante et vise l’obscurité. Quelque chose bouge alors à nouveau, faisant chuter un sac poubelle bien rempli.
Sans y réfléchir, j’appuie sur la gâchette. La détonation me vrille les tympans, perforant le silence avec une intensité décuplé par le calme des lieux. La forme tombe au sol et s’échappe en courant. Quelque chose à mi-chemin entre le rat et la sourie, doté d’une queue touffue.
Je reste un instant immobile, apeurée par le bruit que je viens d’engendrer avant d’effectuer un pas en direction de ma cible mouvante.
Une main me saisit soudain l’épaule et je pousse un cri de frayeur. Une deuxième paume se plaque sur ma bouche pour me l’atténuer dans la foulée.
-Merde Val ! C’est moi ! Mat ! » Me rassure immédiatement le téléporteur. « Pourquoi tu as tiré putain ?! J’ai cru que t’avais vu quelqu’un ! »
Il me relâche et je tente de retrouver mon souffle, mon cœur me frappant les côtes à un rythme soutenu.
-Je.. Je sais pas… J’ai cru… Il y avait… »
À nouveau quelque chose bouge dans le coin de mon œil et je me retourne d’un geste vif.
-Quoi ?! » M’interroge brutalement mon acolyte.
Cette fois je cherche ma lampe torche. Tant pis pour la discrétion, je l’ai déjà fichue en l’air en tirant avec mon arme.
J’éclaire les alentours et finis par repérer une autre petite forme, semblable à la première.
-Là ! » M’exclamé-je, mon thorax au bord de l’explosion.
Nous découvrons ensemble ce qui a entraîné mon effroi.
Mathias secoue la tête, dépité.
-C’est un écureuil Val. » Soupire-t-il. « Tu vas quand même pas vider ton chargeur là-dessus ? »
Je reconnais ma méprise et baisse la tête. Pourtant quelque chose me gêne, bien que je ne parvienne pas à mettre le doigt dessus.
Mathias me tapote l’épaule.
-Viens. On va rassurer tout le monde. À l’heure qu’il est, Bastet a sûrement déjà prévenu Victor et il va pas tarder à se pointer au bord de la crise cardiaque… »
Il se détourne et je m’apprête à le suivre lorsque ma lampe éclaire un autre rongeur. Celui-ci se tient bien droit sur ses pattes et semble nous observer.
-Mat… » Commencé-je, soudain plus inquiet.
Cette fois il râle ostensiblement.
-Quoi ?! »
-Regarde… »
Ma lampe éclaire soudain cinq autres écureuils. Je fais lentement le tour de notre position pour découvrir qu’en réalité, plusieurs dizaines nous épient de manière malsaine.
Cette fois, le téléporteur semble se rendre compte de l’anomalie.
-Merde… Y a un chuchoteur dans le coin… » Conclut-il à voix basse en se rapprochant de moi.
Cette dernière phrase ne demeure pas longtemps sans conséquence. Peut-être était-ce le signe qu’il attendait, à moins que leur maître se trouve dans les parages. Dans tous les cas, ce sont des dizaines et des dizaines de ces boules de poils roux qui nous sautent soudain dessus.
Nous nous débattons comme des forcenés au milieu de cet assaut de diablotins aux griffes et aux petites dents acérés. J’en lâche mon arme et mon éclairage, arrachant chacune de ces saletés à mains nues pour les balancer avec force sur le bitume. Mathias en fait de même, économisant sa téléportation autant que possible.
Un hurlement de guerre retentit soudain à proximité suivi de plusieurs projectiles. Les bestioles, effrayé par un combattant supplémentaire et armé finissent par détaler, disparaissant dans l’obscurité.
Notre sauveur, Victor en l’occurrence, nous rejoint au galop. Il s’arrête en nous découvrant, enfin libéré de nos assaillants.
-Qu’est-ce… Qui vous est… Arrivé ? » Nous interroge-t-il, à bout de souffle.
Mathias essuie les traces de sang de son cou, là ou l’on mordu nos agresseurs.
-Tu les as vus non ? » Râle-t-il, vexé de s’être fait grignoter par de si frêles créatures. « Y a un connard de chuchoteur dans le coin. » Conclut-il.
Le musicien regarde autour de lui, cherchant l’intrus.
-Cherche pas. Ils restent jamais dans les parages quand ça commence à puer. » Conclut le téléporteur en examinant ses mains. « Saloperies ! Ils m’ont bouffé de partout ! »
Je prends le temps de contempler mes propres blessures. Rien de grave a priori bien qu’elles me picotent un peu. Épuisé par sa course, notre mentor se rapproche d’un trottoir pour s’y installer.
-Bon sang… j’ai bien cru… » Commence-t-il sans oser achever sa phrase.
Mathias le rejoint, s’allongeant à même le sol, les bras en croix.
-Ouais… Moi aussi… »
Je passe ma main dans mes cheveux, repérant d’autres minuscules égratignures. Quelque chose me chiffonne sans que je parvienne à comprendre quoi exactement.
Mathias s‘esclaffe soudain.
-Putain Vic. Je pensais pas qu’un jour je te verrais courir aussi vite… C’est quoi que tu as jeté au fait ? »
L’interpellé prend le temps de ramasser l’un de ses projectiles.
-Des briques de lait… Initialement, j’ai cherché des bouteilles en verre, mais évidemment je n’en ai pas trouvé sur le chemin. »
Le téléporteur éclate de rire à nouveau.
-Wouah ! L’arme de destruction massive ! »
-Il n’empêche que ça les a fait fuir ! » Se défend notre pianiste.
Il accompagne Mathias dans son allégresse. J’ai beau être soulagé d’avoir été débarrassé des rongeurs, une sombre inquiétude me colle à la peau. Je ramasse mon arme, l’étudiant une minute à la lumière de la lampe restée au sol, lorsque le voile de mes idées se déchire soudain, une terreur absurde me clouant sur place un instant.
-Qu’est-ce que tu as fait de ton arme Vic ? » Le questionné-je d’une voix tout juste sous contrôle.
Son visage se tourne vers moi, son sourire disparaissant du même coup, alerté par mon ton anormale.
-Je l’ai laissé à Iris, comme prévu… »
C’est alors que je comprends. Au regard que j’échange avec Victor, j’en déduis commence à entrevoir mes propres réflexions. Mathias se redresse et nous jauge l’un après l’autre.
-Qu’est-ce qu’il… »
-Un leurre. » Lâche soudain Victor et je hoche la tête en réponse, les muscles tétanisés.
Heureusement pour moi, et malgré son âge, notre aîné se redresse à toute vitesse, vite suivi par Mathias.
-De quoi ?! » S’alarme-t-il alors que nous avançons au pas de course en direction de notre planque.
-Votre attaque, c’était un piège ! Pour nous éloigner d’Ambre et la rendre vulnérable ! » S’exclame-t-il, entamant une nouvelle course.
Le téléporteur semble soudain saisir les enjeux et accélère, nous passant devant sans grande difficulté.
J’éprouve de grandes difficultés à réfléchir, mes pieds me portent, les mouvements s’enchaînant sans que ma conscience s’en rende compte.
Iris…
Iris est seule avec Ambre…
Et il s’agit du dernier rempart avant de parvenir à notre cheffe.
Oh non…
Iris !